Nous recevons Monsieur David de Rothschild, président de la Banque Rothschild & Co. Il est accompagné de deux associés gérants, Messieurs Grégoire Chertok et Nicolas Bonnault, et par Madame Caroline Nico, directrice de la communication.
Monsieur de Rothschild, votre établissement, très réputé, s'est hissé en 2017 au rang de leader mondial dans le domaine des fusions-acquisitions. Ce succès résulte de la qualité et de réactivité de vos équipes, mais également de votre présence dans quarante pays à travers le monde.
C'est votre rôle en matière de fusions-acquisitions qui intéresse particulièrement notre commission d'enquête. La loi française prévoit la libre circulation des capitaux. Mais l'article L. 151-3 du code monétaire et financier organise un régime d'autorisation préalable pour les investissements étrangers réalisés en France (IEF) dans une activité qui, même à titre occasionnel, participe à l'exercice de l'autorité publique ou relève de l'ordre public, de la sécurité publique ou des intérêts de la défense nationale – ce que l'on appelle par facilité de langage les « secteurs stratégiques ». Ce régime d'autorisation est confié au ministre de l'économie.
Nous souhaitons comprendre comment, en pratique, ce régime d'autorisation des IEF est mis en oeuvre dans notre pays. C'est un mécanisme ancien : la loi relative aux relations financières avec l'étranger date du 28 décembre 1966. Elle a été modifiée pour la dernière fois le 9 décembre 2004 et a été complétée par des décrets, le premier en 2005 – dit « Villepin » – et le second en 2014 – dit « Montebourg ».
Comment un établissement comme le vôtre intervient-il lorsqu'il est chargé d'établir un deal avec une entreprise relevant de ces secteurs stratégiques ? Quelles contraintes spécifiques intégrez-vous ? Comme en matière de concurrence, le décret de 2014 prévoit la cession d'une partie de l'activité : l'opération n'intéresse donc pas que les avocats, mais également le banquier que vous êtes.
De manière plus concrète, pourriez-vous nous expliquer selon quelles modalités vous êtes intervenus dans le dossier de la vente de la branche « Énergie » d'Alstom à GE. Vous avez accompagné à la fois Alstom et son actionnaire de référence comme banque conseil et avez très tôt été intéressé au deal – probablement dès l'origine. Avec qui avez-vous travaillé sur ce dossier ? Comment réussit-on à boucler une telle opération en si peu de temps ?
Étiez-vous le conseil habituel d'Alstom ? N'étiez-vous pas dans une situation compliquée – conseil d'une entreprise, mais également de son actionnaire de référence ? Ils pouvaient avoir des intérêts divergents : celui de Martin Bouygues était de se retirer, celui d'Alstom aurait pu être de continuer à vivre dans son unité.
Le Gouvernement de l'époque a souhaité explorer des pistes alternatives – avec Mitsubishi ou Siemens. Avez-vous eu l'occasion de travailler sur ces scénarios pour le compte d'Alstom ? Ou bien votre mission ne portait-elle que sur la vente à GE ?
De façon plus théorique cette fois, quel regard portez-vous sur le développement des procédures de contrôle des investissements étrangers ? Avec l'amplification de la mondialisation, l'accroissement du volume des liquidités en circulation dans le monde, les États qui conservent quelques ambitions en matière de souveraineté – certains espèrent que c'est encore le cas de la France –, cherchent des moyens – de préférence non capitalistiques – pour garder le contrôle de leurs entreprises « stratégiques ». L'Allemagne y a recouru en 2016. Les États-Unis ont été précurseurs avec le Committee on foreign investment of the United States (CFIUS). Ils réfléchissent actuellement à un projet de loi bi-partisan destiné à muscler leur dispositif – le Foreign Investment Risk Review Modernization Act (FIRRMA). De même, l'Europe imagine un mécanisme de screening, qui marque un changement de philosophie. Enfin, le Gouvernement français souhaite renforcer son dispositif – tant dans son champ que dans ses modalités de sanction.
Ce mouvement vous semble-t-il problématique, de nature à décourager les investisseurs et à freiner l'attractivité d'un pays – les statistiques semblent démontrer que les investissements directs étrangers (IDE) y sont insensibles –, ou relève-t-il d'une nécessaire régulation du capitalisme, dès lors que les règles sont prévisibles ?
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.