Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 15h00
Débat sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, prévu par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, l'usage illicite de stupéfiants est un délit puni à titre principal d'une peine de un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

Le cadre légal applicable en la matière est issu de la loi du 31 décembre 1970. Cette loi poursuivait deux objectifs en matière de lutte contre la toxicomanie : d'une part, réprimer l'usage et le trafic de drogues, d'autre part, offrir des soins dans une perspective sanitaire. C'est dans cette perspective que le choix politique d'insérer ces dispositions dans le code de la santé publique et non dans le code pénal a été fait.

Cette double orientation, à la fois répressive et sanitaire, a été conservée par la loi du 5 mars 2007, qui a maintenu une qualification délictuelle pour l'usage de stupéfiants, tout en prévoyant une nouvelle mesure alternative à l'emprisonnement : le stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de produits stupéfiants.

La loi ne fait pas de distinction entre drogues douces et drogues dures, non plus qu'entre usage régulier et usage occasionnel de telles substances. Ces distinctions sont toutefois prises en compte par les parquets lorsqu'ils apprécient la nature de la réponse pénale à apporter à un usager de stupéfiants interpellé. Ils disposent pour cela d'une panoplie d'instruments que je vais vous présenter.

En pratique, en termes de politique pénale, le délit d'usage illicite de stupéfiants est majoritairement traité par la voie des alternatives aux poursuites. Après enquête, pour les faits les moins graves, et lorsque l'auteur n'apparaît pas déjà défavorablement connu, les magistrats du parquet décident généralement d'un classement sans suite accompagné d'un rappel à la loi – cela a déjà été dit par d'autres orateurs.

Lorsque les auteurs présentent des problèmes de toxicomanie particuliers, les parquets peuvent les orienter vers des stages de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants, ou ordonner à leur encontre une mesure d'injonction thérapeutique pour les consommateurs présentant une addiction forte, lorsqu'il s'agit de drogues dites dures, comme l'héroïne, la cocaïne, le crack ou l'ecstasy. Ces personnes doivent alors rencontrer un médecin.

Enfin, dans certains cas, les usagers peuvent faire l'objet d'une mesure de composition pénale à l'occasion de laquelle il leur est proposé, par exemple, d'effectuer un travail non rémunéré sur le modèle des travaux d'intérêt général – TIG.

C'est ainsi que chaque année, environ 90 000 affaires d'usage de stupéfiants par des majeurs sont traitées. Un peu plus de 50 000 d'entre elles donnent lieu à des mesures alternatives aux poursuites, soit 55 % des réponses pénales. Sur ces 50 000 usagers majeurs, environ 35 000 font l'objet d'un rappel à la loi, 7 800 acceptent une mesure de composition pénale, 7 100 acceptent d'effectuer un stage de sensibilisation – parmi lesquels 1 000 se soumettent à une injonction thérapeutique. Ce sont donc 40 000 majeurs, en moyenne, qui sont poursuivis par la justice, soit 45 % des réponses pénales seulement.

Les poursuites sont réservées aux usages de stupéfiants commis en état de récidive légale, ou lorsque les faits sont connexes à d'autres infractions. Dans ces dernières hypothèses, des modes de poursuite simplifiés sont privilégiés : il s'agit, dans la majorité des cas, de l'ordonnance pénale, qui permet de condamner l'usager à une peine d'amende. Il peut aussi s'agir de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui permet de condamner l'usager à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve pouvant comporter une obligation de soins. Il peut s'agir enfin, mais de façon résiduelle, d'un renvoi devant le tribunal, qui permet de prononcer de courtes peines d'emprisonnement, qui sont généralement aménagées sous forme de bracelet électronique ou de TIG.

Comme vous le voyez, à l'heure actuelle, les réponses pénales sont constituées, pour une grande partie, de simples rappels à la loi – en moyenne 35 000 par an – qui ne permettent pas de marquer efficacement l'interdit en la matière. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de recourir à une possibilité ouverte par la loi du 18 novembre 2016 dite « J21 » en forfaitisant le délit d'usage de stupéfiants. C'est ainsi que le projet de loi que je présenterai au Parlement dans les mois qui viennent devrait prévoir qu'une amende forfaitaire délictuelle d'un montant de 300 euros pourra être directement prononcée par un policier ou un gendarme à l'encontre d'un usager majeur à l'issue d'un contrôle d'identité. Le montant de l'amende forfaitaire minorée serait de 250 euros et celui de l'amende forfaitaire majorée de 600 euros.

Par exception à l'article 495-17 du code de procédure pénale, la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle serait également possible en cas de récidive. Cette procédure demeurerait toutefois impossible, dans l'état actuel du projet de texte, pour les mineurs, vis-à-vis desquels devrait continuer de prévaloir une approche éducative et sanitaire.

Sur le plan technique, ce que compte proposer le Gouvernement est tout à fait réaliste. Je me suis rendue il y a quelques jours à Rennes, dans les locaux de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions – l'ANTAI – , qui accueillera à compter du mois de juin prochain le parquet de Rennes. Celui-ci y traitera de la recevabilité et de l'orientation des contestations de défaut de permis de conduire et d'assurance. C'est ce même parquet qui aura vocation à connaître des éventuelles contestations contre les verbalisations au titre de l'usage de produits stupéfiants avant de les adresser aux juridictions territorialement compétentes.

Mes services travaillent dès à présent avec ceux du ministère de l'intérieur pour anticiper l'ensemble des questions techniques et juridiques, et permettre ainsi un développement rapide de ce dispositif – si le Parlement adopte le projet de loi.

Le recours à la procédure de forfaitisation permettra par ailleurs de maintenir le même niveau de répression, mais tout en offrant une voie procédurale nouvelle, simplifiée et rapide, applicable à ce contentieux de masse, plus particulièrement pour ce qui concerne les simples rappels à la loi. Mais il faut que cela soit parfaitement clair : cette nouvelle procédure ne se substituera pas aux autres types de réponse pénale déjà existants. Ceux-ci pourront toujours être utilisés, conformément aux instructions de politique pénale données par les procureurs de la République.

L'amende forfaitaire ne constituera donc qu'un instrument complémentaire à ceux qui existent aujourd'hui. Le recours à cette procédure pourra ainsi être circonscrit par les directives de politique pénale locales à certains types d'usage, en fonction notamment de la nature du stupéfiant saisi, afin d'en écarter les personnes nécessitant vraiment un traitement sanitaire.

À cet égard, les procédures dites d'injonction thérapeutique ou de stage de sensibilisation conserveront dès lors toute leur place et leur pertinence pour traiter ce dernier type de contentieux.

De même, les profils de consommateurs déjà très défavorablement connus pourront continuer, sur décision du parquet, à faire l'objet d'ordonnances pénales, de poursuites devant le tribunal ou bien de procédure de plaider-coupable afin que, par exemple, puisse être prononcée une peine de mise à l'épreuve avec obligation de soins.

Mesdames, messieurs les députés, il me semble que la procédure de l'amende forfaitaire présente de multiples avantages. Tout d'abord, elle permet d'apporter une réponse pénale plus simple, plus rapide et plus systématique dans ce contentieux de masse pour lequel l'intervention du juge pénal n'apparaît pas toujours nécessaire et où certaines réponses pénales actuelles, notamment le rappel à la loi, peuvent sembler insuffisantes. De plus, elle préserve le droit au recours effectif par la possibilité de porter une réclamation ou une requête en exonération. Enfin, elle ne dégrade pas la force de l'interdit attaché au caractère délictuel de ce type d'agissements.

Pour conclure, je souhaite dire quelques mots sur une option qui figure dans le rapport d'information de la commission des lois remis, le 25 janvier dernier, par MM. les députés Éric Poulliat et Robin Reda. Il y est envisagé de transformer le délit en contravention. Cette option, qui vient d'être évoquée par certains d'entre vous, a été soigneusement étudiée. J'y étais d'ailleurs personnellement assez favorable initialement, mais nous avons finalement décidé de l'écarter pour plusieurs raisons.

En premier lieu, une telle option aurait probablement exigé de distinguer entre le cannabis et les drogues dites dures, et donc de créer plusieurs infractions, ce qui apparaît contraire à l'objectif de simplification prôné par la réforme globale que je porte.

En deuxième lieu, la transformation du délit en contravention aurait emporté des conséquences procédurales significatives en matière de prescription, de techniques d'enquête, de poursuites, de jugement et de sanctions. Si elle permet encore le recours au contrôle et à la vérification d'identité, la contraventionnalisation exclut en revanche la garde à vue, la fouille à corps et la perquisition du domicile de l'intéressé sans son consentement, alors même que ces actes d'enquête peuvent, dans certains cas, être utiles pour permettre l'identification des trafiquants et, postérieurement, le démantèlement des réseaux.

Enfin et surtout, sur le plan symbolique, la contraventionnalisation aurait présenté le risque de véhiculer un message négatif dans l'opinion publique, celui du recul de l'engagement des autorités dans leur volonté de lutter contre l'usage illicite de stupéfiants. Cela pourrait être perçu, même à tort, comme une première étape vers une dépénalisation de l'usage des stupéfiants. Or l'enjeu sanitaire, maintes fois souligné, en matière de lutte contre ce fléau qu'est la toxicomanie, nous interdit d'afficher le moindre signe de faiblesse.

Mesdames, messieurs les députés, ce débat qui s'achève n'interfère nullement, je tiens à le souligner ici, avec le combat, conduit de manière extrêmement volontariste, contre le trafic de stupéfiants et les réseaux criminels qui l'organisent. Cette problématique, différente bien que liée à celle dont nous parlons cet après-midi, est prise en charge par les enquêteurs et les juges, notamment par les juridictions interrégionales spécialisées.

Par notre présence dans cet hémicycle, nous entendons tous réaffirmer l'engagement du Gouvernement et du Parlement de lutter contre l'usage illicite de stupéfiants. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose le mécanisme que je viens de décrire et qui a été suggéré par les rapporteurs. Je tiens une nouvelle fois à saluer leur travail tout à fait remarquable et qui nous a été extrêmement utile. Il me semble que notre proposition répond à la double exigence de sécurité sanitaire et de simplification de la justice.

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