Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 11h15
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES) :

Mesdames, Messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de donner au CNES l'opportunité de s'exprimer sur ces questions relatives aux événements climatiques majeurs. Nous vivons, en effet, une période tout à fait remarquable. Le changement climatique est une réalité, même si certains en doutent outre-Atlantique. Il reste qu'il fait aujourd'hui 24° Celsius à New York, ce qui est tout à fait inhabituel. En outre, des phénomènes étranges du point de vue climatique apparaissent chaque jour davantage. À l'initiative de la France, très largement, la lutte contre le changement climatique est devenue depuis quelques années une très grande priorité. Le CNES s'y investit beaucoup.

Pourquoi les satellites et l'espace sont-ils aussi importants pour lutter contre le changement climatique ? Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a défini 50 variables climatiques essentielles (essential climate variables) pour mesurer le changement climatique, dont 26, soit plus de la moitié, ne peuvent être observés que depuis l'espace. En particulier, les satellites ont permis de mettre en évidence trois éléments essentiels pour mesurer le changement climatique.

Premièrement, à la fin des années 1970, les tout premiers satellites de météorologie ont permis de constater une augmentation de la température moyenne de la planète. Les satellites de météorologie mesurent la température du globe : les cartes que vous voyez le soir à la télévision, présentant les zones nuageuses et celles dépourvues de nuages, sont déduites des données envoyées par leurs radiomètres.

Dans un premier temps, on a cru à un biais instrumental, en faisant l'hypothèse que les instruments eux-mêmes étaient affectés par une dérive, qui pouvait expliquer l'augmentation. Mais après corrélation, on a effectivement constaté que la température moyenne de la planète augmentait légèrement. Seuls des satellites permettent de mesurer, de manière globale et extrêmement précise, des augmentations infimes d'un centième ou d'un dixième de degré de la température moyenne de la planète. Il serait illusoire d'imaginer qu'on pourrait parvenir au même résultat avec un thermomètre suspendu à la fenêtre.

Deuxièmement, les satellites ont permis d'établir une augmentation du niveau moyen des océans. Au CNES, nous sommes très fiers d'avoir contribué de manière décisive à mettre en évidence le phénomène. Le 10 août 1992, nous avons lancé le satellite d'altimétrie TOPEXPoseidon, qui a eu un destin inattendu. On en faisait grand cas à l'époque, parce que c'était la première fois que la fusée Ariane lançait un satellite de la NASA, personne n'ajoutant qu'il s'agissait d'un satellite d'océanographie. Si le satellite est finalement resté dans l'histoire, c'est pourtant non comme le premier satellite de la NASA lancé par Ariane, mais comme le satellite ayant permis de mettre en évidence l'augmentation du niveau moyen des océans.

À sa suite, la série des satellites Jason a mis en évidence que le niveau des océans augmentait de 3,2 millimètres par an – nous avons lancé le dernier, Jason III, le 10 janvier 2017. Car seuls des satellites peuvent effectuer cette mesure. À la conférence de Paris sur le climat, certains dirigeants paraissaient croire qu'elles étaient le fait de flotteurs, de bouées ou de je ne sais quels zouaves du pont de l'Alma répartis sur les océans. Il n'en est rien. Seuls des satellites peuvent mettre en évidence des augmentations extrêmement faibles, grâce à des techniques d'interférométrie. L'augmentation annuelle peut sembler négligeable, mais elle représente 32 centimètres sur un siècle. C'est énorme. En face d'une augmentation d'une telle ampleur, la moitié des îles Maldives disparaissent. Du fait de cette prise de conscience, de plus en plus de satellites effectuent de l'altimétrie.

Troisièmement, les satellites ont permis d'établir et de mesurer la cause racine de l'élévation de la température de la planète. Ils ont révélé que cette hausse est due à l'augmentation des concentrations des gaz à effet de serre d'origine anthropique dans l'atmosphère. La planète voit sa température augmenter parce que l'humanité fabrique du gaz à effet de serre, essentiellement du gaz carbonique et du méthane. Ainsi, le bilan radiatif de notre planète évolue, car ces gaz, diffusés dans l'atmosphère, y piègent les radiations qui viennent du soleil, ce qui conduit à une augmentation de la température du globe.

À l'occasion de la COP21, nous avons décidé que notre pays serait à la pointe en matière de mesure de ces augmentations de gaz à effet de serre, grâce à deux satellites Microcarb et Merlin, encore en développement. Utilisant les techniques les plus pointues de la spectrométrie, le satellite Microcarb sera développé en coopération avec le Royaume-Uni, pour un lancement prévu en 2020 ; il permettra de mesurer la concentration en gaz carbonique, en établissant des cartes d'émission de ce gaz. Le satellite Merlin sera développé en coopération avec l'Allemagne ; il permettra de mesurer la concentration en méthane, gaz à effet de serre beaucoup plus puissant encore que le gaz carbonique. Il utilisera quant à lui non un spectromètre, mais un lidar, instrument de télédétection par laser. Il sera développé d'ici trois ou quatre ans.

Nous pourrons ainsi obtenir des images des nuages de gaz à effet de serre – soit de méthane et de gaz carbonique – semblables aux images de vapeurs d'eau diffusées à la télévision, dont je vous parlais tout à l'heure. Disposer de ces outils présente un double avantage. Grâce à eux, nous pourrons regarder l'évolution des émissions à l'intérieur d'un pays : là où un industriel se serait engagé à réduire ses propres émissions, le satellite permettra de savoir s'il tient ses engagements. De même, au niveau mondial, nous pourrons vérifier si les pays qui ont pris des engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre les respectent eux aussi.

Le rôle des satellites est donc fondamental pour la gestion des événements climatiques, à travers la mesure de ces trois points clés : température, niveau des océans et gestion des émissions de gaz à effet de serre. Grâce à eux, nous savons que le changement climatique trouve son origine dans l'augmentation des gaz à effet de serre d'origine anthropique, qui ont provoqué une hausse de la température du globe, entraînant la fonte des glaciers et une augmentation consécutive du niveau des océans. J'insiste sur la fonte des glaciers : ce n'est pas la fonte de la banquise qui fait augmenter le niveau des océans ; elle peut s'analyser comme la fonte d'un glaçon dans un verre d'eau, ne provoquant pas une élévation du niveau de l'eau dans ce même verre. Seule la fonte des glaciers, en apportant aux océans de l'eau extérieure, a fait monter leur niveau.

J'en termine ainsi sur le rôle fondamental des satellites, qui n'ira qu'en augmentant.

J'en viens maintenant à deux points particuliers, relatifs au traitement des phénomènes climatiques grâce aux satellites. D'abord, les satellites permettent d'en mesurer l'ampleur. Ensuite, quand il y a des catastrophes, ils peuvent contribuer à la reconstruction.

Premièrement, en 2000, le CNES et l'Agence spatiale européenne ont créé la charte internationale « Espace et catastrophes majeures », rassemblant aujourd'hui dix-sept agences spatiales du monde entier. Aux termes de celle-ci, lorsqu'un événement climatique très violent a lieu et entraîne d'importants dégâts, toutes les agences signataires disposant de satellites dans la zone concernée doivent braquer leurs instruments vers le lieu de la catastrophe pour en mesurer l'ampleur et pour orienter l'organisation des secours.

Ce dispositif a connu – malheureusement – une exposition médiatique assez forte à l'automne dernier, au moment où des ouragans ont frappé les Antilles. L'arc antillais et la mer des Caraïbes ont en effet fait l'objet d'une concentration tout à fait inhabituelle de phénomènes climatiques extrêmes. La raison en est très simple. La température habituelle de l'océan dans cette région s'établit entre 26° et 27°. À ce niveau, le vent qui souffle sur la surface des eaux ne crée qu'une légère nébulosité. Or la température de l'océan a atteint 31° en 2017 ; à ce niveau, le passage du vent provoque immédiatement l'évaporation de l'eau, entraînant des ouragans. Les ouragans qui ont frappé dramatiquement l'arc antillais sont donc dus à cette différence de température de l'océan de 4 à 5 degrés par rapport à la moyenne.

Dès que les dommages ont été constatés, nous avons déclenché la mise en oeuvre de la charte pour produire rapidement les premières images des zones sinistrées, à commencer par Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Nos satellites radars nous ont permis de faire de même pour les inondations du Texas.

Depuis 2000, le mécanisme prévu par la charte a été déclenché 560 fois. Près de cent vingt pays en ont bénéficié. Nous comptons environ 40 déclenchements par an, mais ce chiffre tend malheureusement à augmenter, car nous observons de plus en plus de catastrophes naturelles liées à l'emballement de la machine climatique. La charte internationale « Espace et catastrophes majeures » permet donc de faire face à ces événements lorsqu'ils surviennent.

Deuxièmement, les satellites peuvent aussi servir à la reconstruction, en fournissant des données utiles au suivi des adaptations locales rendues nécessaires par les catastrophes – c'est le cas en ce moment à Saint-Martin. Établi dans le cadre du Comité sur les satellites d'observation de la Terre (CEOS), le recovery observatory a ainsi pour objectif d'accompagner le relèvement des zones dévastées par une catastrophe naturelle majeure, en mettant à disposition des décideurs locaux des produits satellitaires pertinents.

Même si on admire leur précision, leur dégradé de couleurs et la précision du découpé des côtes, les images satellitaires ne représentent en fait qu'une partie émergée de l'iceberg. Elles recèlent en effet de nombreuses informations. Avec les moyens de traitement appropriés, elles fournissent des renseignements extrêmement importants pour la reconstruction : façon dont les zones ont été touchées, taux d'humidité, pente des sols, zones à retenir pour l'implantation d'antennes de téléphone sans fil… Nous avons donc développé un véritable outil d'aide à la reconstruction, que nous mettons en oeuvre à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le 12 mars, un comité interministériel consacré à leur reconstruction se tiendra. Y seront présentés des produits cartographiques spécifiques, réalisés en ce moment à partir du couple de satellites Pléiades. Vous le voyez, les satellites sont de plus en plus utilisés dans des circonstances certes malheureusement dramatiques. Mais ils facilitent considérablement les travaux de reconstruction.

J'en viens à présent au rôle particulier de la France. Depuis trois ans, elle a pris en effet un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique. Le CNES a accompagné ce mouvement. En 2015, de nombreux moyens de la nation ont été mobilisés pour préparer la COP21. Nous avons quant à nous sensibilisé le monde politique au rôle des satellites en ce domaine, notamment dans le suivi de 26 des 50 variables climatiques essentiels dont je parlais tout à l'heure. Notre approche est également partagée dans la mesure où, en septembre 2015, toutes les agences spatiales du monde, que nous avions réunies, ont adopté la déclaration de Mexico dans laquelle elles appellent l'attention des chefs d'État et de Gouvernement sur le rôle que jouent les satellites pour mesurer le changement climatique.

Après la COP 21 et l'accord de Paris qui en est découlé, nous avons tenu une nouvelle réunion en 2016, où nous avons mis l'accent sur l'enjeu important que représentent la mesure des gaz à effet de serre et la lutte contre leurs émissions, nos satellites Microcarb et Merlin étant appelés à jouer un rôle en ce domaine. Les déclarations adoptées ont été reprises et complétées dans le cadre des travaux de la COP 22 qui s'est tenu à Marrakech et qui a mis l'accent sur le rôle de l'eau. La conférence se tenait en effet en Afrique, où la question des besoins hydriques se pose avec acuité.

Le 12 décembre 2017, le One Planet Summit s'est tenu à Paris, à l'initiative du Président de la République. Il nous a demandés de poursuivre nos travaux sur la question ; nous avons donc proposé la création d'un Observatoire spatial du climat : cela a fait partie des douze objectifs qui ont été finalement proclamés par les participants au sommet. Nous sommes en train de mettre en place cet observatoire, avec le soutien de la quasi-totalité des États ; seuls les États-Unis, eu égard à la position du président Trump, n'en font pas encore partie. Les travaux se poursuivent néanmoins avec les collègues américains et je me rendrai à Washington le mois prochain, pour chercher à les convaincre du bien-fondé de la création de cet observatoire.

L'un de ses objectifs est de standardiser les données livrées par les satellites. Aujourd'hui, nous nous heurtons à la difficulté que les satellites chinois qui observent les concentrations de gaz carbonique livrent des données qui sont différentes des données européennes et américaines. Nous voulons au contraire que tous les satellites de la planète effectuent les mêmes mesures. Nous travaillons, en particulier avec les Chinois, sur cette question de la définition des standards. Lors de sa dernière visite en Chine, le Président de la République a abordé le sujet avec son homologue chinois. Un autre de nos objectifs est de garantir à la communauté scientifique le libre accès aux données collectées. L'Observatoire spatial serait ainsi une sorte de hub où les agences spatiales apporteraient leurs données, pour que les scientifiques puissent venir y puiser. Ceux-ci pourront ainsi nous aider à mieux comprendre le changement climatique, comme ils nous aideront à le corriger.

Cet Observatoire spatial du climat a reçu le soutien de la totalité des agences spatiales européennes, et gagné déjà celui des agences spatiales chinoise, russe, indienne, mexicaine, marocaine, ainsi que le soutien de l'agence des Émirats arabes unis. Le Président de la République se rendra en Inde dans deux semaines et la question est à l'ordre du jour de déplacement. Un mouvement mondial est ainsi amorcé. La création de l'observatoire est prévue pour cette année.

La France joue donc un rôle fondamental sur le sujet. La COP 21 et la déclaration de Paris ont en effet créé un esprit favorable. Loin d'être considérée comme une fin en soi, cette dernière a plutôt été envisagée comme un point de départ. Ses résultats ont été amplifiés et magnifiés par le One Planet Summit.

En conclusion, trois points sont à retenir. D'abord, sans les satellites, il n'est pas d'observation du climat ou de lutte contre le changement climatique qui tienne ; ils jouent dans ces deux domaines un rôle fondamental. Ensuite, les satellites sont précieux pour mesurer les phénomènes climatiques extrêmes, guider les secours et commencer les travaux de reconstruction – nos moyens ont été lourdement utilisés en ce sens en 2017. Enfin, la France joue un rôle particulier, comme elle l'a montré en organisant la COP 21. Nous pouvons en être fiers et nous allons continuer dans cette voie.

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