Je vais m'efforcer de rester concis dans la mesure où nous aurons l'occasion de revenir, lors de la discussion des amendements, sur tous les points qui viennent d'être évoqués.
Je veux commencer par vous remercier pour la qualité de vos interventions et des questions que vous m'avez posées, ainsi que pour le travail fourni par chacun des groupes, quel qu'il soit.
Il a beaucoup été question d'ambition, certains affirmant que cette ambition n'était pas présente dans le texte. Les États généraux de l'alimentation ont suscité beaucoup d'espoirs chez les agriculteurs, qui ont été entendus sur un certain nombre de sujets, notamment dans le cadre du titre Ier et de son volet économique. Ce que nous avons voulu faire avec ce projet de loi, c'est trouver une traduction à notre volonté de ne pas opposer les modèles agricoles les uns aux autres, de tirer parti de leur complémentarité et de faire vivre cette diversité qui est une richesse pour notre pays : non seulement les consommateurs recherchent des produits variés, mais nous devons être en mesure de répondre aux besoins de différents marchés, qu'ils soient locaux, nationaux ou internationaux. Notre agriculture a en effet vocation à exporter des produits de qualité, ce qui concourt à la fois à entretenir l'image de notre pays et à dégager des résultats satisfaisants en termes de balance commerciale – étant précisé que, sur ce point, nous disposons encore d'une marge de progression dans le secteur agricole.
Des signaux encourageants sont apparus dernièrement : nous exportons des pommes de terre au Vietnam, du foie gras au Japon, où ce mets est très apprécié, de la viande bovine en Turquie et en Chine, mais également de la viande porcine ou de la volaille – la volaille française de qualité a une image réputée dans le monde entier. Tout cela doit nous inciter à écouter nos agriculteurs, afin de savoir comment nous pouvons les aider à améliorer leur compétitivité et à réussir cette nécessaire montée en gamme.
La politique alimentaire que nous proposons consiste en une panoplie d'outils. À côté du volet économique du titre Ier, on trouve également un second volet, constitué d'engagements sociétaux. Mais la politique de l'alimentation ne s'arrête pas là, c'est un processus amené à s'inscrire dans la durée : nous ouvrons aujourd'hui la discussion à l'occasion de ce projet de loi, mais la réflexion sur les questions agricoles va se poursuivre de différentes manières.
Ainsi, M. Bruno Le Maire et moi-même avons mis en place un groupe de travail sur la fiscalité agricole composé de onze députés et onze sénateurs, ainsi que de représentants des organisations syndicales, chargé de formuler des propositions qui seront discutées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019. Une mission parlementaire a été constituée sur le foncier agricole, qui doit nous permettre de trouver ensemble des solutions visant à permettre aux jeunes agriculteurs qui veulent s'installer de trouver des terres – à un prix décent, s'entend, car nous sommes actuellement confrontés à un problème particulièrement prégnant de hausse des prix des terres agricoles dans certaines régions –, et de réserver des surfaces pour l'agriculture biologique. Nous aurons donc un débat sur la politique foncière, dans lequel le volet agricole tiendra une place particulièrement importante.
Enfin, plusieurs mesures dont nous allons débattre résultent des États généraux de l'alimentation : certaines sont intégrées au projet de loi, d'autres feront l'objet d'amendements examinés par la commission du développement durable et par la commission des affaires économiques, d'autres encore relèvent plutôt du domaine réglementaire ou du dialogue avec les professionnels ; d'autres enfin auront vocation à être retravaillées dans le cadre des plans de filières que nous avons demandés aux interprofessions en décembre dernier, et sur lesquels nous nous appuyons pour faire progresser un certain nombre de sujets.
Oui, les choix qui ont été faits portent la marque du volontarisme ; oui, le monde agricole doit encore faire face à des difficultés et des doutes. Vous avez fait état de sujets qui ont récemment défrayé la chronique – je pense aux indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), aux accords commerciaux avec le Mercosur ou le Canada et à la simplification –, mais qui n'entrent pas dans le périmètre du présent projet de loi. Certaines dispositions relatives au droit à l'erreur, qui portaient sur des questions agricoles, auront vocation à être retravaillées dans le cadre du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance. Des amendements relatifs à la simplification pourront être examinés dans le cadre du présent projet de loi, dès lors qu'ils se rattachent directement à ce qui fait l'objet du texte.
Pour en revenir aux sujets intéressant spécifiquement la commission du développement durable, il faut reconnaître les efforts faits par les agriculteurs en matière de respect de l'environnement depuis quelques années – ainsi en est-il de la diminution du recours aux produits phytosanitaires. Des solutions existent et nous devons les trouver ensemble : il nous faut dessiner des trajectoires permettant aux professionnels de continuer à investir et à se développer, afin de ne pas se retrouver fragilisés. Une mission d'information parlementaire travaille actuellement sur la question de la réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ; lorsqu'elle aura fait connaître ses propositions, nous devrons nous en emparer.
Un rapport de l'INRA avait conclu qu'il n'existait pas de solution « clé en main » pour la réduction de l'usage des produits phytosanitaires ; cela appelle un changement des pratiques agronomiques passant par l'éducation et la formation, notamment dans le cadre des lycées agricoles. Nous souhaitons capitaliser sur ces questions afin que, demain, nous puissions avoir une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
Pour ce qui est de la lutte contre le gaspillage alimentaire, nous avons l'ambition d'y apporter notre contribution avec la disposition imposant à la restauration collective publique de proposer au moins 50 % de produits de qualité à l'horizon 2022, dont au moins 20 % de produits issus de l'agriculture biologique. Nous souhaitons que le secteur privé soit également concerné par cette mesure, mais cela passera par un dialogue avec les établissements privés, à défaut de pouvoir leur imposer directement les mêmes obligations.
En matière de modes de production, les mesures prises en matière d'étiquetage correspondent à des attentes fortes des consommateurs. Je sais que le Conseil national de l'alimentation (CNA), présidé par M. Guillaume Garot, doit mener une expérimentation à ce sujet. Des travaux ont déjà été menés en la matière : ainsi, mon prédécesseur avait mis en place, sur les produits laitiers, une expérimentation basée sur le principe d'un étiquetage volontaire. Si cette solution est aujourd'hui combattue au niveau européen par un certain nombre d'États membres, je souhaite que les expérimentations se poursuivent, et même qu'elles se fassent sur un plus large éventail de produits, afin d'aller dans le sens d'une plus grande transparence et d'une meilleure information des consommateurs.
Pour ce qui est du Mercosur, évoqué par plusieurs d'entre vous, nous sortons un peu du cadre des questions ayant vocation à être évoquées dans le cadre de cette commission qui s'est saisie du titre II du projet de loi. La position de la France est très claire sur ce point : notre pays a toujours apporté un soutien sans faille à ses filières d'élevage. Le traité de libre-échange avec le Mercosur n'est pas signé, puisque les négociations ont été suspendues il y a quelques semaines – des discussions se poursuivent entre les pays d'Amérique du Sud qui ont du mal à s'entendre. De notre côté, nous maintenons les principes qui constituent pour nous autant de lignes rouges, aussi bien en matière de contingents que de standards de qualité. Nous refusons qu'on puisse importer en France de la viande qui ne respecterait pas nos standards de qualité ; nous avons à nos côtés douze autres pays qui nous soutiennent dans ce combat. Il ne se passe pas un seul Conseil agricole sans que soit évoquée cette exigence de qualité et de traçabilité, qui constitue pour nous une condition essentielle à la défense d'une filière actuellement fragile.
J'ai déjà parlé de la restauration collective. Je veux insister sur le travail de formation et d'accompagnement que nous devons conduire auprès des collectivités et des établissements concernés. Comme je l'ai dit lors de mon propos liminaire, nous devons concentrer notre action sur deux points. Il s'agit d'abord de préserver notre capital santé individuel, ce qui passe par des pratiques alimentaires saines – manger moins gras, moins salé, moins sucré, ce qui s'apprend dès le plus jeune âge, notamment grâce à des actions comme « un fruit à la récré », mais aussi consommer des produits de saison. Nous devons également prendre soin de notre capital collectif en préservant l'environnement.
Les collectivités peuvent rencontrer des difficultés dans la mise en oeuvre des mesures tendant à améliorer la qualité des repas qu'elles proposent : d'une part, il faut éviter que ces mesures aient un impact sur le coût des repas, d'autre part, certaines collectivités – je pense notamment aux grandes villes – peuvent avoir du mal à se procurer suffisamment de produits locaux. Nous devons donc travailler à structurer l'offre dans les zones périurbaines en permettant à des agriculteurs de s'installer à proximité et en encourageant l'installation d'ateliers de transformation de viande et de produits laitiers, ou encore la culture de fruits et légumes, notamment en favorisant la conversion à l'agriculture bio.
M. Lorion m'a interrogé au sujet de la restauration collective dans les outre-mer. Il y a effectivement un travail important à effectuer sur ce point, notamment en matière de diversification et de structuration de l'offre, mais aussi afin d'aboutir à une montée en gamme attendue par nos concitoyens de l'outre-mer. Les réflexions à ce sujet auront également vocation à être menées dans le cadre des Assises de l'outre-mer. Nous travaillons déjà sur cette question avec Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, afin que, demain, les agriculteurs d'outre-mer puissent trouver leur intérêt dans la montée en gamme des productions, que les outre-mer soient moins dépendants des exportations et que les produits importés soient de meilleure qualité – car on sait qu'aujourd'hui, certains produits proposés dans les outre-mer contiennent, par exemple, un taux de sucre très supérieur à celui des mêmes produits en métropole. Des progrès ont été faits au cours des années précédentes, mais nous ne devons pas relâcher notre effort car il reste beaucoup à faire, notamment en matière de structuration de l'offre : sur nombre de territoires d'outre-mer, nous manquons de producteurs de viande, de lait, de fruits et légumes ; nous avons besoin de créer les conditions d'un marché où les consommateurs peuvent trouver ce dont ils ont besoin.
J'ai bien entendu votre appel sur le miel, et je partage totalement l'objectif – peu importe de savoir à qui nous le devons… Ce que nous devons en tout cas à nos concitoyens, c'est de les informer concrètement sur la provenance du miel qu'ils consomment. Nous devons aussi encourager de nouvelles pratiques agronomiques afin de favoriser la repollinisation de la planète et de préserver l'apiculture. Je vous informe à ce propos que nous avons récemment apporté une aide de 400 000 euros à l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP), qui était confronté à de graves difficultés financières. Nous devons absolument pouvoir continuer à travailler avec cet institut qui constitue un outil irremplaçable, à plus forte raison quand les populations d'abeilles se raréfient.
Le sujet de la grande distribution a été évoqué, bien qu'il se rattache davantage au titre Ier. Vous avez suivi comme moi le débat sur la notion de juste prix à payer aux producteurs. Ce que nous voulons, c'est que la valeur soit bien répartie entre le consommateur, le distributeur et le producteur, tout en permettant à ce dernier de vivre dignement de son travail. Nous avons signé une charte avec la distribution, à l'issue d'une discussion qui rassemblait autour d'une table 17 % du PIB de la France. Si les négociations commerciales ont été difficiles, elles se sont plutôt bien terminées, puisqu'elles ont permis que des engagements soient pris. Cela dit, nous avons besoin que la loi nous fournisse de nouveaux outils afin que, lors des prochaines négociations, les agriculteurs soient en mesure de proposer et de facturer eux-mêmes un prix de vente à leurs clients, ce qui n'est pas le cas actuellement. D'où l'intérêt de regrouper par bassins, notamment dans le secteur de la production laitière – comme c'est déjà le cas pour les filières du comté et du saint-nectaire, qui fonctionnent aujourd'hui très bien – des producteurs qui s'engagent collectivement sur un cahier des charges afin de fournir un produit qui correspond aux attentes des consommateurs.
Certains outils, tels le seuil de revente à perte ou l'encadrement des promotions, doivent permettre, par le rééquilibrage des marges, qu'une part accrue de valeur revienne aux producteurs. Il faut également trouver les moyens de mettre fin à une guerre des prix qui en détruit une bonne part : au cours de l'année 2016, 1,5 milliard d'euros de valeur ont été détruits, en ce sens que cet argent n'a profité à personne. Tous les acteurs de la filière agro-alimentaire, qu'il s'agisse des TPE comme des grandes entreprises, ont des charges à payer et des personnels à rémunérer ; ils ont également besoin d'investir et d'innover pour augmenter la qualité de leurs productions.
La diversification est également un moyen de dégager un revenu complémentaire. La méthanisation est un de ces outils de diversification qui permettront à nos agriculteurs d'investir et d'innover pour réussir la montée en gamme que nous appelons de nos voeux. Un plan de méthanisation vient d'être mis en place en lien avec le ministère de la transition écologique et solidaire : 100 millions d'euros seront ainsi consacrés à la méthanisation dans le cadre du Grand plan d'investissement (GPI).
Tels sont, mesdames et messieurs les députés, les éléments de réponse que je voulais apporter aux questions que vous m'avez posées. Il me tarde maintenant d'entrer dans le coeur du débat, avec la discussion des articles et des amendements.