Intervention de Éric Poulliat

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 15h00
Débat sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Poulliat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, madame la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le co-rapporteur de la commission, chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer l'initiative de la commission des lois d'avoir créé une mission d'information relative à l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit illicite d'usage de stupéfiants.

Cette mission d'information nous a permis, avec mon collègue co-rapporteur, Robin Reda, d'ouvrir un débat récurrent, celui de la répression de l'usage de stupéfiants, en envisageant des solutions nouvelles.

Les vingt-neuf auditions que nous avons menées, et deux déplacements, à Versailles et à Lille, nous ont montré l'extrême complexité de ce sujet et la difficulté de trouver une réponse pénale, sanitaire et pédagogique efficace.

Notre mission n'avait pas pour objet de réfléchir à la politique de lutte contre la toxicomanie ou à une éventuelle légalisation du cannabis. Ce débat, presque dépassé tant le trafic et la consommation ont évolué ces vingt dernières années, n'est cependant pas à esquiver dans l'avenir.

Face aux profils multiples de consommation de produits stupéfiants, voire de polyconsommation, la réponse pénale envisagée ne doit ignorer ni les volets préventif et éducatif, ni les aspects thérapeutique et sanitaire.

Nos travaux nous ont permis de dresser le constat, unanimement partagé, d'un décalage entre un arsenal théoriquement très répressif et une réponse pénale peu dissuasive, qui favorise la banalisation de la consommation de ces produits, très inquiétante notamment chez les jeunes.

L'usage de stupéfiants est interdit depuis la loi du 31 décembre 1970 et sanctionné par une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

Malgré la sévérité de la loi, le nombre d'interpellations d'usagers de stupéfiants a été multiplié par 50 entre 1970 et 2013, passant de 4 000 à près de 200 000.

Cet essor des interpellations s'est accompagné d'une systématisation et d'une diversification des réponses pénales apportées, qui débouchent néanmoins majoritairement sur de simples rappels à la loi, peu dissuasifs. À cela s'ajoutent de fortes discriminations territoriales dans le traitement des dossiers et des modulations des peines en fonction des directives données par les parquets territorialement compétents.

Alors même que la réponse pénale est peu efficace, la procédure reste très chronophage pour les forces de l'ordre : elle occupait un million d'heures en 2016, soit 600 équivalents temps plein. Il est donc urgent d'alléger les procédures pour usage, afin que les forces de l'ordre se consacrent à des actions d'investigation du trafic.

Aussi, afin d'apporter une véritable solution au problème de l'usage illicite de stupéfiants, je préconise de sanctionner celui-ci par une amende forfaitaire délictuelle sous une forme simplifiée. Je me félicite de la volonté gouvernementale d'aller dans le sens de la forfaitisation.

L'amende forfaitaire délictuelle, introduite en 2016 par la loi dite J21, constitue le meilleur moyen de sanctionner l'usage de stupéfiants, car elle permet de réprimer celui-ci sans sacrifier les capacités d'investigation de nos forces de l'ordre ni l'orientation des usagers problématiques vers des parcours de soins.

Le caractère forfaitaire garantit un traitement plus rapide et plus homogène sur l'ensemble du territoire, et permet de décharger les forces de l'ordre et les magistrats d'une partie de leurs tâches procédurales. Il offre aussi l'assurance d'une sanction certaine, propre à dissuader de consommer. Les personnes régulièrement condamnées, surtout si la sanction est réelle, finiront par abandonner leur consommation, ou du moins par la réduire. Dans ce cas, mieux vaut une amende de faible montant réellement perçue qu'une amende élevée difficilement recouvrable.

La qualification délictuelle de l'infraction permet de rappeler la gravité du comportement incriminé ainsi que l'interdit social, donc de « débanaliser ».

Enfin, elle évite de sacrifier l'actuelle démarche sanitaire de prise en charge des usagers dont la consommation est particulièrement importante et problématique.

On conserve ainsi l'existant en l'optimisant ; on sanctuarise le rôle du juge, ce que la contraventionnalisation ne permettrait pas ; et l'on s'évite d'avoir à recréer d'hypothétiques réseaux de soins ou d'enquête et à inventer des compétences nouvelles ou partagées.

Le dispositif de l'amende forfaitaire délictuelle demeure donc aujourd'hui la piste à privilégier, moyennant néanmoins une adaptation des règles relatives à la récidive. Il n'est pas opportun, en effet, que l'amende soit réservée aux primo-délinquants, dans la mesure où les comportements sanctionnés sont par nature addictifs et répétitifs. Dès lors, je propose que l'amende forfaitaire puisse être infligée même si le délit a été commis en état de récidive.

Les directives locales des parquets détermineraient les profils d'usagers pour lesquels une amende forfaitaire ne paraîtrait pas pertinente.

La législation a exclu l'application de la procédure de l'amende forfaitaire si le délit a été commis par un mineur. Néanmoins, la réaffirmation de l'interdit pénal chez les jeunes est essentielle tant la banalisation et la consommation des produits stupéfiants est prégnante ; en outre, les addictions s'installent dès l'adolescence. Nous avons une responsabilité collective envers nos jeunes et je souhaite, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu'une politique de prévention soit envisagée. Il serait pertinent d'affecter le produit des amendes à un fonds de concours ou au fonds d'affectation spécifique de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la MILDECA, afin de financer ces actions de prévention.

Rappelons que le consommateur reste une victime, du produit d'abord, qui est toxique, ensuite du trafiquant, pour lequel il représente une source de revenus.

Alors qu'une contraventionnalisation rendrait aveugle la réponse pénale et nous ramènerait vers une politique du chiffre, je suis favorable à l'amende forfaitaire délictuelle, moyennant l'abandon de la notion de récidive, dans le cadre très précis de la consommation de stupéfiants.

Je souhaite que la réforme de la procédure pénale à venir permette de tenir compte de l'ensemble du problème et j'invite les autres ministères concernés, notamment ceux de la santé et de l'éducation nationale, à nous accompagner dans cette démarche.

Nous apporterions ainsi une réponse qui, par son caractère délictuel, permet de conserver tous les outils d'investigation et de soin, tout en permettant une procédure réduite, équivalente à une contravention.

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