Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, les mots que vous venez de prononcer, monsieur le président, ont résonné dans les coeurs d'un écho particulier, je crois, sur tous les bancs de cette assemblée. Je pense à Richard Ferrand, à Éric Bothorel, son successeur, à Laure de la Raudière, son amie, et à tous ceux qui ont travaillé avec Corinne Erhel. Vos mots ont aussi résonné dans le coeur de plusieurs membres de ce gouvernement qui faisaient partie de ses amis proches.
Je n'ai pas eu cette chance. Bien sûr, je connaissais Corinne Erhel. Elle était ici un visage familier, toujours souriant, gai, concentré aussi, énergique toujours, décidé. Le respect immense qui l'entourait était proportionnel à sa modestie et, disons-le, à sa gentillesse. C'est là sans doute ce qu'il y a de plus frappant chez elle. Durant l'exercice de ses responsabilités, Corinne Erhel a fait briller les belles qualités de la politique : l'engagement, la simplicité, la franchise, l'humilité. Elle a prouvé que l'on pouvait mener une brillante carrière sans carriérisme et que l'on pouvait s'engager en politique sans violence ni calcul.
« Chose triste et fatale », s'exclamait Victor Hugo, « les ouvriers de l'intelligence sont emportés avant que leur journée soit faite ». Les journées de Corinne Erhel étaient bien remplies, trop peut-être, mais sans doute jamais assez pour elle qui était une travailleuse acharnée. Dans ses journées, il y avait sa terre natale, la Bretagne, terre qui l'a vue grandir et à laquelle elle s'est très vite consacrée jusqu'à devenir la première femme députée de la 5e circonscription des Côtes-d'Armor. Je ne reviendrai pas sur les détails de son parcours que vous venez de retracer, monsieur le président, mais je voudrais en souligner les grandes lignes de force.
Depuis dix ans, Corinne Erhel a sillonné en tous sens cette circonscription – Lannion, Paimpol, Tréguier – pour y assurer ses permanences tous les jours de la semaine. Elle s'y est battue sur tous les fronts avec une opiniâtreté toute bretonne – c'est un Normand qui le dit avec admiration – : sur le front économique, en soutenant la création du pôle technologique de Lannion ; sur le front social, en se mobilisant en faveur des salariés d'Alcatel-Lucent lors du rachat de l'entreprise par Nokia ; sur le front écologique, chacun se souvient de son combat pour la sauvegarde des côtes du Trégor et son opposition résolue au projet d'extraction du sable coquillier en baie de Lannion ; sur le front, peut-être le plus important, du quotidien. Je fais référence ici à ces milliers de rencontres qui nourrissent la vie et la réflexion d'un parlementaire, à ces sourires, ces critiques, ces encouragements, ces conseils et ces paroles qui apaisent, orientent et rassurent nos concitoyens.
Dans ses journées très remplies, il y avait, en outre, l'Assemblée nationale, dont la commission des affaires économiques occupait évidemment une place particulière. En dix ans, Corinne Erhel est devenue une spécialiste reconnue du numérique, signataire ou cosignataire de six rapports parlementaires sur le sujet. Cette conviction et cette passion pour le numérique et pour la transformation de notre société qu'il implique l'ont amenée à croiser un jour la route d'un ministre de l'économie qui défendait ce qui deviendra la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dont Corinne Erhel a été l'une des chevilles ouvrières. Cette loi a surtout été pour elle l'occasion de partager puis de défendre une vision commune de l'avenir.
Très vite, au contact du candidat Emmanuel Macron, elle a perçu la nature de la transformation qui se préparait et dont elle avait, grâce à son sens du collectif et de sa capacité à s'extraire des clivages traditionnels, anticipé les effets. C'est pourquoi elle a décidé, dès le lancement du mouvement En marche ! , de le rejoindre, sans renier ses convictions mais en l'assumant clairement. Elle s'y est engagée comme elle s'engageait dans tous ses combats, sans retenue, aux côtés d'un grand nombre d'entre vous. Elle a connu les doutes et les mises en cause inhérents à toute campagne puis ce souffle extraordinaire qui porte un candidat et un projet en phase avec les attentes d'un pays, jusqu'à ce soir de mai, à Plouisy, vers 20 h 30, où, sans crier gare, ce coeur pourtant si généreux a décidé de nous priver de sa présence. Ce dernier battement de coeur a suscité une immense onde de choc parmi ses proches et dans sa terre de Bretagne.
Je me souviens de cette phrase prononcée un jour par Philippe Séguin évoquant les terribles exigences et l'engagement entier qu'appelle parfois le service de la nation. Ces exigences et cet engagement font la noblesse de la mission que les Français nous ont confiée. Ils font surtout la noblesse de ceux qui, comme Corinne Erhel, vont parfois au bout de leurs limites pour l'accomplir. C'est dur, la politique, car cela implique forcément une part de renoncement : à ses proches, à ses passions et au confort parfois douillet de l'anonymat. C'est physique, aussi : il y a la fatigue, les kilomètres, les permanences, les séances de nuit, le stress, les dossiers. Cette âpreté physique et morale, nos concitoyens – et c'est normal – ne la perçoivent pas toujours, mais elle est réelle.
Gardons à l'esprit qu'elle est le prix d'immenses satisfactions qui, selon le mandat que l'on exerce, prennent des formes différentes : une PME qui s'installe, un quartier qui se transforme, une famille qui retrouve un logement, un enfant prometteur qui réussit, une loi importante qui voit le jour. Lors de ses obsèques, le Président de la République lui a rendu hommage en ces termes : « Il y a des personnes qui sont une grâce et qui, lorsqu'elles accompagnent des combats difficiles, permettent de ne jamais oublier le trésor que constitue l'humanité ». Oui, la politique peut être dure et injuste, mais elle est aussi très belle et très vertueuse, surtout quand elle prend les traits de personnalités comme Corinne Erhel.
Aucun hommage, si solennel soit-il, ne compensera la douleur de sa disparition. Les hommages passent et passeront, la peine demeurera, à commencer par celle de son mari, de sa belle-soeur et de son beau-frère, qui sont présents parmi nous, ainsi que celle de ses parents auxquels j'adresse, au nom du Gouvernement, mes plus sincères condoléances. Les hommages passeront, et nous – non pas en tant que personnes physiques, mais comme membres de l'Assemblée nationale et du Gouvernement – , nous resterons. Nous pouvons, je crois, faire quelque chose qui est à la fois simple et exigeant : nous inspirer de son exemple et emprunter ce chemin de travail et d'honnêteté qu'elle a tracé sans le savoir pour toutes celles et tous ceux qui siègent aujourd'hui dans cette assemblée.
Nous avons tous ici en commun avec Corinne Erhel, dont nous pouvons considérer qu'elle est aujourd'hui parmi nous, l'amour du pays, du débat et de l'engagement, des désaccords profonds aussi ; mais Corinne, c'est l'exemple d'un amour du pays, de l'engagement et du débat assorti d'un immense respect. Et si elle restait dans le coeur de chacun, y compris de ceux qui ne l'ont pas connue, comme un exemple de respect, alors elle aurait laissé une immense chose.