Intervention de Maya Bacache-Beauvallet

Réunion du mardi 27 mars 2018 à 8h30
Commission des affaires sociales

Maya Bacache-Beauvallet :

C'est un honneur pour moi d'être parmi vous ; un honneur teinté d'émotion car je suis appelée à remplacer François Bourguignon, éminent économiste qui a été l'un de mes professeurs. J'espère être à la hauteur de ce passage de témoin, de génération et de genre.

Professeur en sciences économiques à l'école d'ingénieurs Telecom-Paristech, je me définirai comme une macroéconomiste spécialiste d'économie publique, de l'État, au sens large.

Mes travaux de recherche sur les pouvoirs publics comprennent trois volets susceptibles d'intéresser le Haut Conseil : les finances publiques – dépenses et fiscalité publiques – ; les politiques publiques et leur efficience ; les hommes et les femmes qui font l'État, autrement dit les agents publics et les fonctionnaires, donc l'emploi public et la masse salariale de l'État. À cela s'ajoute un quatrième volet, le numérique, qui a priori n'a rien à avoir avec le champ couvert par le Haut Conseil. Je dis a priori car en réalité, le numérique a un impact très important sur l'action publique, sur la modernisation de l'administration et sur les données nécessaires à l'évaluation et à la prévision macroéconomique.

Je me suis consacrée aux finances publiques dès la rédaction de ma thèse, dont le premier chapitre portait sur les ajustements budgétaires, qu'il s'agisse de leur nécessité et de leur impact macroéconomique ou de leur économie politique. Comment arriver à un consensus politique ? Comment les luttes de pouvoir s'installent ? Sur quel équilibre politique repose la décision de diminuer les dépenses publiques ou d'augmenter les impôts ?

Il se trouve que les finances publiques sont aussi l'objet de mon plus récent travail de recherche. Pour le Conseil d'analyse économique (CAE), dont je suis membre, j'ai rédigé une note avec d'éminents économistes sur les conditions de réduction des dépenses publiques en France.

Le numérique a également sa place dans l'étude des finances publiques. Vous le savez, la fiscalité numérique est un enjeu très important en ce moment. Avec des chercheurs de la Paris School of Economics (PSE) et de la Toulouse School of Economics (TSE), nous avons mené un travail sur les conséquences d'une imposition des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a été votée en 2001 au moment où je finissais ma thèse et j'ai très vite été amenée à travailler sur l'évaluation des politiques publiques. Mes analyses ont porté sur un champ a priori très éloigné de l'évaluation : la justice. Il me semblait important d'étudier des secteurs régaliens, plutôt symboliques, pour déterminer s'il était possible de quantifier et d'évaluer la performance du système judiciaire et faire en sorte de conserver la qualité du service tout en optimisant les dépenses.

Très vite, il m'est apparu que travailler sur les politiques publiques et la réforme de l'État ne pouvait pas se faire sans comprendre le fonctionnement de l'emploi public : la motivation des agents, leurs carrières, les éléments permettant de les rendre plus efficaces, plus ouverts, plus coopératifs. Je me suis donc attachée au management public. Ce qui m'a beaucoup amusée, c'est de cerner la manière dont les politiques publiques font l'objet d'anticipations rationnelles de la part des agents et d'analyser comment les pouvoirs publics sont conduits à les contourner.

Le dernier volet de mes recherches est le numérique, qui transforme en profondeur l'action publique. L'administration numérique est un moyen de réduire les dépenses ou de les optimiser mais, plus largement, elle modifie le rapport aux citoyens. Certains vont jusqu'à parler d'« État-plateforme », notion qui permet d'intégrer le fait que l'usager coproduit le service public avec l'agent. Le numérique intervient aussi dans l'ouverture des données et leur transparence.

Voici, rapidement présentées, les quatre dimensions de mes recherches, qui seront, je le crois, utiles dans le cadre de mes fonctions au Haut Conseil.

J'aimerais maintenant vous indiquer quels sont, pour moi, les trois défis attachés à ma future nomination.

Lorsque j'ai commencé mes recherches, l'économie ne m'a intéressée que parce que c'est une science qui veut expliquer le monde contemporain, une science qui nous met en prise avec la réalité. La tâche de l'économiste n'a d'intérêt, selon moi, que si elle aide à la décision, que si elle oriente et guide l'action publique. Cette préoccupation explique mes passages au Trésor, à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et mon travail au sein du CAE. L'entrée au Haut Conseil constitue à mes yeux une forme de participation à l'action publique.

Le Haut Conseil est aujourd'hui une institution installée : elle est écoutée, elle est crédible, elle est légitime. Ses avis sont lus et reconnus, notamment par le monde académique. L'un des enjeux qui m'intéressent particulièrement est le débat lancé dans les années 2000 par Jean-Jacques Laffont sur la réforme de l'État : l'action de l'État n'est plus crédible, un doute pèse sur les motivations des hommes politiques et des fonctionnaires eux-mêmes et, dans ce contexte, il est nécessaire de se tourner vers des institutions de régulation et de contrôle qui redonnent de la légitimité aux instances politiques traditionnelles. En participant au Haut Conseil, j'aimerais contribuer à mener cette réflexion à son terme.

Le troisième défi est pour moi essentiel, c'est la question de la prévision. Galbraith disait que le seul avantage de la prévision économique était de rendre l'astrologie un peu plus rationnelle. Est-ce à dire que les économistes sont incapables de prévoir ? Je me souviens de mon premier cours d'économie avec Daniel Cohen à l'École normale : la seule différence avec la science dure, nous a-t-il expliqué, c'est que la science économique ne peut pas prévoir. Si un ingénieur dit qu'un pont va s'écrouler quand un train passera dessus avec telle charge, tel jour à telle heure, le pont s'écroulera dans les conditions qu'il a décrites ; si un économiste dit que demain, il y aura une crise, la crise n'aura pas lieu demain mais le jour même car en économie, toute annonce modifie le comportement des agents et la rend caduque. Cette difficulté est inhérente à la prévision économique. Ce n'est pas la compétence de l'économiste qui est en cause mais le fait que l'homme est un agent rationnel qui modifie ses comportements. Entre économistes, nous nous référons à la critique de Lucas, qui a maintenant une quarantaine d'années. Toute politique économique se heurte à l'écueil suivant : elle anticipe ses effets à action donnée des agents alors que ceux-ci anticipent les effets de cette politique et modifient leurs actions en conséquence. Nous sommes sans cesse renvoyés à la difficulté de la prévision et c'est ce qui en fait un défi intéressant. Comment intégrer la liberté des agents et leur propension à modifier leurs comportements ?

Le jeu entre la politique publique et la modification par l'agent de son propre comportement, nous l'appelons l'incohérence intertemporelle. Dans le cas du Haut Conseil, cela a une incidence précise. Le Gouvernement anticipant les avis de l'organisme régulateur va ex ante faire une annonce crédible. Et que le Haut Conseil puisse constater que les prévisions du Gouvernement sont correctes est le meilleur signe de son succès : cela signifie qu'il a eu une influence sur les actions du Gouvernement avant même qu'il les évalue.

Sachez, mesdames, messieurs les députés, que je prendrai ma mission à coeur et que j'ai hâte de la mener à bien, tant elle me paraît passionnante.

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