Intervention de Mycle Schneider

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 15h45
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Mycle Schneider :

En 2009, nous avons effectué une analyse très fouillée de la question des compétences à l'occasion de la publication de The World Nuclear Industry Status Report, commandé par le gouvernement allemand, et qui portait en partie sur les questions économiques.

Il était déjà clair à l'époque que la France connaîtrait une période extrêmement problématique. Nous avions montré que le secteur allait faire face, jusqu'en 2016, à un pic des besoins en remplacement des départs à la retraite – de l'ordre de 60 %, par exemple, à EDF. EDF et Areva ont alors procédé à de très nombreuses embauches. Mais le démantèlement d'Areva est venu bouleverser nos analyses ; beaucoup de personnes ont été licenciées depuis et je n'ai pas de vue actualisée de la situation.

Il ne suffit pas que des jeunes entrent dans les filières nucléaires, il faut aussi qu'ils y restent. Le déficit de motivation n'existe pas seulement à l'entrée des études : des jeunes formés quittent la filière après quelques mois d'exercice et se dirigent vers d'autres secteurs.

Cela tient en partie à la façon dont nous envisageons cette filière. Tout se passe comme s'il fallait, pour motiver les jeunes, continuer de vanter l'avenir radieux du nucléaire, évoquer des ventes d'EPR dans le monde entier, à rebours de la réalité. Il faut plutôt s'attacher à redéfinir ce que sera l'avenir dans le secteur : ainsi, il est évident que la gestion des déchets, le démantèlement et le nettoyage des sites jouissent de perspectives sur plusieurs siècles. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la sécurité de l'emploi est extraordinaire dans le nucléaire !

Il faut être clair lorsque l'on s'adresse aux jeunes : on ne cherche pas les personnes qui construiront dix réacteurs en Arabie Saoudite ou en Inde. Et si un ou deux projets voyaient le jour, cela ne réglerait pas pour autant le problème en France.

Si l'EPR de Flamanville a été commandé, ce n'était pas pour produire de l'électricité, il y avait une surcapacité, mais exclusivement pour maintenir la compétence. Flamanville 3 était certes un projet de démonstration – le vieux dogme selon lequel vous ne pouvez vendre ce que vous ne faites pas chez vous – mais le réacteur a surtout été construit pour éviter une rupture dans les compétences et les rehausser. Malheureusement, ce que le projet a démontré, c'est l'incompétence…

La nature de la motivation doit changer. Pourquoi faudrait-il être fanatique, adepte de l'Église du nucléaire et de ses croyances pour travailler dans la filière ? C'est une chose que je n'ai jamais comprise ! Il y a, dans le nucléaire, une science fascinante à l'oeuvre, beaucoup de travail et de responsabilités – et cela sans que l'on ait à construire dix réacteurs dans la prochaine décennie.

S'agissant des déchets, ce sont les mines qui produisent les plus grands volumes – plusieurs dizaines de millions de tonnes de mètres cubes en France. Les options, pour de tels volumes, sont restreintes. Un groupe de travail a effectué une étude, intéressante à plus d'un titre.

Concernant la prise en charge des déchets de moyenne et de haute activité, ma position a toujours été très simple : j'estime que les connaissances scientifiques et techniques actuelles ne sont pas suffisantes pour décider pour l'éternité. Quelle que soit la solution retenue, elle doit être intermédiaire. Peut-être parviendra-t-on un jour à la conclusion que le stockage géologique est la meilleure des options, je ne l'exclus pas. Mais il est certain, aujourd'hui, que les éléments ne sont pas rassemblés.

De plus, les projets étrangers montrent qu'une telle option est prématurée. En Allemagne, des galeries de la mine de sel désaffectée d'Asse se sont effondrées, provoquant un désastre : il faut désormais retirer les fûts, pour un coût astronomique, sans savoir où les entreposer puisqu'il n'existe pas d'autres sites autorisés. Aux États-Unis, le Waste Isolation Pilot Plant (WIPP), un centre de stockage de déchets plutonifères en couche profonde, a connu un incendie en 2014, causé par l'introduction non maîtrisée de certaines matières. De plus, l'intérêt du sous-sol a changé de nature en très peu de temps et le WIPP, qui forme un carré avec différents niveaux d'accès, se trouve désormais entièrement délimité par des forages de pétrole de schiste.

Que faire alors ? Soit un entreposage en subsurfaçique, soit une bunkérisation, sous différentes formes. Le projet allemand qui consiste à creuser un tunnel sous une colline est une option très intéressante : une bunkérisation naturelle, très facile d'accès, très facile à contrôler et à placer sous monitoring pour détecter les fuites. Je n'ai pas de religion, mais j'estime qu'il ne faut pas choisir une solution définitive.

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