Madame la présidente, chère Marie-Pierre Rixain, mesdames et messieurs les députés, je suis particulièrement heureuse que vous m'offriez l'occasion, cet après-midi, d'évoquer devant vous ce combat crucial, devant lequel nous ne devons jamais baisser la garde, ce combat dont nous devons sans cesse dire l'urgence et la nécessité démocratique : l'égalité entre les femmes et les hommes.
Il est des domaines dans lesquels nous ne pouvons plus attendre que les choses changent d'elles-mêmes – parce qu'elles ne changeront pas, ou pas assez vite. Celui-ci en fait partie, c'est ma conviction. J'ai donc décidé de mener en la matière une politique volontariste.
L'égalité femmes-hommes a évidemment progressé. Elle a fait plus de progrès au cours du siècle dernier, sans doute, qu'en plusieurs millénaires. Mais l'erreur serait de croire qu'il faut s'arrêter là, car nous n'en sommes qu'à la moitié du chemin. Nous avons obtenu l'égalité en droit – décisive –, mais il nous reste à obtenir l'égalité en actes. C'est l'un des grands défis pour les sociétés du monde entier, et la France ne fait pas exception.
Nous pensions que seule la révolution des comportements restait à faire, nous découvrons que même la révolution des consciences n'est pas achevée. L'actualité récente nous l'a malheureusement bien rappelé. Elle nous a rappelé les non-dits, l'omertà, les mentalités souterraines. Elle nous a rappelé les faits, c'est-à-dire les stéréotypes et les discriminations dont les femmes continuent de faire l'objet.
Aucune sphère n'est épargnée, aucune catégorie sociale, aucun secteur – surtout pas la culture. Les chiffres parlent – ils « crient », même ! Je ne veux pas vous assommer, mais je crois qu'il est important d'en rappeler quelques-uns. Ils sont issus du tout dernier observatoire de l'égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, publié le 8 mars dernier.
À peine plus d'un tiers de nos établissements publics culturels sont dirigés par une femme. Moins d'un tiers de nos 369 labels du spectacle vivant sont dirigés par des femmes. Et elles sont totalement absentes de certaines catégories : on ne compte, par exemple, aucune femme chef d'un orchestre labellisé par l'État.
L'accès aux opportunités professionnelles et aux postes à responsabilités reste donc profondément inégal. Mais ce n'est pas tout. L'accès aux programmations, aux scènes, aux expositions, reste aussi plus difficile pour les femmes artistes. Un long-métrage sur cinq agréés en France est réalisé par une femme. Un tiers seulement des oeuvres programmées dans nos théâtres publics sont signées par des femmes. Moins d'un artiste sur quatre exposés dans un Fonds régional d'art contemporain, structure financée à parité par l'État et les régions, est une femme. Seulement 2 % des oeuvres jouées dans nos labels sont les oeuvres de compositrices.
Par ailleurs, l'accès aux moyens de création et de production reste inégal : les femmes sont en moyenne moins soutenues. Dans le cinéma, par exemple, et je n'ai pas manqué de le rappeler au dîner des producteurs qui précède chaque cérémonie des César, sur les dix dernières années, le budget moyen des films de femmes était plus d'une fois et demi inférieur à ceux des hommes, ce qui me paraît très significatif. Parmi nos lieux labellisés, les femmes sont également à la tête des structures qui ont les plus faibles budgets.
Moins nombreuses, moins soutenues, les femmes restent aussi moins rémunérées. Les chiffres sont inacceptables. Dans les entreprises culturelles, les femmes gagnent près de 20 % de moins que les hommes, en moyenne. Au sein de mon propre ministère, les femmes gagnent en moyenne 10 % de moins que les hommes.
Devant ces réalités assommantes, il y a trois attitudes possibles.
La première, c'est le fatalisme : penser que les choses sont vouées à être ainsi, qu'il y a des métiers pour lesquels les femmes sont moins douées, point final… C'est un discours qu'on ne peut plus accepter aujourd'hui.
La seconde attitude possible, c'est la passivité : considérer qu'il faudra du temps, sans doute, mais que les talents parleront, et que la situation finira par s'équilibrer.
Moi, je ne veux plus attendre, parce que notre société ne peut plus attendre. Les jeunes filles qui grandissent aujourd'hui ne doivent pas attendre. C'est pourquoi je veux emprunter une troisième voie, celle du volontarisme.
Il faut changer la donne maintenant. Et je « forcerai » le changement à chaque fois que ce sera nécessaire. J'assume le recours aux quotas, aux obligations, aux objectifs chiffrés. Je considère que le secteur culturel a un devoir d'avant-garde dans les grands combats de société, et que mon ministère a un devoir d'exemplarité. Il va donc montrer la voie à son niveau, à travers ses établissements et toutes les structures qu'il soutient.
Je vous précise que mon cabinet est composé de sept femmes et trois hommes, et que la parité s'impose à tous les niveaux du ministère, y compris celui de la direction – où nous avons la chance de compter Mme Agnès Saal, ici présente. Nous sommes le premier ministère à avoir reçu le label « Égalité professionnelle » de l'Association française de normalisation (AFNOR), en octobre dernier. Il reconnaît l'exemplarité de notre politique de ressources humaines en administration centrale, dans les directions régionales et dans nos services à compétence nationale.
Nous sommes en train d'élargir la démarche à nos opérateurs, dont une vingtaine sont d'ores et déjà candidats. Je veux aller plus loin et obtenir des résultats tangibles d'ici la fin du quinquennat, afin que les citoyennes et les citoyens se disent : « Oui, les choses ont changé ». Pour que l'égalité ne reste pas une éternelle ligne d'horizon, mais qu'elle se concrétise enfin, j'ai tracé une feuille de route pour 2018-2022, qui répond à cinq urgences.
La première urgence, c'est la rémunération, l'un des principaux marqueurs de reconnaissance – pas le seul, mais un marqueur essentiel. C'est également un vecteur d'autonomie, car l'écart de salaire se répercute sur le plan social et culturel.
L'écart actuel de 10 % au sein de mon ministère est inacceptable, mais il n'est pas une fatalité. J'ai dégagé des moyens significatifs pour le résorber : nous allons ainsi consacrer un demi-million d'euros au rattrapage des écarts de salaire entre les femmes et les hommes sur la période 2018-2022.
La deuxième urgence, c'est l'accès aux opportunités. Nous devons lever les freins à l'emploi. Les femmes restent nombreuses, dans les couples, à assurer principalement la prise en charge des enfants : nous le savons, et nous devons tout faire pour que ce ne soit pas un obstacle à leur carrière. J'ai le plaisir de vous annoncer que nous avons mis en oeuvre le mécanisme permettant aux intermittentes du spectacle de faire financer la garde de leurs enfants par le Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS).
La troisième urgence est la formation. Il faut traiter les inégalités à la racine. Les écoles du ministère ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les discriminations, contre l'autocensure et contre le harcèlement. L'exemplarité passe par les jurys de nos 99 écoles, c'est pourquoi je souhaite instaurer la parité au sein de tous les jurys de sélection et de sortie – il n'existe en la matière aucune règle aujourd'hui. Et je souhaite voir une alternance femme-homme à leur présidence.
J'ai aussi demandé à nos établissements de s'engager dans la lutte contre le harcèlement, qui est une priorité absolue, et dans l'accompagnement des étudiantes dans leur orientation. Ils ont commencé à élaborer des chartes éthiques.
La quatrième urgence est celle des nominations. Le ministère de la Culture doit faire figure de modèle en matière de parité aux postes à responsabilités. Nous en sommes loin dans nos établissements publics, puisque 48 de nos 76 établissements sont dirigés par des hommes aujourd'hui, et seulement 27 par des femmes. Je souhaite que la parité devienne la règle, et qu'elle soit acquise d'ici la fin du quinquennat.
Tous les mandats vont arriver à échéance dans les cinq ans à venir – il y aura notamment 26 renouvellements cette année, 21 l'année prochaine, et 18 celle d'après, ce qui constitue une belle opportunité. La moitié des postes de direction exécutive des établissements publics du ministère seront occupés par des femmes en 2022.
Pour ce qui est des labels, je souhaite que la parité progresse à la fois au niveau des nominations et des programmations.
L'égalité doit concerner l'accès aux postes à responsabilité, mais aussi aux moyens de production et aux programmations. Nous en sommes loin, comme le montrent les quelques chiffres que j'ai indiqués. Vous savez que les nominations à la tête des labels ne dépendent pas seulement de nous : elles sont le fruit de codécisions avec les collectivités territoriales. Mais je veillerai à ce que l'État porte la voix de la parité, et je sais que nos élus comprennent et soutiennent cette ambition.
Des objectifs ont été donnés aux labels par la circulaire du 8 mars 2017. Nous allons disposer d'un bilan de leurs actions et de leur situation en juin. Sur cette base, nous fixerons des objectifs de progression.
En matière de nomination, je fixerai un objectif de progression de plus 10 % de femmes par an pour les catégories de labels dans lesquelles elles représentent moins de 25 % des dirigeants aujourd'hui, et un objectif de plus 5 % par an pour les catégories de labels dans lesquelles elles représentent entre 25 % et 40 % des dirigeants.
Les mêmes objectifs de progression seront mis en oeuvre, dès 2018, en matière de programmation : plus 10 % par an pour les structures dans lesquelles les femmes représentent moins de 25 % des artistes invités ou associés, et plus 5 % par an pour les structures dans lesquelles les femmes comptent pour 25 à 40 % des artistes invités ou associés.
Un suivi sera instauré, avec des conséquences directes sur les subventions, et un système de « malus » sera mis en oeuvre pour les labels qui ne respecteraient pas leurs obligations.
La programmation est un enjeu majeur, à double titre : non seulement pour offrir une juste reconnaissance aux artistes actuelles ; mais aussi pour préparer l'avenir, en suscitant des vocations chez les jeunes filles qui, en allant au spectacle ou au musée, se diront : « Demain, ce sera moi ! »
La cinquième urgence est celle des regards : nous devons faire tomber les stéréotypes, et changer la représentation des femmes dans les médias. Le secteur s'est lui-même saisi de cet enjeu, et je veux saluer les initiatives qui ont été prises dans ce domaine.
Je pense à l'audiovisuel public, qui fait figure de modèle en matière de nomination, puisque la moitié des dirigeants sont des femmes, et il continue à se mobiliser. Arte et France Médias Monde vont préparer leur candidature au label Égalité ; France Télévisions s'est engagé à faire progresser la part de femmes sur ses plateaux d'experts, pour parvenir à la parité en 2020.
Je pense à l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui a récemment signé une « Charte d'engagement pour la lutte contre les stéréotypes sexistes dans la publicité », avec les professionnels du secteur.
Je pense aussi au journalisme et à l'édition. Cette année, les écoles de journalisme ont consacré deux jours de leur conférence nationale annuelle à l'égalité professionnelle. L'édition souhaite engager, avec le soutien du ministère, une réflexion sur les stéréotypes présents dans la littérature jeunesse et dans la bande dessinée.
Je pense enfin au secteur du cinéma, qui a du chemin à faire et qui doit devenir irréprochable. Je salue les initiatives annoncées par Frédérique Bredin, présidente du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) : la création d'un observatoire de l'égalité dans le cinéma et l'audiovisuel, qui produira des statistiques sur l'emploi, les salaires, les aides attribuées ; l'instauration de la parité dans les commissions du CNC et à leur présidence, ainsi que dans les jurys des festivals et des écoles de cinéma ; le lancement d'une étude sur le devenir des femmes diplômées des écoles de cinéma, afin d'objectiver les difficultés d'accès à l'emploi.
D'autres mesures sont en préparation pour améliorer la place et la présence des femmes au cinéma. Je ferai des annonces le moment venu. J'organiserai par ailleurs un séminaire sur l'égalité femmes-hommes au Festival de Cannes, avec mon homologue suédoise.
Mesdames et messieurs les députés, vous l'aurez compris : je suis déterminée à agir, à faire bouger les lignes, en actionnant tous les leviers qui sont à ma disposition. Je commencerai par mon ministère, nos établissements publics, nos labels, qui doivent être exemplaires. Et je veux accompagner plus largement toute la sphère artistique et culturelle dans sa révolution.
Je considère que tous les moyens sont bons pour mener ce combat. C'est un combat culturel. C'est l'un des grands combats du xxie siècle. C'est notre combat, celui de toutes les générations.