Intervention de Julien Dive

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 8h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive, rapporteur :

Madame la présidente, je voudrais d'abord vous remercier de votre accueil au sein de votre commission, puisque je siège traditionnellement à la commission des affaires économiques et que j'ai rejoint spécialement la vôtre pour l'examen de cette proposition de loi. Je remercie également les commissaires, qui ont accepté de venir une heure plus tôt ce matin.

Mon rapport a été construit en plusieurs étapes, la dernière d'entre elles étant les auditions que j'ai conduites avec les représentants des organisations syndicales et les représentants patronaux, ainsi qu'avec des économistes. J'ai également échangé avec le ministre de l'action et des comptes publics. Mais, comme vous, je m'entretiens aussi régulièrement avec des salariés qui me font part de leur quotidien. Les meilleures auditions ne sont-elles pas celles que nous menons sur le terrain ?

Notre pays retrouve enfin le chemin de la reprise économique, avec des indicateurs économiques au vert et un taux de croissance de 2 % qui n'avait plus été atteint depuis 2011 : cette évolution est principalement dûe à la reprise de l'investissement des entreprises.

Cette nouvelle doit nous réjouir. Elle devrait toutefois également nous alerter sur la grande absente de cette reprise : la consommation des ménages. Le ralentissement de la consommation des ménages se poursuit en effet, puisqu'elle est déjà en recul de 1,9 % sur les premiers mois l'année 2018.

Contrairement à l'investissement des entreprises, la consommation est aujourd'hui freinée par un pouvoir d'achat en berne, qui résulte notamment de l'étalement de la baisse des cotisations sociales sur l'année 2018 – contrairement à l'augmentation de la CSG qui, elle, fut immédiate, au 1er janvier 2018.

Cette situation n'est pas viable et fait peser un risque sérieux sur le retour de la croissance. De fait, les seuls facteurs exogènes – notamment l'élan du commerce mondial – ne suffiront pas à confirmer cette tendance. Une croissance forte et durablement établie à 2 % passe aussi par le retour de la consommation des ménages et des gains immédiats de pouvoir d'achat.

La proposition de loi n° 702 relative à l'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires que je présente ce matin au nom du groupe Les Républicains s'inscrit résolument dans cette perspective de soutien au pouvoir d'achat. Pour ce faire, elle mobilise un outil qui a fait ses preuves par le passé : l'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires et complémentaires.

Mis en place en 2007 par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi « TEPA », ce dispositif a été supprimé au moment de l'alternance de 2012, sans qu'aucune autre mesure ne soit venue s'y substituer. Pourtant, certains parlementaires de l'époque, désormais ministres, avaient en 2013 utilisé leur pouvoir d'initiative législative pour déposer une proposition de loi en faveur d'une défiscalisation des heures supplémentaires.

Cette absence d'alternative a précisément conduit à replacer le sujet de l'exonération des heures supplémentaires au coeur du débat public. La longueur de la liste des soutiens à cette mesure n'a d'égal que l'importance des fonctions qu'ils occupent aujourd'hui.

Côté Gouvernement, le Premier ministre, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont, de longue date – j'y ai fait référence –, exprimé leur volonté de voir le dispositif rétabli. Le Président de la République a lui-même inscrit l'exonération sociale des heures supplémentaires dans son programme présidentiel.

Côté Parlement, l'ancien Premier ministre Manuel Valls, actuellement député de la majorité, a reconnu que la suppression de cette mesure constituait l'une des plus importantes erreurs du quinquennat précédent. Ne déclarait-il pas, sur France Info, le 8 février dernier : « Les classes moyennes ont un besoin de pouvoir d'achat. Il faut poursuivre les réformes en ce sens avec la défiscalisation des heures supplémentaires. » ?

Je salue par ailleurs la volonté portée par la présidente de notre commission de voir cette mesure rétablie dans les plus brefs délais.

Pourquoi tant de soutiens éminents apportés à un dispositif pourtant supprimé ? La réponse est simple : les effets bénéfiques et concrets de l'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires sont vérifiés, et ce quel que soit l'objectif poursuivi.

S'agissant de la durée du travail, tout d'abord, l'augmentation du nombre d'heures supplémentaires est incontestable : il serait passé de 110 millions d'euros par trimestre en 2007 à 190 millions d'euros en 2012.

S'agissant des gains de pouvoir d'achat, ensuite, l'exonération aurait représenté l'équivalent d'un demi-treizième mois pour les salariés en bénéficiant. C'est autant de pouvoir d'achat qui circule ensuite au coeur de l'économie, autant de recettes fiscales par effet de ricochet sur la TVA, notamment.

S'agissant de la compétitivité, enfin, l'exonération de cotisations patronales a constitué un tel atout qu'elle a été maintenue pour les TPE-PME. L'enjeu est désormais de la rétablir pour les entreprises de plus de 20 salariés.

L'impact de l'exonération sur l'emploi a pu faire l'objet d'interrogations par le passé. Les études, qui soulignent l'ambivalence des résultats, se retrouvent néanmoins sur un constat partagé : la très forte dépendance à la conjoncture économique. Contrairement à ce qui fut le cas dans la situation extrêmement dégradée connue il y a dix ans, à savoir la crise de 2008-2009, la mesure aurait un impact favorable sur l'emploi dans le contexte de reprise économique où nous nous trouvons.

Pourquoi tarderions-nous donc avant de mobiliser cet outil ? Non seulement il soutiendra la croissance de l'activité, mais il amplifiera aussi les créations d'emplois qui sont constatées depuis quelques mois. L'expérience conduite entre 2007 et 2012 nous offre aujourd'hui un recul précieux afin de légiférer efficacement.

Les auditions que j'ai menées avec les syndicats, le patronat et des économistes ont permis de mettre en lumière les principaux effets d'une telle mesure. Je vous renvoie, pour plus de détails, au projet de rapport qui vous a été remis.

Je souhaiterais uniquement insister à ce stade sur la nouveauté fondamentale que constitue l'article 4 de la proposition de loi. Il s'agit du contingentement des heures supplémentaires éligibles au dispositif. L'enjeu de l'exonération fiscale et sociale n'est pas de créer des effets d'aubaine, ni encore moins d'opposer l'embauche aux heures supplémentaires.

Pour éviter toute ambiguïté, j'ai souhaité un outil qui constituera un garde-fou, en précisant que les heures supplémentaires ne seront éligibles à l'exonération que dans des proportions définies par décret. Nous réaffirmons toutefois la confiance faite aux partenaires sociaux, qui pourront – dans le cadre d'un accord collectif – modifier ce plafond.

Outre le contingentement, deux différences substantielles séparent cette proposition de loi du projet porté par la majorité.

La première différence est relative au champ de l'exonération. Le dispositif que nous proposons repose sur une triple exonération : fiscale, sociale salariale et sociale patronale. Le projet du Gouvernement, à l'inverse, semble se limiter à la seule exonération de cotisations sociales salariales. L'impact du projet gouvernemental sera donc moins fort sur le pouvoir d'achat des salariés et sur la compétitivité des entreprises, l'exonération sociale patronale constituant une incitation pour l'employeur.

La seconde différence porte sur la date d'entrée en vigueur du dispositif. La proposition de loi entrerait en vigueur au 1er janvier 2019, là où le Gouvernement s'est positionné sur l'horizon 2020.

Cette question de calendrier n'est pas neutre, bien au contraire. De nombreuses analyses de l'exonération appliquée entre 2007 et 2012 soulignent qu'une partie des difficultés résidait dans le calendrier à contretemps, qui a coïncidé avec la dégradation de la conjoncture.

L'efficacité de la mesure est donc conditionnée à sa mise en place dès que possible, dans le contexte actuel de reprise économique. L'exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires orientera sans attendre les anticipations des agents économiques et amplifiera les résultats constatés aujourd'hui, en particulier sur le terrain de l'emploi. À l'inverse, une mise en oeuvre repoussée à 2020 constitue une prise de risque qu'aucun argument économique ne justifie.

Le projet du Gouvernement souffre donc de deux lacunes majeures : un champ insuffisant et un calendrier à contretemps. Il demeure par ailleurs largement hypothétique, aucune annonce concrète n'étant venue définir les contours de ce que le Premier ministre qualifie de « désocialisation ».

L'opportunité nous est donc donnée ce matin, d'adopter une mesure attendue et largement plébiscitée par les salariés, du secteur privé comme du secteur public, et par les chefs d'entreprise. Sa mise en oeuvre est d'autant plus suivie par nos concitoyens qu'elle génèrera un gain immédiat de pouvoir d'achat.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes !

Pour un salarié célibataire effectuant 35 heures au niveau du SMIC, le passage à 39 heures s'accompagnera d'un gain annuel de 800 euros au titre des seules exonérations, s'ajoutant à la rémunération elle-même majorée des heures supplémentaires !

Par comparaison, la seule exonération sociale des heures supplémentaires telle qu'envisagée par le Gouvernement procurerait un gain net inférieur, d'environ 330 euros par an.

Ces données illustrent la nécessité de s'appuyer sur les deux leviers que représentent l'exonération fiscale et l'exonération sociale et d'agir simultanément sur l'investissement des entreprises et la consommation des ménages. Sortons des demi-mesures et envoyons dès aujourd'hui un signal clair et sans détour aux acteurs de notre économie.

L'ensemble de ces éléments devraient conduire, en toute logique, à l'adoption de cette proposition de loi par la commission.

Le cas contraire serait non seulement un signal extrêmement négatif envoyé aux salariés et aux entreprises, mais aussi et surtout une prise de risque majeure quant aux effets qu'un pouvoir d'achat en berne fait peser sur notre croissance.

Je n'ose penser aux contradictions politiques lorsqu'il s'agit de passer des paroles aux actes.

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