Intervention de Hervé Saulignac

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 15h00
Débat sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Saulignac :

Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le rapport d'information dont nous débattons aujourd'hui juge inefficace le dispositif actuel, qui punit théoriquement les usagers de stupéfiants d'un an de prison et de 3 750 euros d'amende. Ce jugement semble très largement partagé, la pertinence de cette disposition faisant aujourd'hui l'objet de nombreuses critiques. En effet, alors que 140 000 personnes sont interpellées chaque année pour cette raison, 2 % seulement sont condamnées à des peines de prison, généralement assorties d'un sursis. La grande majorité écope plutôt d'un rappel à la loi ou d'un stage de prévention.

Nos collègues rapporteurs, dont je salue le travail au sein de cette mission d'information, ont fait le même constat en considérant que la politique pénale actuelle était un échec. En revanche, ils ne s'accordent pas sur les modalités juridiques de la nouvelle forfaitisation. L'un souhaite que les consommateurs soient punis d'une amende contraventionnelle – consommer de la drogue ne serait plus un délit et les consommateurs ne pourraient donc pas être placés en garde à vue ni condamnés à une peine de prison – , l'autre privilégie l'idée d'une amende forfaitaire délictuelle à payer sous quarante-cinq jours, sous peine de renvoi devant un tribunal. Dans cette variante, la possibilité d'une peine de prison ne serait donc pas totalement écartée ; l'usage de drogues resterait un délit et la forfaitisation permettrait d'apporter une réponse plus dissuasive et égalitaire. Le projet d'amende forfaitaire apparaît donc comme une réforme de l'organisation policière et judiciaire plutôt qu'une nouvelle approche de la consommation de stupéfiants en France, qui demeure pourtant le sujet de fond, comme l'ont souligné tous les orateurs qui m'ont précédé. Alléger les poursuites et les sanctions – car les procédures sont chronophages – renvoie au constat d'échec à endiguer la consommation de drogues dans notre pays.

Une telle réforme ne suffira pas à répondre, à elle seule, aux défis de santé publique et de sécurité que pose le développement des conduites addictives. Elle laissera notamment entière la question de la qualité des produits en circulation, de leur trafic et de la corruption qu'ils engendrent. Par ailleurs, contrairement à la contravention, l'amende forfaitaire n'est pas applicable aux mineurs, qui sont pourtant trop nombreux à consommer. Le nombre de mineurs condamnés pour usage de stupéfiants a été multiplié presque par huit entre 2000 et 2015. Au total, près de 34 000 mineurs ont fait l'objet d'une décision de justice en 2016 pour infraction aux stupéfiants.

Enfin, la question de l'effectivité de la sanction, déficiente dans le système actuel, continuera de se poser : le taux de recouvrement des amendes prononcées par la justice dépasse aujourd'hui à peine les 40 %. Il nous faut donc considérer que ce rapport est une étape ; mais pour que cette étape soit efficace, il nous faut plutôt admettre le principe de la contravention, comme le suggère Robin Reda, même si le Gouvernement paraît avoir tranché. Il nous faut surtout d'ores et déjà tracer la suite : un grand débat national qui implique tous les acteurs – de la santé, de l'éducation nationale, de la sécurité publique – face à un fléau terrifiant, tant il est vrai que la consommation de stupéfiants augmente en même temps qu'elle se banalise, notamment chez les plus jeunes. Ne réglons pas seulement l'urgence, ne restons pas au milieu du gué, ouvrons le débat en grand pour que la lutte contre la drogue devienne ce qu'elle doit être : une grande cause nationale.

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