Intervention de Valérie Lacroute

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 15h00
Débat sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Lacroute :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, chers collègues, débattre de la consommation de la drogue, c'est avant tout débattre de santé publique. Près de 17 millions de Français déclarent avoir déjà consommé du cannabis ; 700 000 affirment en fumer tous les jours. La France est le pays d'Europe doté de la politique la plus répressive en matière de drogue. En 2016, 140 000 personnes ont été interpellées pour une infraction à la législation sur les stupéfiants. La France est aussi le pays d'Europe où les jeunes sont les plus gros consommateurs de cannabis.

Il existe un véritable décalage entre l'arsenal répressif et son application. Un simple usage de drogues est un délit puni de 3 750 euros d'amende et d'un an de prison. Or, 65 % des personnes interpellées en 2016 n'ont écopé que d'un rappel à la loi. Le recours au rappel à la loi, presque systématique pour les primo-délinquants, a conduit à une dépénalisation de fait du cannabis. Cela contribue à forger un sentiment d'impunité chez les consommateurs, alors que la loi et son application devraient avoir un effet dissuasif.

De plus, la lutte contre l'usage des stupéfiants est extrêmement chronophage. Elle coûte cher à l'État et se révèle véritablement inefficace. Un autre sujet important est celui de la réponse pénale, qui est jugée insatisfaisante et variable selon les territoires. Se pose, dès lors, la question de l'uniformisation de la réponse pénale et des moyens ou des forces nécessaires à mobiliser pour y parvenir. Dans ma circonscription du sud de la Seine-et-Marne, le commandant du commissariat de police de Nemours, ville dont j'étais maire il y a encore quelques mois, m'a déjà fait part à plusieurs reprises de son incompréhension quant à la légèreté de l'application des peines.

L'impression que la justice n'est pas assez sévère avec les délinquants est largement partagée dans les rangs de la police et de la gendarmerie. Les policiers ont le sentiment que les personnes interpellées en possession de drogue ne seront pas jugées comme elles devraient l'être. Ce décalage entre la justice et la police est source de malaise. Dans ma circonscription, 90 % des 170 procédures pour usage simple de consommation ou pour usage de revente se soldent par un rappel à la loi ou un stage de citoyenneté qui ne sera peut-être jamais effectué. Les délinquants alors relâchés se sentent invulnérables ; leur sentiment d'impunité grandit et l'autorité des forces de l'ordre diminue.

N'oublions pas que pour « faire du chiffre », les forces de l'ordre poursuivent principalement les consommateurs. Or, si l'on veut effectuer un travail réellement efficace, c'est sur les dealers qu'il faudrait concentrer l'essentiel des forces. Grâce au trafic de drogues, ils ont créé, dans certains quartiers, des zones de non-droit où l'insécurité règne en permanence. La population a peur : elle est parfois retranchée chez elle le soir, de crainte d'être prise à partie dans les halls d'immeuble. Même la police n'ose plus entrer dans ces quartiers, de peur d'être caillassée, agressée, violentée. Lutter contre les stupéfiants, c'est aussi lutter pour la sécurité.

Nous constatons également un échec de la prévention. Concernant le tabac et l'alcool, le message est compris par le plus grand nombre. La consommation chez les mineurs est en recul, ce qui n'est pas le cas pour le cannabis. On connaît pourtant la nocivité du produit chez les plus jeunes : décrochage scolaire, isolement, cancers, dépression et effets à long terme sur les fonctions cognitives. Par facilité, nous pourrions décider de dépénaliser le cannabis, mais cela serait une véritable hypocrisie.

Dépénaliser le cannabis reviendrait à affirmer deux idées que nous devons combattre : que sa consommation serait bénigne et que la consommation de stupéfiants pourrait être tolérée ou acceptée, et aussi que certaines drogues seraient à banaliser. Nous ne devons pas tomber dans cette légèreté. Le rapport remis par nos collègues Éric Poulliat et Robin Reda présente des propositions qui semblent intéressantes. Une amende forfaitaire revêt un caractère dissuasif, beaucoup plus qu'une hypothétique condamnation à de la prison. Le Gouvernement semble pencher pour une amende forfaitaire délictuelle. Cette forfaitisation a en effet été inscrite le 14 mars dernier dans un article du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022.

Cependant, l'amende forfaitaire contraventionnelle de quatrième ou de cinquième classe proposée par Robin Reda permettrait d'éviter un rapport conflictuel entre la police et la justice et d'éventuelles contestations. Le Gouvernement a-t-il définitivement tranché en faveur de l'amende forfaitaire délictuelle ? Afin de mieux remonter les filières, la mise en oeuvre de ce projet permettra-t-elle bien aux policiers et aux gendarmes de contrôler la récidive et de poursuivre les dealers ? Ne serait-il pas bienvenu, mesdames les ministres, de mettre en place une expérimentation d'une année de l'amende contraventionnelle dans quelques départements, avant d'entériner définitivement une forme de forfaitisation ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.