Intervention de Jean-Cyril Spinetta

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Cyril Spinetta :

En effet, monsieur Pancher, j'ai été agréablement surpris de constater qu'il existait de très nombreux et excellents rapports récents sur la SNCF, et qu'ils abordaient les questions que j'ai moi-même jugées essentielles. J'ai donc bénéficié des travaux de qualité conduits par de nombreuses personnes qualifiées, ce qui m'a permis de gagner du temps pour aboutir à mes conclusions. Certaines des orientations prônées avaient été suivies d'effets, d'autres pas du tout. J'ignore quel sera le sort de mon rapport mais j'espère que certaines de ses recommandations seront retenues.

Mme Park me demande comment s'assurer de ne pas reconstituer une dette insoutenable. À titre personnel, je l'ai écrit dans le rapport, une reprise de dette me semble nécessaire ; il appartient au Gouvernement d'en déterminer les modalités et le montant. L'objectif de cette reprise de dette vise à créer une situation qui permette à SNCF Réseau, dans le cadre d'investissements maintenus durablement au moins au niveau actuel – je pense même qu'il faudrait les augmenter de l'ordre de 500 millions d'euros par an pour tenir dûment compte des priorités encore trop négligées – grâce aux subventions et aux péages qui lui reviennent, de financer l'ensemble des opérations à conduire et assurer l'équilibre de ses flux de trésorerie. Je crois que c'est possible : le contrat pluriannuel entre SNCF Réseau et l'État prévoit déjà une forte amélioration progressive de la situation de SNCF Réseau moyennant un effort de productivité fixé à 1,2 milliard d'euros en 2017 – à raison de 900 millions sur les dépenses de fonctionnement et 300 millions sur les dépenses d'investissement. Je pense – les chiffres viennent de SNCF Réseau – qu'un effort supplémentaire de 200 millions d'euros est certainement possible.

SNCF Réseau ne bénéficie que de deux ressources : les subventions, qu'elles proviennent des régions ou de l'État, et les péages ; il n'existe pas d'autre ressource pour assumer le coût complet du réseau. Une fois le coût complet fixé et connu de tous, il faudra que les ressources de SNCF Réseau – en subventions et en péages, donc – permettent de le couvrir chaque année.

Examinons la situation des différents réseaux ferroviaires. Le TGV paie ses coûts complets et a atteint l'équilibre économique : il doit continuer durablement ainsi. Les débats récurrents entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités sur le niveau prétendument trop élevé des péages qui mettrait en cause la rentabilité du TGV me semblent devoir être moins fréquents. Quoi qu'il en soit, si SNCF Mobilités paie moins cher, SNCF Réseau dispose de moins de moyens pour financer des opérations d'entretien et de régénération, pourtant indispensables. Je crois donc avoir établi dans le rapport que le TGV est en situation d'équilibre, qu'il couvre l'ensemble de ses coûts d'opération et de ses besoins d'investissement sans qu'il lui soit nécessaire de s'endetter au cours des prochaines années.

Pour ne pas reconstituer une dette insoutenable, la structure de société nationale à capitaux publics – qui, je le rappelle, fut la forme juridique de la SNCF pendant quarante-cinq ans – contraindra SNCF Réseau et, surtout, l'État à ne pas laisser le ratio entre sa marge opérationnelle et son endettement dépasser cinq ou six. Ainsi, lorsque l'État aura consenti l'effort d'une reprise de la dette, il faudra créer les conditions permettant de ne pas reconstituer une dette irrécouvrable et non amortissable comme c'est hélas le cas aujourd'hui. Au-delà de la question de la dette, je pense que la structure de société nationale à capitaux publics donnera de meilleurs résultats en matière de gouvernance.

Pour parler de la taxe de péréquation, je dois faire référence au TGV. Alors que la question se trouvait posée dans la lettre de mission signée par le Premier ministre, je n'ai pas proposé de revoir profondément le réseau TGV existant. Une quarantaine de villes sont desservies par le réseau à grande vitesse, et environ cent soixante villes le sont par un réseau qui n'est plus à grande vitesse, avec une dimension essentielle d'aménagement du territoire. Dès lors que le TGV est à l'équilibre économique, il n'y a pas de raison de chahuter le système, et il faut maintenir ce réseau indispensable à l'aménagement du territoire, même si des ajustements peuvent avoir lieu à la marge – il y en a en permanence.

Je formule seulement le voeu d'une meilleure coordination entre les TER et les TGV, non pas pour supprimer les dessertes TGV, mais pour faire en sorte que, lorsqu'elles n'existent pas, les coordinations et les transferts de l'un à l'autre se fassent dans de meilleures conditions qu'aujourd'hui.

La question de la taxe de péréquation se pose en même temps que celle de la concurrence, mais personne ne sait si cette concurrence aura lieu sur le réseau à grande vitesse. Si cela devait être le cas, il faudrait à mon sens l'ouvrir en open access et non en franchise. Les Britanniques eux-mêmes s'interrogent régulièrement sur la pertinence de leur système de franchise : des rapports, souvent confiés à des membres de la Chambre des Lords, montrent que le système de franchise présente quelques inconvénients – ils écrivent même « beaucoup » d'inconvénients –, en particulier parce qu'il recrée des monopoles sur une base régionale, malgré la mise en concurrence régulière.

Au-delà de ce problème, si la France devait – ce que je ne préconise pas, car je pense que ce serait une erreur – aller vers un système de franchise, qui a par ailleurs quelques vertus, ce serait l'éclatement pur et simple de la SNCF. L'opérateur historique disparaîtrait complètement. À un opérateur historique chargé d'assumer un ensemble de dessertes sur une base unifiée, se substitueraient, par mises en concurrence progressives, régulières et successives, des opérateurs qui le feraient littéralement disparaître. C'est une voie dans laquelle il ne me paraît personnellement pas souhaitable que nous entrions.

Pourquoi évoquer la taxe de péréquation ? Si la concurrence a lieu, on peut imaginer qu'elle se fera sur les lignes les plus rentables, comme Paris-Lyon, Paris-Bruxelles, Paris-Strasbourg… Il ne me revient pas de les désigner. Cette concurrence mettra donc en cause un équilibre aujourd'hui satisfaisant entre des lignes rentables, et d'autres qui le sont moins, voire pas du tout.

Pour faire face à ce problème, j'émets trois propositions.

La première consiste à modifier la structure des péages en passant d'une tarification au trains-km à une taxation au chiffre d'affaires qui intégrerait la notion de rentabilité des lignes dans ce qui serait dû par les différents opérateurs.

La deuxième option, proposée, je crois, en 2011, par le rapport de la commission présidée par M. Claude Abraham sur l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, consiste à créer des obligations de service public permettant de maintenir des lignes alors même que leur rentabilité n'est pas assurée. Afin d'éviter que l'opérateur historique et les nouveaux entrants ne se dégagent trop facilement de dessertes qu'ils considéreraient comme non rentables, je pense qu'il faut qu'une taxe de péréquation s'impose à tous et alimente un fonds de péréquation destiné à l'entretien des lignes.

Une troisième proposition concerne les accords-cadres. Cette notion existe dans les textes européens. Je crois qu'elle permettrait d'attribuer à de nouveaux entrants ou à l'opérateur historique un ensemble de dessertes constitué de lignes rentables et de lignes moins rentables – cet ensemble serait, en quelque sorte, « à l'équilibre économique ».

Monsieur Sermier, il n'existe pas, aujourd'hui, d'état des lieux socio-économique de la situation des petites lignes, tel que je préconise de le mener à bien. L'état des lieux technique existe certainement, et SNCF Réseau dispose en la matière de l'ensemble des éléments d'information nécessaires.

Ce type de bilan socio-économique est pourtant classique. Je suis d'ailleurs un peu surpris que cette proposition puisse susciter des interrogations. Lorsqu'il se compare au secteur routier, le ferroviaire demande toujours des bilans socio-économiques pour montrer que, s'il coûte plus cher, il faut prendre en compte les externalités positives dont il est à l'origine et les externalités négatives du transport routier. Ces études sont donc, en quelque sorte, inscrites dans l'ADN du secteur ferroviaire qui les réclame en permanence – et il a raison de le faire car il subit des désavantages par rapport à d'autres modes de transport tout en présentant des avantages qui ne sont pas quantifiés économiquement. Des décisions pourront être prises à partir de ces études.

Je ne propose pas d'interrompre les contrats de plan État-région en cours d'exécution ; je suggère de réfléchir à cette question à partir de 2020, au moment où ces contrats seront renégociés.

Vous m'avez presque tous interrogé sur la fin du recrutement sous statut. Je vous citerai deux exemples issus des discussions et des concertations que j'ai menées avec les organisations syndicales – je les ai rencontrées une première fois, avant de commencer mon travail, puis, une seconde fois, avant de le remettre. Dans ce débat, il ne s'agit pas de salaires, mais d'organisation du travail plus productive et plus efficace.

Dans une filiale de la SNCF, détenue à 100 % par la SNCF, comme VFLI (Voies ferrées locales et industrielles), il faut un agent de traction, un demi-agent de desserte ou un demi-agent de manoeuvre pour manoeuvrer un train de fret dans une gare de triage. À la SNCF, il faut un agent de traction, un agent de desserte et un agent de manoeuvre. Ces sujets extrêmement concrets doivent être résolus. Certes, ils pourraient parfaitement l'être dans le cadre du statut. L'une de mes surprises a en effet été de constater, en lisant, avec M. Jean-François Colin, l'ensemble des textes juridiques qui encadrent aujourd'hui la négociation sociale au sein de la SNCF, que cette dernière a toutes les possibilités juridiques de faire évoluer son cadre social et contractuel.

En 2010, une décision du Conseil d'État a permis une évolution majeure en la matière en rendant consultatif l'avis autrefois conforme de la commission mixte du statut. Cette règle qui empêchait souvent les choses d'évoluer a donc été supprimée grâce, ou à cause, de la décision du Conseil d'État, reprise dans un décret de 2015.

La procédure pour faire évoluer le cadre social et contractuel de la SNCF reste un peu particulière, mais, juridiquement, ces évolutions sont désormais possibles sur tous les sujets : dictionnaire des filières et des métiers, classification, déroulement de carrière, importance du GVT… Tout cela peut être négocié à l'intérieur de la SNCF. En conséquence, afin d'affirmer que ce dialogue social doit avoir lieu entre les acteurs sociaux au sein de la SNCF, j'ai proposé, avec M. Jean-François Colin, que l'on mette un terme à l'approbation ou l'homologation par l'État des décisions liées au statut. Il me semble que ce tripartisme est devenu un peu suranné et assez négatif. Il faut affirmer que les partenaires sociaux de la SNCF, syndicats d'un côté, direction de l'autre, gèrent entre eux l'ensemble ces sujets.

Nous avons donc constaté à la fois que les choses pouvaient évoluer, et qu'elles évoluaient peu ou qu'elles n'évoluaient pas. C'est le problème : alors que les évolutions sont possibles, il y en a peu ou pas du tout.

Autre exemple : dans de nombreuses entreprises de la maintenance ferroviaire, les agents sont doublement qualifiés pour intervenir à la fois sur la voie et sur les caténaires. Lors des opérations d'entretien de nuit, ils interviennent indifféremment sur un problème ou sur l'autre. À la SNCF, cette double qualification n'existe pas, alors qu'elle augmenterait significativement la rémunération des agents de la voie qui sont moins bien payés que les agents des caténaires. Ces blocages, dont je n'impute la responsabilité à personne – je me contente de les constater –, font que les évolutions des métiers qui devraient prendre en compte en permanence ce qui se passe dans l'environnement technologique de l'entreprise, la numérisation et la digitalisation, ne se produisent pas, ou se produisent de manière très insuffisante.

J'ai évoqué ces sujets avec tous les syndicats sans exception, et la plupart d'entre eux m'ont dit : « Vous avez raison, on devrait aller vers plus de polyvalence. » Je constate que la négociation sociale ne permet pas aujourd'hui cette évolution. D'où la question : faut-il continuer à embaucher au statut ? Ne faut-il pas sortir d'un cadre qui est, en effet, adaptable, négociable et renégociable en permanence, mais qui, aujourd'hui, est considéré comme un peu – je vais utiliser un mot un peu fort qui choquera sûrement nombre d'entre vous –, immuable ? Malheureusement, alors que les technologies évoluent en permanence autour de la SNCF, comme autour de toutes les entreprises, le souci d'adaptation permanente qui devrait prévaloir ne prévaut pas aujourd'hui, au détriment de la SNCF, au détriment du service public, et au détriment de ses coûts, de sa compétitivité et de son efficacité.

Fort de ce constat, nous proposons de replacer le dialogue social au sein de l'entreprise, de couper le lien devenu absurde et suranné que crée l'approbation par l'État d'une homologation des décisions sociales qui concernent souvent le statut, et de réaffirmer qu'il revient à l'entreprise de traiter ces sujets avec ses acteurs sociaux. Par ailleurs, posons-nous la question de savoir s'il faut continuer à embaucher au statut.

M. Bertrand Pancher a demandé s'il s'agissait d'une provocation. Je n'ai pas de sentiment à ce sujet. Je pense que le problème se pose de manière extrêmement concrète et que, au fond, cette espèce d'immobilité sociale en est la cause.

Je me suis déjà beaucoup exprimé sur les petites lignes. Je ne voudrais pas revenir sur ce thème, d'autant qu'il a été écarté par le Gouvernement. Je veux seulement réaffirmer que la rentabilité n'est pas le sujet. Pour ces lignes, on enregistre 1 milliard d'euros de recettes commerciales et 4 milliards d'euros de coûts d'opération : elles ne sont pas rentables, aucune d'entre elles ne l'est, qu'elles soient petites, grandes ou moyennes. Elles sont toutes au coeur du service public et il faut assumer ce que cela signifie : elles vivent avec des subventions publiques de l'État ou des régions. En revanche, le problème est de savoir – vous me pardonnerez d'insister sur ce point – si un euro d'argent public affecté pour ces petites lignes ne serait pas mieux utilisé ailleurs.

L'un d'entre vous m'a parlé d'une logique comptable. Étant assez peu comptable, et même fâché avec la comptabilité, je considère cela comme un compliment, auquel je suis extrêmement sensible. Il ne s'agit pourtant pas d'un problème de comptabilité, mais d'allocation de l'argent public. Cette question se pose toutes les fois que l'on investit de l'argent public : on doit se demander s'il est utilisé de manière efficace et s'il ne serait pas mieux utilisé ailleurs – je sais que cette conviction est aussi la vôtre.

Lorsque je dis « ailleurs », je ne parle pas de le dépenser hors du ferroviaire. Prenez le cas de la ligne Marseille-Vintimille : dans sa partie terminale, elle devrait fonctionner comme un RER ! La demande de transports ferroviaires de la part de la population qui vit entre Fréjus, Saint-Raphaël et la frontière italienne est considérable. Les autoroutes sont saturées et, dans les villes, les bouchons empêchent les déplacements. Aujourd'hui, cette demande n'est pas satisfaite parce que l'on n'est pas en mesure d'investir pour diminuer le noeud ferroviaire de Marseille, et pour accroître suffisamment la capacité de la ligne. Il faudrait investir un milliard d'euros sur la durée pour assurer, dans les meilleures conditions, le service public du transport de voyageurs dans cette zone, et répondre ainsi aux besoins sociaux exprimés. La rentabilité de ces lignes n'est pas en jeu.

Je vais choquer définitivement un certain nombre d'entre vous, en ajoutant que le bilan écologique des petites lignes n'est pas bon : elles ne sont pas électrifiées, elles fonctionnent avec des motrices diesel dont le bilan carbone n'est pas bon du tout. Ce n'est pas une raison pour les condamner. Elles peuvent, et elles doivent être maintenues dans beaucoup de cas. Je répète qu'il ne s'agit pas d'un problème de rentabilité mais de la question de la meilleure affectation, à l'intérieur du transport ferroviaire, des concours publics alloués par les pouvoirs publics et les régions.

J'ai été interrogé sur la réorganisation du groupe. J'ai dit déjà pourquoi il me semblait qu'il fallait changer la structure juridique de SNCF Réseau ; le problème est un peu le même pour SNCF Mobilités. Je pense que la gouvernance des EPIC n'est pas réellement adaptée à une activité industrielle et commerciale. Au-delà de ce sujet, comme de nombreux rapports – dont celui de MM. Gilles Savary et Bertrand Pancher – l'avaient très justement souligné, la forme d'EPIC de SNCF Mobilités n'est probablement pas en ligne avec les obligations européennes. Un très grand nombre de décisions ont déjà été prises concernant des établissements publics industriels et commerciaux français, selon lesquelles ce statut crée une distorsion de concurrence dès lors qu'il permet aux établissements en question d'accéder aux marchés financiers à des conditions de taux préférentielles.

Pour donner à SNCF Mobilités une meilleure gouvernance, et pour éviter la condamnation que la Cour de Justice de l'Union européenne a déjà prononcée à l'égard d'autres grands établissements publics français, il conviendrait sans doute d'anticiper et de modifier la forme juridique de l'entreprise.

J'en viens au rôle dévolu à l'EPIC de tête. Plusieurs organisations sont possibles, mais j'ai proposé de conserver un EPIC de tête, car je crois que l'EPIC ou la société de tête est fondamental pour réaffirmer l'unité du groupe ferroviaire. C'était l'esprit de la loi de 2014, et je pense qu'il doit être conservé. On peut débattre de la forme : doit-il s'agir d'un EPIC ou d'une société nationale à capitaux publics ? J'ai proposé que l'on conserve l'établissement public industriel et commercial. Demain, l'EPIC de tête devrait moins se concentrer sur des problèmes de gestion que de stratégie et de pilotage du groupe.

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