–Ce rendez-vous annuel avec l'Office nous réjouit. L'objet de cette audition habituelle est de vous présenter le rapport de l'Agence pour 2016. Nous le complèterons avec les données de 2017 et les éléments dont nous disposons sur la loi de bioéthique.
L'Agence a reçu quatre champs de compétence en héritage de l'Établissement français des greffes, du Registre France Greffe de Moelle et de quelques commissions ministérielles : le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus, le prélèvement et la greffe de cellules souches hématopoïétiques, donc la moelle osseuse, l'assistance médicale à la procréation et, enfin, l'embryologie et la génétique humaines, qui comprennent la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Ces champs de compétence recouvrent les thérapeutiques qui font appel à des éléments et des produits du corps humain. Le fil rouge de l'Agence est de soigner l'homme par l'homme, ce qui requiert un haut niveau de technicité et une approche pluridisciplinaire à la frontière de la science, de la médecine mais aussi de l'éthique, du droit, voire de la statistique et de l'informatique.
Par rapport à une agence sanitaire classique qui encadre, évalue et accompagne, nous avons la particularité de conduire des missions opérationnelles. Nous assurons, par exemple, la répartition des organes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans l'ensemble du territoire et nous exerçons aussi une mission de promotion des dons d'organes, de cellules et de tissus. Nous sommes très attachés aux valeurs d'humanisme et de solidarité qui fondent l'éthique du don à la française mais aussi à celles de la transparence et de l'équité, indispensables pour construire le socle de confiance sur lequel nous développons nos activités.
L'Agence est une collectivité de 160 personnes qui reçoit le concours de professionnels de santé et d'associations, d'autres acteurs institutionnels et d'autres agences. On utilise souvent l'image de la chaîne de solidarité pour qualifier le processus de la greffe : nous sommes un maillon de cette chaîne et nous ne pouvons rien faire sans les autres maillons, notamment les équipes de recherche en milieu hospitalier qui contribuent à nos travaux.
En ce qui concerne le rapport d'activité, l'année 2016 a été extrêmement importante pour l'Agence. Les chantiers structurels qu'elle a menés ont produit leurs effets en 2017 avec, notamment, l'élaboration de plans ministériels comme le troisième plan pour la greffe d'organes et de tissus, le nouveau plan sur les prélèvements et les greffes sur les cellules souches hématopoïétiques et le plan d'action sur la procréation, l'embryologie et la génétique humaines. Ces plans définissent la feuille stratégique de l'Agence pour la période 2017 à 2021 en impliquant l'ensemble de ses partenaires. Ils traduisent le maintien de la confiance des pouvoirs publics dans notre activité et constituent un outil fort de légitimation.
L'Agence a également signé un contrat d'objectifs et de performance pour la période 2017 à 2021, qui l'engage de manière ambitieuse puisque nous sommes censés atteindre l'autosuffisance en matière de dons de gamètes d'ici 2021.
Nous avons aussi travaillé à la mise en oeuvre de la loi de modernisation de notre système de santé votée en 2016. La réforme de la gouvernance de l'Agence a été le premier chantier sur lequel nous nous sommes concentrés, avec l'entrée des associations dans notre conseil d'administration. Elles étaient déjà représentées au sein du Conseil d'orientation, qui est l'instance la plus importante de l'Agence. La démocratie en santé et l'expertise des associations constituent des apports essentiels à nos travaux. Le transfert à l'Agence de la biovigilance des organes, tissus et cellules, relevant précédemment de l'Agence du médicament, nous a permis d'affiner notre regard en matière de qualité et de sécurité des soins.
La clarification des modalités d'expression du refus de prélèvement d'organes et de tissus a constitué un troisième chantier. Sur ce point, je vous renvoie à la communication du député Jean-Louis Touraine devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 20 décembre dernier, qui éclaire les premiers résultats de ce dispositif entré en vigueur au 1er janvier 2017. Ces trois chantiers guideront notre action dans les années à venir.
Les années 2016 et 2017 ont été extrêmement dynamiques pour les activités dont nous avons la charge. Toutes les données figurent dans le rapport d'activité. Le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus ont progressé de 17 % en cinq ans, avec 5 900 greffes réalisées dans notre pays en 2016. Les besoins restent importants et augmentent malheureusement plus vite que notre activité. Cette dynamique positive s'est poursuivie en 2017, puisque nous avons dépassé le seuil symbolique des 6 000 greffes en France, avec précisément 6 100 greffes réalisées.
Le programme Maastricht III autorise le prélèvement d'organes ou de tissus sur les donneurs pour lesquels une décision de fin d'arrêt de réanimation de soins a été prise, dans le cadre de la loi sur la fin de vie. Une phase pilote avait été lancée en décembre 2014, grâce à une impulsion décisive donnée par l'Office lors d'une audition de février 2013. Le programme fonctionne très bien, dans de remarquables conditions éthiques et avec des résultats qualitatifs significatifs en termes de reprise de greffes, ce qui mérite d'être salué. Plus de 230 greffes ont été réalisées dans ce cadre en 2017. Pas moins de 20 centres participent à cet exercice, tous dans le cadre d'un projet d'établissement auquel adhère l'ensemble de la collectivité hospitalière.
Bien évidemment, nous travaillons aussi sur l'organisation, en menant des travaux plus qualitatifs. Le programme de télétransmission d'images, Cristal-image, a été mis en place, au cours de l'année 2016 grâce à un financement de la Direction générale de l'offre de soins. Plus de 1 000 dossiers ont été visualisés. Le programme offre aux professionnels un outil d'aide à la décision qui leur fait gagner du temps, ce qui est particulièrement efficace dès lors que leur activité s'exerce dans l'urgence.
Nous développons un travail sur l'équité avec un score national sur le coeur destiné à assurer une répartition des organes sur l'ensemble du territoire, en tenant compte de la situation d'urgence dans laquelle se trouvent les patients ou de la nécessité de leur fournir un meilleur appariement en fonction de leur âge et de leur statut immunologique. Ce score est effectif depuis janvier 2018.
En ce qui concerne les cellules, le Registre France Greffe de Moelle a fêté ses 30 ans en 2016 et se porte bien. La semaine dernière était celle de la mobilisation nationale sur le don de moelle osseuse. En 2017, pas moins de 278 000 personnes se sont inscrites sur le registre, avec un rajeunissement certain. Il reste à mobiliser plus d'hommes jeunes et, si possible, issus de la diversité, car l'enjeu est simple : en dehors de la fratrie, on a une chance sur un million de trouver un donneur compatible, ce qui signifie que chaque donneur compte.
En matière d'assistance médicale à la procréation, l'enjeu a été de poursuivre la structuration de l'activité en actualisant les règles de bonne pratique. Un travail de concertation a été mené tout au long de l'année 2016, de sorte que les nouvelles règles ont été rendues publiques à l'été 2017.
Un travail important a été réalisé pour promouvoir le don de gamètes, compte tenu de la situation de pénurie dans laquelle nous nous trouvons, notamment sur le don d'ovocytes. L'année 2016 a été consacrée à la mise en oeuvre des nouvelles dispositions qui autorisent les personnes qui n'ont pas procréé à donner leurs gamètes, faculté qui avait été ouverte par la loi de bioéthique de 2011 mais dont le décret d'application n'a été pris qu'à la fin de 2015 pour une application en 2016.
Enfin, pour ce qui est de la génétique et de l'embryologie, l'Agence a oeuvré en soutien à la Haute autorité de santé, qui a rendu publiques en 2017 des recommandations sur le diagnostic prénatal non invasif de la trisomie 21. Il s'agit d'analyser l'ADN foetal qui circule dans le sang de la mère grâce à une prise de sang. Ce sujet très sensible nécessitait une vraie réflexion éthique.
Dans tous ces chantiers, les résultats sont extrêmement encourageants et de vrais progrès ont été réalisés. Les besoins restent extrêmement importants et continuent de croître, ce qui suppose une mobilisation sans faille autour du contrat d'objectifs et de performance et des plans sur lesquels nous sommes engagés. Encore une fois, on a recensé plus de 6 100 greffes à la fin de 2017 et l'objectif à atteindre en 2021 est de 7 800 greffes. La mobilisation est essentielle. Les acquis ne sont jamais certains. Il faut rester vigilant.
La loi sur la bioéthique est un autre chantier qui s'ouvre et qui vous concerne au premier plan. C'est une lourde responsabilité. Les lois de bioéthique, vous le savez mieux que quiconque, sont particulières car elles font société et construisent le vivre-ensemble dans des domaines sensibles et très évolutifs. Elles traduisent un équilibre social, un équilibre des connaissances et des sciences. Elles méritent un mûrissement particulier, une méthodologie spécifique que vous connaissez bien. D'où les états généraux, dont le pilotage a été confié au Comité consultatif national d'éthique (CCNE). L'Office y joue un rôle éminent puisqu'il lui revient de procéder à une évaluation de l'application des lois de bioéthique.
L'Agence de la bioéthique y prendra aussi toute sa part. Elle a été créée par les lois de bioéthique qui encadrent l'essentiel de son activité. Il s'agit d'un établissement public sous tutelle, auquel il n'appartient pas de faire la loi mais de l'appliquer. Il ne lui appartient pas non plus de prendre position dans les débats de société et nous sommes tenus à une certaine neutralité dans le cadre des états généraux. Nous jouerons notre rôle d'experts et d'information auprès du Parlement et du Gouvernement. Notre expertise est pluridisciplinaire car elle se nourrit de la diversité de nos métiers, de notre expérience de terrain et de nos contacts permanents avec les associations, les professionnels de santé et les autres acteurs institutionnels. C'est aussi une expertise spécialisée sur le champ historique de la loi de bioéthique. Nous répondons aux demandes d'information du Parlement et du Gouvernement, nous appuyons les travaux du CCNE, nous rendons publics des documents pour éclairer et nourrir le débat. À ce titre, nous avons commencé à réactualiser le document qui définit l'état de l'encadrement international car, même si comparaison n'est pas raison, elle peut nourrir notre réflexion, malgré la très forte hétérogénéité qui règne en Europe et dans le monde en ce qui concerne nos activités.
En décembre dernier, nous avons rendu notre rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur l'état des connaissances et des sciences. Dans certains secteurs relativement anciens, les progrès technologiques sont considérables avec, par exemple, des machines à perfusion d'organes pour gagner en performance. La génomique est en évolution permanente, ce qui donne lieu à des ruptures technologiques ou scientifiques qu'illustre bien le fameux CRISPR-Cas9, ce ciseau moléculaire sur lequel vous avez rendu un rapport très éclairant et dont on développerait déjà, aux dernières nouvelles, la version 13.
Enfin, nous avons rendu public en janvier le bilan d'application de la loi de bioéthique dans le champ de compétences de l'Agence. Nous ne prétendons pas faire un bilan de l'application transversale de de cette loi mais expliquer le cadre issu des différentes lois de bioéthique qui se sont succédé dans le temps et tracer des pistes de réflexion pour ouvrir la discussion. Ce rapport montre que les lois de bioéthique ont globalement répondu aux attentes. Grâce à la mobilisation de tous, notamment des acteurs de terrain, elles ont réussi à encadrer le développement des activités en laissant ouvert le champ de l'innovation.
Le dispositif législatif et réglementaire français est parmi les plus aboutis en Europe et dans le monde. L'éthique est un questionnement permanent et le rapport fait ressortir les grands débats de société prégnants dans le domaine de l'assistance médicale à la procréation : extension du champ de l'assistance médicale à la procréation, insémination post-mortem, principe de l'anonymat du don de gamètes, etc. Tous ces sujets sont débattus dans le cadre des états généraux et mobilisent l'attention médiatique.
À ces questionnements s'ajoutent des besoins d'ajustement nés du constat qu'un certain nombre de dispositifs fonctionnent mal. Par exemple, la loi de 2011 a ouvert la possibilité d'un don croisé d'organes pour des personnes en situation d'impasse immunologique. Les conditions posées étaient tellement encadrantes que l'activité ne s'est pas développée.
L'évolution des pratiques médicales constitue un autre type d'ajustement. En 2011, on a développé les registres permettant de trouver des donneurs de cellules souches hématopoïétiques compatibles en dehors de la fratrie et mis en place 73 registres de ce type connectés dans le monde. Cette solidarité internationale donne accès à des millions de donneurs.
Alors qu'en 2011, on avait placé beaucoup d'espoir dans le sang placentaire, c'est-à-dire le sang du cordon ombilical, les attentes ont été en partie déçues. Le sang de cordon continue à être utilisé dans la stratégie thérapeutique mais pas forcément autant qu'on avait pu l'espérer. Désormais, on privilégie la technique du semi-compatible et le don enfants-parents. Cependant, l'encadrement législatif ne couvre pas toutes les hypothèses. Faut-il, par exemple, ouvrir le champ des dérogations aux prélèvements sur les mineurs lorsque le prélèvement sur les parents n'a pas été efficace ?
Enfin, les techniques ont connu des évolutions très significatives, qu'il s'agisse du séquençage nouvelle génération, avec tout ce que cela implique sur la génomique, ou de l'utilisation du haut débit, voire du très haut débit, qui rend possibles des études génomiques de plus en plus étendues, de moins en moins coûteuses et de plus en plus rapides, de sorte qu'il est désormais moins coûteux de séquencer l'ensemble d'un génome plutôt qu'une partie ciblée. Des questions éthiques se posent, notamment celle de la durée de culture des embryons dans le cadre de CRISPR-Cas9 : la boîte noire des 7 jours ne semble plus suffire et l'on s'interroge sur la possibilité d'aller jusqu'à 13 jours, voire au-delà. Ces questions seront débattues dans le cadre des états généraux, à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Quoi qu'il en soit, il faudra veiller à bien mesurer ce qui relève de la loi et ce qui n'en relève pas, car tout n'est pas législatif. Nous devrons aussi travailler sur l'organisation des soins sous un angle éthique, en tenant compte de la relation du système de santé avec les patients.
En outre, nous évoluons dans un contexte de juridictionnalisation croissante des lois de bioéthique, tout particulièrement dans les domaines de l'assistance médicale à la procréation et de la recherche sur l'embryon et les souches embryonnaires humaines. Cela nécessitera de s'accorder sur le degré de précision que nous souhaitons donner à la loi. Par exemple, est-ce au régulateur et, in fine, au juge de fixer une limite d'âge de procréation pour les pères ? De même, le législateur avait encadré, dans la loi de 2011, les manipulations en matière d'embryon transgénique et de création de chimères. Cependant, l'évolution du contexte scientifique nécessite de clarifier ces notions.
Par ailleurs, là où on applique, en France, la même règle pour tous, les lois de bioéthique étant générales et impersonnelles, la Cour européenne des droits de l'homme regarde chaque situation individuelle et tient compte des particularités de chaque cas, selon ce que l'on appelle une approche « casuistique ».
Enfin, sous l'influence des médias, certains sujets prennent le pas sur d'autres si bien que nous devons veiller à donner leur importance à chacun. Ce n'est pas parce qu'un sujet est technique ou ardu, d'un point de vue scientifique et médical, qu'il ne doit pas être traité sous un angle éthique.