Intervention de Marielle de Sarnez

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarielle de Sarnez, rapporteure :

Mes chers collègues, nous avons été extrêmement nombreux à participer ce matin à l'hommage rendu à Jean Mazières, à Christian Medves, à Hervé Sosna et, bien sûr, au colonel Arnaud Beltrame, et il y aura tout à l'heure une « marche blanche » en hommage à Mireille Knoll, à laquelle nous serons également nombreux à nous rendre. Notre réunion, initialement prévue ce matin, a donc été reportée à cet après-midi et nous allons essayer de terminer nos travaux vers 17 h 30. Je vous propose de nous concentrer sur les articles du projet de loi dont notre commission s'est saisie pour avis. Vous savez que nous devons nous prononcer avant la commission des lois, saisie au fond.

Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier pour la qualité des échanges que nous avons eus il y a quinze jours. Ce n'était pas notre premier débat en la matière, et nous en aurons probablement d'autres car ces questions sont toujours d'une grande actualité. Notre discussion a permis d'enrichir mon projet de rapport, que vous avez reçu hier après-midi. Il sera publié dans une dizaine de jours, ce qui me permettra de procéder à d'éventuels ajouts ou ajustements – j'y suis tout à fait ouverte. Vous avez par ailleurs compris ma philosophie : je considère que notre commission est compétente sur l'ensemble des questions d'asile et d'immigration.

N'oublions pas ce qui s'est produit en 2015 : l'Europe a été absolument incapable de gérer la crise migratoire. Les chefs d'État et de Gouvernement n'ont pas su l'anticiper, et l'arrivée des réfugiés syriens n'a pas été organisée. Mon rapport commence par un état des lieux précis, car il est essentiel de regarder la réalité et les chiffres en face, en adoptant une approche globale. Ce sont des questions mondiales : au-delà de la France, les pays du Sud sont particulièrement concernés – notamment sous l'angle des migrations Sud-Sud, qui sont extrêmement importantes – de même que l'Europe, bien sûr.

Je suis convaincue que beaucoup de dysfonctionnements résultent d'un manque de convergence au plan européen. C'est notamment vrai pour les déboutés du droit d'asile – on en compte environ 800 000 en Europe, dont 500 000 en Allemagne. Comme ils se rendent ensuite dans d'autres pays pour déposer de nouvelles demandes, il existe une sorte de « marché de l'asile » qui n'est bénéfique à personne. Nous devons aller vers davantage de convergence et d'harmonisation au sein de l'Union européenne.

Le projet de loi comporte une avancée sur ce plan : les demandes d'asile devront être traitées dans un délai de six mois en France, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays européens. Cela va dans le bon sens pour les demandeurs d'asile, mais aussi pour la société qui les accueille. Je souhaite également une harmonisation et une convergence pour les aides destinées aux demandeurs d'asile et aux réfugiés. Par ailleurs, il me paraît indispensable de réfléchir à une reconnaissance mutuelle des décisions prises en matière d'asile, en particulier lorsqu'elles sont négatives.

Nous devons aussi repenser deux dispositifs qui n'ont pas fonctionné au niveau européen. Tout d'abord, nous avons besoin d'un mécanisme d'alerte rapide permettant d'anticiper réellement les crises. Il n'était pas très difficile de voir qu'une crise allait se déclencher en 2015 : c'était manifeste quand on se rendait dans les principaux pays d'accueil des réfugiés syriens, mais nous n'avons pas été capables d'anticiper. Par ailleurs, le dispositif prévu par la directive sur la protection temporaire est trop lourd. La Commission européenne n'a même pas proposé au Conseil de l'appliquer, ce qui me paraît très dommage. Ce mécanisme est conçu pour apporter une solution temporaire en cas de crise ou de guerre, dans la perspective du retour des réfugiés dans leur pays d'origine, ce qui me semble positif en termes d'acceptabilité sociale.

Mon rapport évoque ensuite la politique de retour. Comme elle fonctionne mieux chez certains de nos voisins, je crois que nous aurions intérêt à nous interroger. Il faudrait probablement s'inspirer de certains exemples étrangers, notamment celui de l'Allemagne, qui utilise beaucoup plus que nous les retours volontaires. Les bonnes pratiques méritent d'être prises en compte.

Pour résumer, nous devons faire plus et mieux sur le plan européen. Cela implique notamment d'adopter un cadre financier pluriannuel (CFP) qui soit enfin à la hauteur des enjeux en matière d'asile, d'immigration et de développement – je sais que notre collègue Maurice Leroy est sensible à cette question.

J'en viens à la deuxième partie de mon rapport, qui est consacrée aux relations avec les pays d'origine. Le bilan est mitigé dans ce domaine, car les accords de gestion concertée des flux migratoires n'ont pas très bien fonctionné. Si nous voulons lutter contre l'immigration irrégulière avec la plus grande efficacité possible, je crois qu'il faut des voies légales bien identifiées pour les migrations : ces deux aspects vont de pair.

Je propose donc d'ouvrir un débat sur la migration économique. Il faut oser cette question. Je suis très heureuse que des « passeports talents » existent, par exemple, mais je ne suis pas sûre que cela ne pose pas, à terme, la question de la « fuite des cerveaux » dans un certain nombre de pays. Ce type de mobilité doit faire l'objet d'une acceptation générale, aussi bien dans les pays d'origine que dans ceux d'accueil.

Au niveau européen, les migrations économiques représentent 25 % des entrées, contre seulement 10 % en France. Il y a peu d'immigration identifiée comme économique dans notre pays, mais nous avons en revanche de l'immigration irrégulière, et ensuite des régularisations. On doit privilégier les voies légales : ceux qui veulent venir en France doivent savoir qu'elles existent et qu'il faut les utiliser.

Je pense aussi que nous devons introduire davantage de fluidité dans le système, en favorisant les allers-retours. C'est pourquoi je propose notamment une validation des acquis de l'expérience. Sur tous ces sujets, nous devons en partie changer de logiciel.

Par ailleurs, nous avons besoin d'une politique de développement à la hauteur de nos ambitions. Je ne suis pas certaine que ce soit toujours le cas, à cause d'une assez grande illisibilité et d'un certain éparpillement. Nous aurons d'autres occasions de revenir sur cette question : elle fait l'objet d'une mission d'information spécifique de notre commission et notre collègue Hervé Berville a été chargé de remettre un rapport au Gouvernement. Je crois qu'il faut repenser notre politique de développement afin de la rendre plus lisible, notamment grâce à une augmentation très sensible de la part de l'aide bilatérale. Notre action est essentiellement multilatérale à l'heure actuelle, ce qui nous prive d'un levier sur le plan politique et d'une capacité d'action. Le Royaume-Uni a été capable d'aider dix ou vingt fois plus que nous les réfugiés syriens au Liban, en Turquie et en Jordanie.

Mon rapport s'efforce de tenir compte de nos échanges en commission, je l'ai dit, mais aussi des auditions et des entretiens que j'ai menés : j'ai rencontré 27 interlocuteurs, tout à fait remarquables, dont la liste figure à la fin de mon rapport. Ce travail n'épuise en rien la réflexion que nous devons mener : la mission d'information sur les migrations que je conduis s'inscrit dans une perspective globale, dont nous espérons qu'elle inspirera aussi le Gouvernement.

Enfin, je veux souligner que nous avons besoin de transparence sur les questions d'asile et d'immigration. Les objectifs du Gouvernement doivent être connus et il faut vérifier leur bonne application. C'est pourquoi un débat annuel me paraît nécessaire au Parlement. Cela me semble très important si nous voulons avoir une démocratie plus vivante et plus responsable sur ces sujets très complexes au plan humain. Il faut notamment prendre en compte l'acceptation des politiques qui sont menées. Je pense en particulier à la fuite des cerveaux en Afrique et plus généralement dans les pays les plus pauvres : c'est une vraie question pour leur avenir. Nous devons retrouver une relation de coopération, se déroulant dans la confiance entre des partenaires placés sur un pied d'égalité. Je le répète aussi : plus il existera des voies bien identifiées et raisonnables pour la migration légale, plus nous aurons d'arguments en faveur de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Voilà les observations dont je voulais vous faire part, très rapidement, en guise de préambule. Je vais maintenant donner la parole aux responsables des groupes, puis nous en viendrons à l'examen des articles.

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