Nous accueillons Mme Clara Gaymard, qui possède une solide expérience de l'administration, acquise notamment au sein de l'ex- Direction des relations économiques extérieures (DREE), puis comme présidente de l'Agence française des investissements internationaux (AFII).
En septembre 2006, vous rejoignez, madame, General Electric (GE), d'abord pour assurer la présidence France puis celle de la région Europe du Nord-Ouest ; à partir de 2009 enfin, vous êtes en charge chez General Electric International des grands comptes publics, puis du secteur « Gouvernements et villes ». Votre audition est évidemment importante pour nous, puisque vous êtes, pour ce qui concerne General Electric, la mémoire du rachat de la branche « Power » d'Alstom par General Electric, sur lequel nous nous sommes beaucoup penchés.
Nous aurions aimé dans un premier temps, puisque vous avez eu au sein du groupe des responsabilités au niveau mondial, que vous nous rappeliez ce qu'était la stratégie de rachat et la stratégie de développement international de General Electric avant 2014 et avant que le groupe s'intéresse au rachat de d'Alstom. Ce rachat était-il une opération isolée ou s'inscrivait-il dans une logique préalable de fusions-acquisitions ? Lors de votre précédente audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée, on vous a beaucoup interrogée sur l'avenir d'Alstom, mais vous avez assez peu eu l'occasion de développer ce qu'étaient les objectifs de General Electric et la logique de cette acquisition d'Alstom.
En second lieu, nous souhaiterions vous entendre sur le contexte de ce rachat. Je ne vous cache pas que je commence à considérer comme une fable cette histoire de la dépêche Bloomberg du 24 avril par laquelle tout le monde aurait subitement découvert l'intention de General Electric de racheter à Alstom sa branche « Power ». Le ministre Arnaud Montebourg nous a dit vous avoir rencontrée dès le mois de février, à l'occasion d'un déplacement du Président de la République française aux États-Unis, et avoir alors échangé avec vous sur ce sujet. Des articles de presse documentés et anciens font état de discussions antérieures entre M. Poux-Guillaume et General Electric, ainsi que de contacts entre banques conseils travaillant pour Bouygues, qui souhaitait – ce n'était déjà plus un secret – se désengager de sa participation dans Alstom.
Pour compléter ce contexte, pouvez-vous revenir sur les contacts que vous avez vous-même eus avant cette opération ? Outre Arnaud Montebourg, quels autres contacts avez-vous eu au niveau gouvernemental ? Quels étaient vos interlocuteurs à Bercy, à Matignon, à l'Élysée, en amont et au cours de l'opération ? Nous voudrions tout particulièrement comprendre le déroulement de la procédure d'autorisation donnée par le ministre de l'économie au titre des investissements étrangers en France, procédure administrative gérée par un bureau de la sous-direction du Trésor, mais peut-être pas seulement par ce bureau.
M. Poupart-Lafarge nous a également communiqué la liste des conseils dont Alstom s'était entouré pour cette opération : y figurent dix cabinets d'avocats, une banque conseil – la banque Rothschild – ainsi que deux cabinets de lobbying et de communication – Publicis et DGM. Quels sont les conseils dont GE International s'est entouré de son côté pour conclure ce deal ? Une note de l'Autorité des marchés financiers (AMF) indique que le rachat de sa branche énergie a représenté pour les actionnaires d'Alstom un coût de 300 millions d'euros, ce qui inclut 0,2 % de taxe sur les transactions financières, le reste devant donc correspondre aux honoraires des conseils, des avocats, des banques et des communicants. Pouvez-vous nous dire ce que cette opération a coûté de son côté à General Electric ?
Pouvez-vous également revenir sur les démarches que vous avez personnellement menées pour accompagner ce projet puisque, avant le décret « dégainé » par Arnaud Montebourg selon sa propre expression, au moment de la vente, la cession de la branche Power d'Alstom entrait déjà dans le champ du contrôle des investissements étrangers, tels que définis par le décret Villepin et la législation en vigueur ? Des contacts avaient-ils été déjà pris pour s'assurer que le Gouvernement ne s'opposerait pas à ce rachat ? Et quel a été le contenu de votre dialogue avec l'État ?
L'État a posé au rachat un certain nombre de conditions, qui ne sont pas totalement publiques – les lettres d'engagement n'ayant pas été publiées – mais pour partie détaillées sur le site de l'AMF. Quels ont donc été les principaux points de discussion avec l'État, hormis les sujets de préoccupation que représentaient les contrats de suite avec EDF pour l'entretien de nos cinquante-huit réacteurs nucléaires et les autres marchés en cours, à quoi s'ajoutent également des dispositions concernant les brevets, le maintien en France de plusieurs sièges sociaux et, moins habituelles en matière de contrôle des investissements étrangers, des dispositions portant sur la création de mille emplois en France. Concernant ce dernier engagement, nous avons par ailleurs cru comprendre que, s'il figurait dans l'accord rendu public le 22 juin 2014 et signé par M. Immelt, M. Kron et le ministre de l'économie Arnaud Montebourg, il n'avait pas été repris en tant que tel dans l'autorisation d'investissement accordée par le Gouvernement aux termes du code monétaire et financier. Il s'agirait donc d'une sorte de disposition contractuelle établie en marge de la décision d'autorisation de rachat.
Enfin, nous aimerions avoir votre regard sur la situation trois ans après. Vous avez quitté General Electric, et certains commentateurs considèrent qu'une fois le travail accompli, le groupe aurait décidé de se passer de vos services. Pour aller jusqu'au bout de la franchise, n'avez-vous pas le sentiment, au regard du profil plus opérationnel et plus orienté vers le business de votre successeur, que General Electric vous aurait recrutée avant tout pour votre connaissance de l'administration et des pouvoirs publics, et pour faire de vous qui aviez été l'ambassadrice des investissements étrangers en France l'ambassadrice des investissements de General Electric dans notre pays ?
J'ai relu ce matin le compte rendu de vos auditions devant la commission des affaires économiques ; trois ans après, le mot « alliance » fait évidemment quelque peu sourire, puisque le montage imaginé à l'époque aura entretemps fait long feu : l'État ne sera pas actionnaire d'Alstom et Alstom se sera désengagé des trois joint-ventures. Il ne reste aujourd'hui plus grand-chose de ce que les ministres nous présentaient alors comme une alliance, voire une « alliance entre égaux », pour les plus audacieux d'entre eux.
John Flannery lui-même, qui pourtant a suivi de près le rachat à vos côtés, a eu l'occasion de déclarer aux actionnaires de General Electric qu'il avait trouvé l'acquisition d'Alstom décevante quant à ses performances. Pour notre part et compte tenu des licenciements importants annoncés par General Electric, notamment en Europe, nous avons les plus grandes inquiétudes sur ce que sera le sort d'Alstom, une fois passée la période de protection qui avait été négociée par le Gouvernement.
Vous témoignez devant une commission d'enquête. Avant de vous céder la parole, je vais donc vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment.