Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 5 avril 2018 à 9h30
Augmentation du pouvoir d'achat grâce à la création d'un ticket-carburant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, l'idée d'instaurer un ticket-carburant au profit des travailleurs et des travailleuses des zones rurales n'est pas sans faire écho aux préoccupations légitimes exprimées par nos concitoyennes et concitoyens en matière de pouvoir d'achat et d'inégalités pour ce qui concerne les déplacements. Beaucoup de communication et de maquillage peuvent troubler, mais ils ne peuvent pas changer le quotidien : le pouvoir d'achat est en berne. Tandis que de nombreuses largesses étaient octroyées aux plus fortunés, plusieurs décisions prises par le Gouvernement et la majorité ont touché particulièrement les classes moyennes et populaires : hausse du prix du diesel, augmentation de la CSG et du forfait hospitalier, baisse de la prestation d'accueil du jeune enfant, gel des pensions de retraite sont autant d'attaques contre le porte-monnaie des Françaises et des Français.

Le texte fait aussi écho à un autre débat d'actualité, relatif à la réforme ferroviaire. Si les habitantes et les habitants des zones rurales ont parfois du mal à se déplacer, c'est aussi parce que les transports en commun y sont très peu développés, notamment les transports en train ; il ne faudrait pas donner le sentiment de s'y résoudre. La fermeture de gares ou de petites lignes ces dernières années n'a fait qu'accentuer les inégalités en matière de moyens de transport, en accroissant les difficultés des zones rurales, tandis que les habitants des grandes zones urbaines bénéficiaient de plus de transports collectifs – quoiqu'ils restent en nombre insuffisant. Ces inégalités par rapport aux moyens de déplacement en entraînent d'autres ; je pense en particulier aux inégalités en matière d'accès à l'emploi. En ce domaine comme dans beaucoup d'autres, il est impératif que la puissance publique revienne au premier plan pour réduire les fractures territoriales qui conduisent à des ruptures d'égalité dans l'accès aux droits et aux services publics.

Cela ayant été dit, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui vise à créer, sur le modèle du ticket-restaurant, un nouveau dispositif d'aide financière pour les salariés et agents publics utilisant leur véhicule personnel pour se rendre au travail. Il reviendrait à l'employeur de participer de manière volontaire au financement de ce ticket-carburant, afin de prendre en charge une partie des coûts de carburant de ses salariés qui résident ou travaillent en zone rurale.

Sur le principe, il s'agit d'une idée séduisante, qui met à contribution les employeurs pour financer les frais de transport de leurs salariés et qui recherche l'égalité territoriale. Si nous sommes favorables à redonner du pouvoir d'achat, nous aimerions toutefois que les employeurs commencent par augmenter les salaires, plutôt que d'utiliser des outils périphériques pour voir la fiche de paye augmentée à la fin du mois.

En outre, il existe déjà des dispositifs légaux, certes imparfaits, qui permettent aux salariés de bénéficier d'aides financières destinées à couvrir tout ou partie de leurs frais de déplacement pour se rendre sur leur lieu de travail. Ainsi, le code du travail prévoit que l'employeur peut prendre en charge de manière volontaire « tout ou partie des frais de carburant engagés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail », dès lors que les salariés habitent ou travaillent hors du périmètre d'une autorité organisatrice de la mobilité. Dans les faits, il semble que ce dispositif soit très peu utilisé, car il est peu contraignant pour les employeurs. Il pourrait être envisagé de le rendre plus contraignant.

Pour les salariés imposables sur le revenu – mais pour eux seuls, j'en conviens – , un dispositif fiscal permet une déduction des dépenses de transport engagées pour les trajets entre le domicile et le lieu de travail. Cette déduction peut prendre la forme soit d'une déduction forfaitaire de 10 %, soit d'une déduction des frais réels.

Dans ce contexte, si nous partageons l'objectif d'un texte qui vise à redonner du pouvoir d'achat aux travailleurs et travailleuses des zones rurales, nous nous posons des questions quant à sa mise en oeuvre.

Ainsi, les incitations financières utilisées pour déployer le dispositif sont-elles appropriées ? L'article 3 prévoit que l'employeur redevable du versement transport qui déciderait de mettre en place des tickets-carburant pour ses salariés pourrait déduire du versement précité la contribution au titre des tickets-carburant. Cela implique le déploiement d'une aide individuelle au déplacement, qui serait nécessairement corrélée à une réduction de l'enveloppe du versement transport, lequel est un outil collectif au service du développement des transports en commun. Quel serait l'impact financier de cette mesure ? Quid de sa compensation ? Pour notre part, nous sommes favorables au déplafonnement et à l'extension du versement transport, ce qui permettrait de dégager de nouvelles ressources afin de financer notamment les investissements ferroviaires indispensables. Cela permettrait, dans une logique de mutualisation, d'accroître l'offre de transports en commun.

Nous avons d'autre part des interrogations quant à l'effet réel du ticket-carburant et sa portée. Le caractère volontaire, pour les employeurs, de la mesure fait craindre, malgré la mise en place d'incitations sociales et fiscales, une application limitée du dispositif. De ce point de vue, il est éclairant de rappeler l'abandon du chèque transport, dispositif instauré en 2006 par le gouvernement Villepin, qui visait de la même manière à permettre la prise en charge par les employeurs des frais de transport du salarié entre son domicile et son lieu de travail. Son montant était défiscalisé et exonéré de cotisations sociales, mais le dispositif, très peu utilisé par les entreprises, a connu un échec, obligeant le Gouvernement à l'abroger deux ans après son entrée en vigueur. Certes, nous ne sommes pas dans le même contexte, mais la question se pose de la portée globale et de l'effectivité d'une nouvelle aide, en l'absence d'obligation légale, même minimale, pour les employeurs. Combien de salariés seront concernés ? En l'état, ces questions restent en suspens. Nous vous accordons toutefois que le caractère expérimental de la proposition de loi permettrait de répondre en partie à nos préoccupations.

Enfin, la prise en charge du nouveau dispositif par les employeurs reste floue. Malgré la précision apportée en commission que la prise en charge financière du ticket-carburant par l'employeur serait d'au moins 50 %, vous laissez à ce dernier la libre détermination de sa part contributive, ce qui pourrait limiter l'intérêt du dispositif. Il est vrai que les taxes sur les carburants, qui ont été augmentées, sont, comme toutes les taxes « aveugles » du type TVA, inégalitaires, puisqu'elles ne tiennent pas compte des revenus ; et l'on voit la répercussion que cela a sur la composition des ressources de l'État liées à l'impôt.

Ces points ayant été évoqués, nous partageons l'objectif de faire davantage pour faciliter les déplacements des travailleurs et des travailleuses des zones rurales, qui paient le désengagement de l'État et le manque de moyens publics en ce qui concerne les transports collectifs. Cela ne résoudra cependant pas toutes les questions : des travailleurs et des travailleuses vivant dans les quartiers populaires des zones urbaines ne bénéficient pas non plus de transports en commun efficaces et se trouvent en grande difficulté – et de plus en plus par les temps qui courent.

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