Intervention de Christine Hennion

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Hennion, rapporteure pour avis de la commission des Affaires économiques :

Dans une économie de l'innovation en pleine transition numérique, la valeur ajoutée d'une entreprise, c'est-à-dire sa capacité à être compétitive et à créer de la richesse, dépend de plus en plus de ses actifs immatériels : les travaux collaboratifs des salariés, les savoir-faire et les procédés d'organisation innovants, mais aussi les données numériques, les programmes et les bases de données. Dans un même mouvement de dématérialisation de l'économie, les capacités techniques permettant de porter des atteintes illicites à des informations ayant une valeur économique dans les entreprises se sont considérablement accrues. En forçant un peu le trait, on peut dire que l'espionnage industriel ne consiste plus à s'introduire physiquement dans une usine pour voler un prototype, mais à pénétrer à distance dans des systèmes d'information afin de copier un algorithme. Selon la direction générale des entreprises, plus de 1 000 actes hostiles significatifs sont recensés chaque année à l'encontre des acteurs économiques. En réalité, la situation est probablement encore plus dégradée, car certaines intrusions parviennent à demeurer inaperçues.

Dans ce contexte, le cadre juridique actuel n'est plus suffisant pour protéger efficacement les informations sensibles des entreprises. La propriété industrielle – le droit des brevets et des marques – et le droit d'auteur – pour les logiciels d'entreprise – n'offrent que des réponses imparfaites aux nouvelles exigences de protection. La commission des Affaires économiques souhaite que les entreprises puissent avoir recours aux instruments du droit pour se défendre contre les actes malveillants. La sécurité juridique est une composante essentielle d'un bon écosystème de l'innovation, et il ne faut pas oublier que certains de nos concurrents se servent du droit comme arme d'intelligence économique. Notre commission est ainsi très impliquée dans les travaux de la commission d'enquête sur les décisions de l'État en matière de politique industrielle – je pense en particulier à la procédure de discovery, qui force nos entreprises à divulguer un nombre considérable d'informations sensibles aux juridictions américaines dans le cadre de litiges parfois très indirects.

La législation européenne sur le secret des affaires, entrée en vigueur en 2016 et que nous transposons aujourd'hui, est d'autant plus cruciale que les États ne sont pas uniquement des arbitres dans la course mondiale à l'innovation et aux parts de marché : ils interviennent directement ou indirectement, de manière offensive et défensive, en faveur des intérêts économiques de leurs entreprises. Le retard pris par l'Union européenne par rapport aux États-Unis ou à la Chine, qui considèrent l'influence économique comme un axe essentiel de leur politique extérieure, s'estompe partiellement grâce à cette directive européenne. Sa transposition dans notre droit interne est donc particulièrement attendue par les acteurs économiques.

Notre société de l'innovation est également une société de l'information. La transparence politique et économique est devenue un standard démocratique qui irrigue l'ensemble de la société civile et du monde économique. Les « affaires », qui correspondent à des actes illégaux ou commis dans l'intérêt de quelques-uns au détriment de l'intérêt général, sont de moins en moins tolérées par l'opinion publique. L'irruption de la société civile dans le milieu économique, pour en dénoncer les excès, par le biais de l'alerte éthique ou du journalisme d'investigation, contribue au renouvellement de l'effort démocratique dans notre pays et doit donc être protégée au même titre que le secret des affaires.

La commission des Affaires économiques s'est saisie pour avis des questions relevant de l'intelligence économique, qui entrent directement dans son champ de compétences. Nous avons examiné le texte hier, pendant plusieurs heures, et je présenterai tout à l'heure les trois amendements adoptés à cette occasion. La Commission que je représente partage très largement les choix de transposition qui ont été faits dans le cadre de cette proposition de loi : c'est une transposition qui correspond à une véritable ambition en matière de protection du secret des affaires. Dans le même temps, la proposition de loi ne fait aucune concession sur le terrain de la défense des droits et des libertés fondamentales.

Enfin, je voudrais insister sur la coopération entre les États membres de l'Union européenne : c'est un point de vigilance au sujet duquel nous avons adopté un amendement. Selon le considérant 33 de la directive, « afin de faciliter l'application uniforme des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive, il convient de prévoir des systèmes de coopération et des échanges d'informations entre les États membres, d'une part, et entre ceux-ci et la Commission, d'autre part, notamment en mettant en place un réseau de correspondants désignés par les États membres ». Ce n'est pas prévu dans la proposition de loi alors que c'est un point fondamental. L'Union européenne doit créer un réseau intégré et harmonisé dans le domaine de l'intelligence économique afin de protéger ses intérêts et ceux de ses entreprises. Je propose qu'un correspondant national soit en charge de ce réseau d'intelligence économique, d'abord au plan national puis en lien avec ses homologues européens. Il pourrait s'agir du commissaire à l'information stratégique et la sécurité économiques (CISSE), qui a été créé par décret en 2016. Nous pourrons en débattre, mais un fondement législatif me paraît indispensable pour souligner le caractère impérieux d'une telle coordination européenne.

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