Le texte qui nous est soumis est inédit à plus d'un titre.
Tout d'abord, son élaboration est le fruit d'une large coécriture : l'initiative en revient au groupe majoritaire, avec le soutien des services de la Chancellerie ; ce travail s'est poursuivi la semaine dernière au Conseil d'État, qui a ainsi examiné – dans des délais particulièrement brefs – sa première proposition de loi issue de notre assemblée depuis le début de la législature.
Ce texte assure la transposition d'une directive européenne, qui ne sera donc pas le fait d'un projet de loi – c'est un fait inédit, à ma connaissance. Il faut dire qu'il y a urgence à adapter notre droit : la directive du 8 juin 2016 sur le secret des affaires ne laisse aux États membres que jusqu'au 9 juin prochain pour réaliser la transposition nécessaire.
Il faut également souligner que cette proposition de loi intervient après cinq tentatives infructueuses, en 2004, 2009, 2012, 2014 et 2015, pour donner au secret des affaires une définition en droit français. Nous allons combler un vide juridique, cette notion n'étant pas définie en droit positif. Sa protection relève, pour l'essentiel, de l'application jurisprudentielle des règles de droit commun de la responsabilité civile. À l'inverse, de nombreux pays qui sont nos concurrents économiques, en particulier les États-Unis, disposent depuis longtemps d'un arsenal législatif performant dans ce domaine.
La proposition de loi entend remédier à cette situation en dotant notre pays d'un cadre juridique clair, précis et efficace pour assurer la protection de nos entreprises contre l'espionnage économique, le pillage industriel et la concurrence déloyale. C'est une nécessité.
Sur le fond, la proposition de loi procède à une transposition fidèle. Elle reste au plus près de la directive et écarte, lorsque c'est possible, les adaptations inutiles.
Nous avons notamment préféré que les mécanismes de protection et d'indemnisation du secret des affaires ne soient mis en oeuvre que par la voie civile. L'idée d'une infraction pénale spécifique pour violation du secret des affaires, qui est sans doute à l'origine de l'échec des précédentes tentatives législatives, a ainsi été délibérément écartée.
À la suite des auditions de spécialistes de ces questions et, surtout, de l'avis du Conseil d'État, rendu la semaine dernière, j'ai déposé plusieurs amendements afin d'améliorer encore la rédaction de la proposition de loi et de lever quelques imprécisions. Avant que le débat ne s'engage, je souhaite attirer l'attention sur deux points en particulier.
Tout d'abord, je vous propose d'étendre à l'ensemble du contentieux civil et administratif les mesures spéciales qui peuvent être ordonnées par le juge afin de protéger le secret des affaires et ainsi d'aménager les règles procédurales et le principe du contradictoire. Ce sont des mécanismes qui existent déjà dans certaines matières, notamment devant l'Autorité de la concurrence. Cette solution présente l'avantage d'harmoniser les procédures applicables, quels que soient l'objet et le juge, ce qui va dans le sens d'une protection plus effective du secret des affaires. C'est une demande unanime des entreprises, des avocats, des magistrats de l'ordre judiciaire et du Conseil d'État.
Je vous propose aussi de créer un dispositif spécial, et assez inédit, pour lutter efficacement contre les procédures abusives dans le cadre du nouveau régime de protection du secret des affaires. Il s'agit de répondre aux craintes exprimées par les journalistes et les lanceurs d'alerte à propos des procédures dites « bâillons ». Ces stratégies judiciaires sont élaborées dans le seul but de déstabiliser l'adversaire en multipliant les procédures et en demandant des dommages et intérêts généralement très importants. J'ai déposé un amendement créant un régime autonome d'amende civile, avec un plafond majoré, en cas de procédures abusives ou de demandes de dommages et intérêts disproportionnés. En sanctionnant une demande manifestement non fondée ou une procédure engagée abusivement ou de mauvaise foi, nous répondrons à l'objectif, fixé par la directive, d'une protection plus effective des défendeurs. Ce sera un outil supplémentaire entre les mains du juge, qui restera maître de son utilisation au cas par cas, comme il est – et a toujours été – maître de l'articulation entre la liberté d'information et le secret des affaires.
Protéger nos entreprises tout en préservant la liberté d'informer : tel est l'office du juge. La directive et la proposition de loi n'y changent rien. Les équilibres sont respectés. Les journalistes, les lanceurs d'alerte et les représentants des salariés pourront continuer à faire leur travail, et c'est toujours le juge qui se prononcera, lors d'une procédure judiciaire, sur les dérogations dont ils pourront bénéficier en cas de révélation d'un secret des affaires.