Intervention de Jean-Pierre Floris

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 16h20
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Jean-Pierre Floris, délégué interministériel aux restructurations d'entreprises :

Question difficile… Il faut être transparent. C'est vrai pour tout. J'insiste beaucoup pour que les patrons expliquent exactement aux salariés la situation de l'entreprise, et que les syndicats aient la même information que les dirigeants – dans le respect de la nécessaire confidentialité s'entend –, sinon le contrat de confiance est rompu. C'est la seule façon de réussir, si nous travaillons tous ensemble, dans la même direction, avec une vision partagée.

Soyons clairs : je n'ai rien contre les fusions d'entreprises. Pour consolider les positions dans un monde global, avec la menace des entreprises chinoises ou américaines, il faut constituer des leaders européens, et si possible français. Pour que ces leaders soient français, il faut que les patrons français soit bons et que les entreprises d'origine française dégagent des marges. C'est seulement comme cela que nous serons ceux qui prennent et non ceux qui se font prendre. J'ajoute que, malgré l'ouverture des frontières, il faut aussi protéger à l'intérieur du territoire les entreprises qui ont du potentiel.

Il est vrai que, parfois, certaines entreprises lancées dans ces opérations de fusion manquent de transparence lorsqu'elle procède à ce genre d'opérations.

Vous avez raison de considérer que s'il faut restructurer, il vaut mieux le faire au départ. Il faut aussi pouvoir montrer au salarié quel en est l'avantage. Moi aussi, j'ai vendu des histoires de synergie, mais dans les synergies, théoriquement, il n'y a pas que les coûts. Si l'environnement concurrentiel change, si votre portefeuille de produits s'élargit, vous pouvez vendre davantage, parfois avec de meilleures marges. À long terme, les entreprises en bénéficient. Je sais par expérience personnelle que lorsque vous êtes dans un secteur exposé à la concurrence, il faut être parmi les leaders, et avoir une base de coûts excellente ; sinon vous êtes mort. Vous devez être en mesure d'expliquer à tout le monde que vous travaillez pour obtenir la base de coûts optimale, et pour avoir une position sur le marché suffisamment importante, sinon vous allez vous faire écraser par les clients.

Dans les différents métiers que j'ai pratiqués chez Saint-Gobain, j'ai pas mal travaillé pour l'industrie automobile. Dans ce secteur, pour gagner de l'argent, il faut être fort. Il faut pouvoir dire à un client qui veut changer les conditions de paiement : je ne suis pas d'accord, j'arrête de vous livrer… Si vous êtes un petit, vous êtes contraint de tout accepter et vous ne gagnez pas d'argent. Si vous êtes fort et que vous apportez des solutions technologiques, vous pouvez gagner de l'argent et développer les affaires.

Les concentrations d'entreprises doivent être justifiées, mais il faut être transparent. Cela dit, il est vrai que, parfois, pour faire un deal, on peut être amené à raconter des choses qui ne sont pas forcément vraies. Vous avez tout à fait raison.

Ajoutons que la vie est faite d'ajustements permanents. Pendant toute ma carrière dans l'industrie, j'ai négocié en permanence. Vous négociez les contrats avec le client, et lorsqu'un client ne veut plus vous acheter ce qui était prévu, vous renégociez… Lorsque d'un accord est passé entre un groupe et l'État, nous veillons à ce que ce contrat soit respecté. Toutefois, si le groupe n'arrive pas à remplir sa part pour telle ou telle raison, parfois indépendante de sa volonté, il faut renégocier… Je n'ai pas de bonne réponse : d'un côté, je trouve normal que l'État impose des conditions en termes d'emplois à préserver, et refuse par exemple les licenciements secs ; mais si nous sommes trop intransigeants pendant la durée de l'accord, l'entreprise pourrait, sitôt arrivée la date d'expiration, présenter un gros plan de licenciements de mille personnes… C'est comme dans un contrat commercial : si un gars vous demande quelque chose, vous renégociez pour allonger la sauce et ne pas vous retrouver avec une catastrophe sociale à la sortie. J'ai une vision pragmatique des choses.

En résumé, je suis favorable aux opérations de recentrage, mais il faut les expliquer, et je trouve normal que l'État fasse le maximum pour empêcher que les emplois français ne soient sacrifiés, en particulier les emplois très qualifiés qui garantissent l'avenir des entreprises.

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