Intervention de David de Rothschild

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

David de Rothschild, président de Rothschild & Co :

Je présenterai notre établissement en quelques mots, ferai ensuite des observations générales et laisserai mes voisins traiter les sujets techniques, si vous en êtes d'accord. Grégoire Chertok a en effet la responsabilité de l'ensemble des activités de banque d'affaires en France, et Nicolas Bonnault est un expert chevronné sur les questions industrielles.

Nous avons trois métiers, dont deux ne concernent pas notre réunion – les activités de banque privée et de private equity (investissements directs en français). La banque d'affaires est notre troisième métier. C'est celui qui vous intéresse aujourd'hui.

Nous avons démarré nos activités en France en 1982, après un épisode historiquement intéressant puisque tout venait d'être nationalisé en France, y compris les banques. Le Gouvernement avait fixé le seuil de nationalisation des banques à cinq milliards de francs de dépôts de résidents. Il s'est aperçu que nous n'en avions que deux milliards et demi et a donc fait voter un deuxième texte abaissant le seuil à un milliard… Mais il s'agit d'une anecdote historique.

Depuis, nous avons fait du chemin : nous comptons 3 500 employées, dont un peu plus de 1 000 en France. Nous sommes installés dans une quarantaine de pays et disposons d'une cinquantaine de bureaux. Nous sommes heureux – et sans doute l'êtes-vous également – d'être la seule banque exerçant ces métiers et disposant d'un rayonnement international dont le siège social est à Paris et qui est cotée à la Bourse de Paris. Je suis peut-être d'un patriotisme primaire, mais je suis fier de cet ancrage français.

Au-delà de l'aspect émotionnel, cet ancrage signifie également que nous accompagnons depuis des décennies les entreprises françaises dans leur développement domestique et international : c'est le cas pour Casino, devenu le premier distributeur brésilien. Nous avons également soutenu Engie – ex-Suez-Gaz de France – dans de nombreuses opérations. Nous travaillons pour Publicis. Nous avons largement favorisé le développement d'Atos, devenue une grande entreprise – elle ne l'était pas quand l'actuel président en a pris la responsabilité. Nous avons notamment participé au rapprochement entre Atos et Siemens. Nous avons aussi contribué à faire d'Essilor un champion mondial grâce à sa fusion avec Luxottica.

Nous ne travaillons pas que pour les grandes entreprises, mais également avec de moyennes entreprises ou des start-up. N'en doutez pas, le génie français existe ! Je ne dis pas cela parce que nous sommes à l'Assemblée nationale. Pendant dix-huit ans, j'ai été maire de Pont-l'Evêque, commune du Calvados, j'ai vu nos artisans travailler et j'ai pu comparer nos savoir-faire avec ceux d'autres pays. Objectivement, la France possède de précieuses compétences. Quand quelque chose dysfonctionne dans notre pays, il faut toujours s'interroger : est-ce un problème global ou individuel ?

Je le disais, nous travaillons pour des start-up et commençons à explorer les activités « tech », aussi bien en France qu'à l'étranger. Comme beaucoup, nous allons bientôt disposer d'un bureau à Palo Alto, au centre de la Silicon Valley.

La France est au coeur de notre développement. Les entreprises françaises sont notre fonds de commerce et la clé de notre succès. Je le dis pour ceux qui croiraient que nous pensons d'abord aux affaires et à l'argent : depuis trente ans, nous n'avons jamais conseillé une entreprise étrangère dans le cadre d'une opération hostile en direction d'une société française.

Nous restons très modestes, mais vous l'avez rappelé, depuis trois ans, nous figurons parmi les deux ou trois premières banques mondiales en nombre de transactions – transactions que nous réalisons non pas en notre nom propre mais pour le compte des entreprises pour lesquelles nous travaillons.

Notre métier est particulièrement lié à la conjoncture économique et au climat politique. Pendant de nombreuses années, à partir de 2007-2008 et de la crise des subprimes, notre chiffre d'affaires a été de 30 à 35 % inférieur à celui des deux dernières années. La volatilité est donc considérable : il faut la gérer avec attention.

Un banquier d'affaires n'est pas un décideur, sauf pour ce qui concerne son propre destin. Il n'est pas non plus un lobbyiste. C'est un conseiller et il doit s'entourer d'une équipe solide. J'enfonce quelques portes ouvertes, pardonnez-moi : quand on est face à un dossier, il faut d'abord analyser le secteur, comprendre l'entreprise, étudier sa situation financière, peser ses forces et ses faiblesses, connaître l'actionnariat et son évolution éventuelle. Il faut aussi comprendre sa gouvernance. On peut alors étudier la faisabilité du projet qui nous est confié. Les modalités d'exécution sont nombreuses : le client attend donc de nous une évaluation des risques. Le risque-récompense (risk-reward) en vaut-il la peine ? Quelle option le conforte ?

Pour conclure, je vous ferai part d'une opinion personnelle à laquelle vous n'êtes nullement tenu d'adhérer. Mais elle me semble intéressante car, même si elle concerne Alstom, elle peut être appliquée à d'autres situations. Je comprends parfaitement que l'éclatement d'un grand groupe français emblématique comme Alstom puisse interpeller, d'autant plus que l'entreprise avait plusieurs métiers et que sa restructuration a créé des combinaisons complexes.

Alstom Transport aurait sans doute pu survivre seul. Mais dans un monde qui se globalise, les concurrences sont complexes. Dès lors qu'il ne s'agit pas de brader une entreprise française, sa consolidation n'est pas dépourvue d'intérêt. L'opération, qui s'est traduite par un mariage avec Siemens, a permis à Alstom Transport de devenir une entreprise de tout premier plan dans le secteur. On peut être europhile ou europhobe – c'est une affaire individuelle – mais il n'est pas neutre d'avoir créé une entreprise franco-allemande solide dans le domaine des transports, dans laquelle la partie française est significative. Certes, les Allemands détiendront une part plus importante du capital que les Français, mais le directeur général est un Français et un homme très estimé. Les Allemands veulent qu'il reste à son poste. Le siège social est toujours à Paris et l'entreprise est cotée à la Bourse de Paris.

Je ne considère pas avoir traité le dossier, mais c'est un exemple intéressant de ce qu'on peut faire lorsqu'une entreprise française juge qu'elle doit grandir, qu'elle a du mal à grandir seule et doit s'adosser avec un groupe. Cela peut impliquer qu'à un moment donné, la majorité du capital ne soit pas entre des mains françaises. Malgré tout, des mariages de ce type ressemblent bien plus à une union qu'à une cession.

Notre industrie est très régulée. Du fait de la taille de notre établissement, nous dépendons de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Par ailleurs, comme toute entreprise cotée, nous sommes contrôlés par l'Autorité des marchés financiers (AMF). Ainsi, dans le cadre de notre rapprochement avec la banque marseillaise Martin Maurel, nous avons dû transmettre, par l'intermédiaire de l'AMF, des volumes colossaux de documents à Francfort. Par conséquent, sur le plan international, notre conformité – ou compliance – doit être particulièrement structurée et s'appuyer sur un service juridique extrêmement solide. Dans une banque comme la nôtre, les comptes rendus au comité d'audit ou au comité des risques représentent entre neuf cent et mille pages…

Nous sommes habitués à cette discipline et cela se traduit également dans nos comportements. Au fond, tout métier comporte un risque financier et un risque de réputation. Dans nos activités, le risque financier est limité par un ensemble de checks and balances, si vous me permettez cet anglicisme. Mais le risque de réputation peut être mortel, car nous signons avec nos clients un engagement éthique : ils s'engagent à tout nous dire et savent que nous n'allons rien répéter. En cas de faute de réputation, la perte de confiance des clients – et donc la perte de clients – est très rapide.

Les hasards de la vie font que l'établissement que je préside porte mon nom ; la faute de réputation est alors d'autant plus lourde…

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