J'ai passé toute ma vie dans l'industrie ; je ne suis pas venu à ce poste pour jouer au père Fouettard. Je suis au contraire obnubilé par le résultat. Vis-à-vis des investisseurs étrangers, nous devons nous montrer très business friendly. Et quand je dis qu'il ne faut pas que l'administration soit tatillonne, je veux dire qu'il faut aider les gens à prendre des risques et à investir.
S'agissant des engagements imposés en matière d'emplois, il faut distinguer le cas des grands groupes de celui des petites sociétés.
Dans le cas des grands groupes, les objectifs fixés sont clairs et je ne suis pas du tout opposé à la méthode consistant à imposer des garanties d'emplois. À titre personnel – la décision finale revenant au ministre –, je suis toujours dans une position de négociateur. Je ne suis pas un technocrate, même si je n'ai rien contre les gens de l'administration : je suis là pour aider les entreprises, avec une vision sociale qui est celle du capitalisme rhénan. Quand de boîtes viennent vous expliquer que, du fait du retournement de conjoncture, elles ne peuvent plus exporter, il faut les écouter et essayer de voir de quels moyens de négociation vous avez face au client ou au fournisseur. Le gars en face de vous est tenu par une obligation qui vous semble peut-être un peu absurde mais qui, légalement, n'en a pas moins une certaine signification. À vous de négocier pour obtenir quelque chose qui vous semble plus favorable à l'économie française. Le point que vous soulevez est extrêmement important, monsieur le rapporteur, et nous essayons effectivement de le prendre en compte ; reste à le vendre politiquement.
Pour les grandes entreprises, les engagements en matière d'emplois sont assortis d'une contrainte financière ; le problème se pose davantage pour les plus petites tailles où le vrai risque, c'est que l'entreprise ne tienne pas. Un repreneur peut venir raconter des histoires, promettre de maintenir les cent cinquante emplois de l'entreprise en échange de X millions d'euros ; et par la suite, l'entreprise se plante, le gars s'est payé sur la bête et vous vous retrouvez avec une entreprise dans une situation encore plus difficile qu'avant. Dans un cas pareil, vous n'avez aucun moyen de l'aider : la boîte est à nouveau au tapis et elle passe en redressement judiciaire. Il faut donc être très vigilant. On essaie donc, tant au niveau central qu'à celui des commissaires au redressement productif, de ne pas accepter de business plan qui ne soit pas raisonnable. Mais cela se sent : il suffit de cuisiner cinq minutes certains patrons de boîtes en difficulté sur leur chiffre d'affaires, leur fonds de roulement et leur génération de cash pour s'apercevoir qu'ils ne connaissent même pas leurs chiffres clés… Comment voulez-vous gérer une boîte dans ces conditions ? Il y a des gars qui vous baratinent sur de grandes stratégies : il ne sert à rien de les écouter. Disons-le : il y a des patrons qui ne font pas l'affaire, il ne faut donc pas s'engager avec ces gens-là. Tout à l'heure, nous étions avec une de vos collègues élue en Haute-Savoie à propos d'un malfrat qui a piqué des millions ainsi et qui « plante » les boîtes.
Comme je l'ai dit, nous essayons d'anticiper les restructurations. Je ne dis pas que nous le faisons bien, mais un gros travail a été entrepris avant mon arrivée avec la Direction du Trésor pour identifier les boîtes qui sont sur une mauvaise tendance. C'est plus difficile à faire pour les petites que pour les grandes. Nous essayons de mettre en place un système d'alerte pour intervenir le plus en amont possible. Pour les grosses entreprises, nous avons les informations par le CIRI. Il s'agit généralement d'entreprises en situation très difficile ; heureusement, dans de nombreux cas les restructurations se font sans douleur et nous parvenons à dialoguer avec les entreprises. Si leur plan économique est correct, nous l'acceptons. Nous regardons où elles comptent investir dans le futur et ce qu'elles comptent faire en termes d'accompagnement et de revitalisation. Il faut parfois que les salariés acceptent de se déplacer, ce qui peut poser des questions d'équilibre du territoire et autres.
Pour moi, la clé reste dans la formation – et je sais que les élus y sont très sensibles. La formation doit être dispensée au plus près des entreprises pour mettre les gens au boulot : il faut accepter de dépenser plus d'argent pour maintenir des centres de formation dans les zones rurales. Sinon, ce sont les grands centres urbains qui attirent les jeunes : ils viennent s'y former puis ils y restent. Autant je suis contre les aides publiques qui font gaspiller un argent fou à tout le monde, autant je soutiens qu'il faudrait dépenser beaucoup plus d'argent pour former les gens dans les territoires. Car même dans les territoires perdus, on manque de gens qualifiés. Sinon, c'est un cercle sans fin : sans personnels qualifiés, les boîtes ne se développent pas et crèvent encore plus vite.