– À la suite de mon rapport intitulé « De la Biomasse à la bioéconomie : une stratégie pour la France », publié voilà deux ans, j'ai voulu approfondir les relations entre les sols et le carbone.
Les sols jouent un rôle important mais longtemps sous-estimé en matière de réchauffement climatique et de sécurité alimentaire. Ils sont d'importants réservoirs de carbone, sous la forme de matière organique. Ainsi, loin d'être de simples surfaces, ce sont des volumes aux propriétés physicochimiques complexes et nécessaires à la vie.
Leur préservation est importante car des évolutions, même faibles, des stocks de carbone du sol ont des effets majeurs sur leur fertilité, donc sur la productivité agricole et, à l'échelon global, au travers du cycle des gaz à effet de serre. Le sol émet du dioxyde de carbone, gaz à effet de serre, lors de la dégradation des matières organiques, mais il contribue aussi au stockage du carbone.
Le sol peut stocker, dans certaines conditions, plus de carbone qu'il n'en émet ; il y a d'ailleurs plus de carbone dans le sol – 1 500 milliards de tonnes de carbone dans le monde – que dans la végétation et dans l'atmosphère réunies. Les émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre sont d'environ 9 milliards de tonnes ; la photosynthèse en absorbe environ 3 milliards de tonnes et les océans 2 milliards de tonnes, le solde restant dans l'atmosphère. Avec l'initiative « 4 ‰ », on pourrait accroître le stockage de carbone dans le sol, contrebalançant ainsi ce surcroît d'émission de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.
En outre, le climat influe sur la teneur en carbone des sols, tant par les entrées que par les sorties. Le sol fait donc figure d'acteur-clé dans les cycles biogéochimiques du carbone. Les flux de carbone dans les sols dépendent de nombreux facteurs : la nature des écosystèmes, la quantité et la nature des apports de matière organique et l'activité biologique. Antoine Becquerel, ancêtre de Henri Becquerel, avait déjà étudié, en 1853, l'incidence des sols boisés ou non boisés sur le climat ; on est toujours sur ce chantier… Les sols sont marqués par une grande diversité et la quantité de matière organique fluctue selon les facteurs évoqués ; entre les tourbières, les zones forestières, les zones agricoles et les zones artificialisées, voire imperméabilisées, les écarts sont très importants.
La durée de résidence du carbone dans le sol est de quelques décennies en moyenne, mais elle s'étend de quelques heures à plusieurs millénaires. Cette durée est allongée par l'association de la matière organique aux particules minérales du sol, en particulier à l'argile.
Ce processus est complexe et il est difficile de déterminer l'impact du labour sur ce phénomène. Dans les zones tempérées, on laboure tous les deux ou trois ans, mais le labour, comme les retournements de prairie, favorisent les émissions de dioxyde de carbone et empêchent l'accumulation et la résidence du carbone. La dégradation des sols réduit donc la capacité de stockage du carbone.
J'ai identifié trois recommandations principales que l'Office pourrait formuler. En premier lieu, il faut poursuivre et amplifier l'initiative 4 ‰ à l'échelon international, en éclairant les mesures à mettre en oeuvre. Par exemple, il faut mettre fin à la déforestation, au retournement des prairies, à l'artificialisation des sols et encourager la couverture permanente des sols agricoles pour viser, disons, 11 mois par an.
En second lieu, il convient de concevoir une politique agricole incitative au stockage de carbone dans les sols. Cela implique de rémunérer les services écosystémiques des agriculteurs et d'éviter de laisser les sols à nu. Il faut estimer le coût de la nouvelle PAC au regard de son bilan carbone. Ainsi, l'octroi d'une prime de trente euros par tonne de carbone stocké coûterait 3,5 milliards d'euros, soit 6 % de la PAC actuelle, si l'on s'appuie sur un potentiel maximal de stockage de 115 millions de tonnes dans l'Union européenne.
En troisième lieu, il faudrait se doter d'une stratégie nationale sur les sols et mettre en oeuvre l'initiative 4 ‰ selon une approche territoriale, en veillant à la cohérence des actions grâce à l'association du ministère de l'agriculture et du ministère de la transition écologique et solidaire.