Intervention de Stéphane Travert

Réunion du mardi 27 mars 2018 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je suis très heureux d'être présent, pour la première fois, devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, et ce à plus d'un titre. Tout d'abord, vos sujets de préoccupation et d'analyse sont aussi les miens : votre champ de compétences couvre des sujets qui constituent le quotidien de mon ministère. La gestion du développement durable est consubstantielle aux politiques publiques en matière d'agriculture et d'alimentation. Ces secteurs, dont j'ai la responsabilité, conjuguent en permanence les trois dimensions du développement durable : la dimension économique, la dimension sociale et la dimension environnementale. Ce à quoi vient s'ajouter, et j'y tiens, la dimension sanitaire.

De nombreux sujets pourront, si vous le souhaitez, m'amener à échanger davantage avec vous lors d'une séance dédiée, parce que l'acuité de ces sujets l'impose ou l'imposera, qu'il s'agisse de la préservation de la biodiversité, du réchauffement climatique, de la gestion de nos ressources naturelles comme l'eau, de l'aménagement du territoire, en particulier des zones rurales et des zones de montagne, de la production d'énergie, notamment la méthanisation, de la gestion durable des forêts et du foncier agricole ou encore de la pêche maritime et de l'aquaculture, entre autres. Le projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation constitue un volet consacré aux attentes sociétales concernant une alimentation saine et durable.

Ensuite, je suis fier de vous présenter ce projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable. Nous n'examinerons ensemble que le titre II consacré aux mesures en faveur d'une alimentation saine et durable de qualité. Permettez-moi avant toute chose de revenir sur les mois écoulés qui nous ont permis d'aboutir à un texte largement partagé.

Les États généraux de l'alimentation se sont déroulés du 20 juillet au 21 décembre 2017, soit cinq mois de concertation – je parle bien d'États généraux « de l'alimentation » et non « de l'agriculture », comme je l'ai parfois entendu. Commencer par parler de notre alimentation pour mieux parler de notre agriculture constitue en soi une première révolution. Nous affirmons ainsi que l'acte de consommation et l'acte d'achat agissent directement sur les modes de production agricole. Nous entérinons le fait que celui qui prescrit n'est plus seulement l'agriculteur, mais aussi le consommateur – dès lors qu'il est formé et informé. C'est bien parce que ces États généraux de l'alimentation ont été construits en s'appuyant sur les deux acteurs indissociables que sont le producteur et le consommateur qu'ils ont constitué un temps inédit de réflexion et de construction collective pour imaginer des solutions concrètes.

La feuille de route annoncée lors de la journée de clôture définit la politique alimentaire du Gouvernement, structurée autour de trois axes stratégiques : assurer la souveraineté alimentaire de la France, promouvoir des choix alimentaires favorables à la santé et respectueux de l'environnement, et réduire les inégalités d'accès à une alimentation de qualité et durable. Le présent projet de loi est le premier outil de mise en oeuvre de cette feuille de route, et c'est dans l'esprit des États généraux – auxquels nombre d'entre vous ont contribué – que j'ai choisi de siéger avec vous pendant cet examen pour avis.

Permettez-moi de vous donner quelques précisions sur le titre Ier qui vise à assurer la souveraineté alimentaire de notre pays en préservant sa capacité de production agricole et la juste rémunération des agriculteurs. Il permettra une meilleure répartition de la valeur créée entre les acteurs en rendant plus efficace la construction des relations contractuelles et celle des prix, plus fluide, ainsi que la renégociation des contrats en mettant fin à la guerre des prix qui paupérise les producteurs et fragilise aussi des pans entiers de l'industrie agroalimentaire française. Pour y parvenir, le projet de loi vise à inverser le processus de construction du prix payé aux agriculteurs en l'appuyant désormais sur des indicateurs de coût de production des producteurs. Le contrat et le prix associé seront proposés par celui qui vend, et les producteurs seront invités et incités à se regrouper pour peser ensemble. Le texte vise aussi à faciliter la réouverture des négociations commerciales en cas d'évolution des coûts de production, encadrer les promotions pour mettre un terme à la destruction de valeur, relever le seuil de revente à perte, lutter contre les prix abusivement bas et faciliter et renforcer la médiation agricole et le rôle des interprofessions.

Pour illustrer cette guerre des prix qui détruit de la valeur, des emplois, des territoires et l'environnement, et qui paupérise les agriculteurs, sachez qu'entre 2000 et 2016, le prix payé aux producteurs pour un litre de lait est passé de 30 à 32 centimes – deux centimes supplémentaires seulement par litre de lait en seize ans quand, dans le même temps, l'inflation a atteint 27 % et le PIB a augmenté de 45 % ! Ce qui vaut pour le lait vaut également pour de très nombreuses autres productions agricoles.

Cette situation est possible parce qu'en agriculture, la notion de contrat est pour le moins singulière en comparaison d'autres secteurs d'activité. La plupart des contrats dans le secteur agricole ne définissent précisément que le volume des apports, parfois leur durée et, beaucoup plus rarement, leur prix. Dans tous les autres secteurs économiques, le contrat définit précisément tant le volume que le prix et la durée. Ainsi, le titre Ier du présent projet de loi constituera le premier pilier du nouveau cadre juridique qui doit être mis en place. Il visera à donner aux producteurs les outils leur permettant d'instaurer une contractualisation utile, efficace et juste pour chacun des maillons de la chaîne du secteur alimentaire.

Parallèlement, le titre II établit le deuxième pilier du texte – tout aussi important que le premier – et lui assure par là même sa stabilité en traitant de la finalité première de la production agricole : l'alimentation de tous. Bien plus qu'un simple besoin élémentaire, la consommation de denrées alimentaires, comme l'ont souligné les États généraux, est désormais un acte auquel nos concitoyens accordent un sens plus profond et une attention renforcée. Ils en font un engagement au sens noble du terme. Comment notre alimentation contribue-t-elle à nous maintenir en bonne santé parce qu'elle respecte des règles sanitaires et présente des bienfaits pour le corps mais aussi l'esprit ? Comment contribue-t-elle aussi à protéger l'environnement ? Comment développer une alimentation tout à la fois sûre, saine, durable et, bien entendu, accessible à tous ? Ces préoccupations sont particulièrement bien formulées dans l'excellent et dense rapport de Mme Maillart-Méhaignerie, que je remercie pour sa totale mobilisation, son implication et l'énorme travail qu'elle a fourni tout au long des États généraux et de la préparation de ce rapport parlementaire.

Dans sa seconde partie, ce projet de loi vise donc à renforcer la qualité sanitaire, environnementale et nutritionnelle des produits. Il traduit la volonté affirmée par le Gouvernement de défendre une politique alimentaire qui préserve à la fois le capital sanitaire de chacun et le capital environnemental de tous.

En matière de commercialisation de produits phytosanitaires, le projet de loi vise à séparer les activités de vente et de conseil, et à sécuriser le dispositif des certificats d'économie des produits phytopharmaceutiques par voie d'ordonnance. Il vise par ailleurs, aux articles 14 et 15, à interdire les rabais, ristournes et remises lors de la vente de ces produits. Pourquoi ? Tout simplement pour réduire la dépendance de l'agriculture à l'égard des produits phytosanitaires.

En matière de sécurité sanitaire, l'article 15 renforce les pouvoirs d'enquête et de contrôle des agents chargés de la protection de la santé, de la protection animale et de la sécurité sanitaire des aliments, afin d'accroître l'efficience des contrôles de l'État. En matière de sanctions dans le domaine du bien-être animal, il vous est proposé, à l'article 13, d'étendre le délit de maltraitance animale et de doubler les peines en cas de délit constaté lors de contrôles officiels.

Enfin, le Gouvernement entend faire de la politique de l'alimentation un moteur de réduction des inégalités sociales. Toutes les études scientifiques confirment que les déterminants sociaux conditionnent l'accès à une alimentation plus variée et de meilleure qualité. Elles confirment également que l'obésité, le diabète et les risques cardiovasculaires sont encore très corrélés à l'appartenance à une catégorie sociale. Pour réduire ces inégalités sociales et cette fracture alimentaire, il vous est proposé, à l'article 11, de faire de la restauration collective un levier d'amélioration de la qualité de l'alimentation pour tous, et ce dès le plus jeune âge. Comment ? La restauration collective publique assure la distribution de plus de la moitié des 7,3 milliards de repas hors foyers servis en France chaque année. Il est donc proposé qu'elle s'approvisionne avec au moins 50 % de produits issus de l'agriculture biologique, locaux ou sous signe de qualité, à compter du 1er janvier 2022. D'autre part, le projet de loi vise à lutter contre la précarité alimentaire et à limiter les conséquences environnementales du gaspillage. Les articles 12 et 15 ont pour objectif de réduire le gaspillage alimentaire dans la restauration collective par la mise en place d'un diagnostic obligatoire, et d'étendre le don alimentaire à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire.

Tel est, madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le panorama général du projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation et de l'ambition collective dans laquelle il s'inscrit. Si je suis ici, c'est parce que je souhaite être à votre écoute, nouer un dialogue singulier avec chacune et chacun d'entre vous et étudier avec attention toutes les propositions que vous formulerez pour améliorer le texte initial du Gouvernement. Il s'agit d'inscrire résolument notre alimentation et notre agriculture dans toutes les dimensions du développement durable, qu'elles soient économiques, sociales et environnementales.

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