Intervention de Françoise Nyssen

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 16h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Françoise Nyssen, ministre de la Culture :

Toutes les questions que vous m'avez posées sont liées. Ainsi, la question d'ordre philosophique de Mme la présidente sur la façon de mettre fin aux représentations dégradantes des femmes tout en faisant en sorte de préserver la liberté artistique trouve une partie de sa réponse dans les mesures à prendre en matière de formation, qui faisaient l'objet d'une question de Mme Anthoine.

Effectivement, c'est au cours de la formation que tout commence, même si cela ne fait pas tout. J'en parlais dernièrement avec Stanislas Nordey, directeur du théâtre national de Strasbourg et de son école, qui fait beaucoup d'efforts pour aller chercher des jeunes femmes ou de jeunes artistes issus de la diversité. Faire en sorte que davantage de femmes intègrent ces filières de formation artistique est une bonne chose, mais notre réflexion ne doit pas s'arrêter là, car on a déjà constaté qu'on ne retrouve pas forcément toutes ces femmes en sortie de filière – c'est vrai pour le théâtre comme pour le cinéma, notamment avec la FEMIS.

Pour ma part, je crois que l'image que les femmes peuvent avoir d'elles-mêmes est très importante, c'est pourquoi il faut continuer à lutter contre les stéréotypes de manière déterminée et volontaire, et faire en sorte que des femmes fassent partie de conseils d'administration et de jurys. Tout cela a à voir avec l'objet même de la politique que je mène au sein de mon ministère, à savoir la lutte contre la ségrégation culturelle qui ne consiste pas seulement en une ségrégation géographique, sociologique et économique. Pour les femmes, cette ségrégation est aussi d'ordre psychologique, et consiste à s'autocensurer en se disant : « Ce n'est pas pour moi » – une attitude que nombre de femmes ont complètement intériorisée.

Je suis étonnée de constater que les femmes les plus jeunes sont souvent les moins convaincues de la nécessité de mettre en place des quotas et, d'une manière générale, de prendre des mesures afin de contrebalancer la ségrégation dont sont victimes les femmes. Si la volonté et l'envie d'aller de l'avant permettent à de nombreuses femmes de s'en sortir, ce n'est malheureusement pas suffisant pour toutes !

Hier soir, lors du grand rassemblement des volontaires « Cinéma et Citoyenneté » qui avait lieu au Grand Rex, et auquel j'ai assisté avec Frédérique Bredin, une jeune fille qui avait effectué son service civique a déploré que les gens aient une mauvaise image des jeunes. Je lui ai dit que si j'étais ministre de la Culture, c'était pour que les choses changent.

Pour en revenir aux actions engagées en matière de formation, j'ai évoqué dans mon exposé liminaire les chartes éthiques que j'ai demandé à nos 99 établissements de rédiger, dès le début de l'affaire Weinstein, afin de combattre le harcèlement, et de le faire en concertation avec les enseignants, les étudiants et les représentants du personnel. Pour lancer cette action, nous nous sommes rendus dans deux écoles, et j'ai constaté que, lors des discussions sur le projet entre les élèves et les professeurs, la parole s'est libérée. Nous devrons veiller à transmettre une culture de l'égalité au travers des enseignements dispensés, mais aussi de l'instauration de la parité au sein du corps enseignant et des jurys et commissions – un point auquel j'attache une grande importance. Il s'agit également d'informer les jeunes filles sur l'ensemble des métiers, afin qu'elles puissent se projeter dans des carrières diversifiées.

Dans les chartes éthiques, qui constituent un outil de communication et de formation, un accent particulier sera mis sur la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes dans les écoles supérieures culture. Au sein du ministère de la Culture, des cellules d'alerte ont été mises en place, ainsi qu'un numéro de téléphone « Allô Discrim » ouvert aux 30 000 agents du ministère de la Culture, et une publicité est faite au sujet des sanctions qui seront prises contre les auteurs d'agissements répréhensibles.

Une autre idée peut consister à créer des réseaux transdisciplinaires d'anciennes élèves, afin de consolider et diversifier les parcours professionnels féminins, et à mettre en place des « marrainages ».

Vous avez évoqué, madame la présidente, la difficulté qu'il y a à concilier les droits des femmes et la liberté de création, une difficulté à laquelle nous sommes confrontés dans chacune des affaires qui éclatent. Au moment de l'affaire Weinstein, il y a eu une polémique au sujet de la rétrospective Polanski qui devait avoir lieu à la Cinémathèque, l'association Osez le féminisme ayant appelé à une manifestation à l'occasion de l'inauguration de cette rétrospective. Je me suis entretenue avec le président de l'institution, Costa-Gavras, ainsi qu'avec Marlène Schiappa, et la décision a été prise de maintenir la rétrospective qui devait commencer le jour même, considérant que l'homme devait être dissocié de son oeuvre. En revanche, Costa-Gavras a convenu qu'il valait mieux annuler la rétrospective qui devait être consacrée à Jean-Claude Brisseau quelques mois plus tard, en janvier 2018.

De merveilleuses réalisatrices – je pense à Chantal Akerman, à Agnès Varda, à Coline Serreau – ont travaillé sur la notion de stéréotypes, et nous ne sommes donc pas en manque de matière si nous voulons engager une réflexion sur ce thème. On ne saurait en tout cas reprocher à la Cinémathèque de ne pas valoriser les réalisatrices et les actrices dans les rétrospectives qu'elle organise. Par ailleurs, le conseil d'administration de cette institution est paritaire et, sur les quatre personnalités nommées par le ministre de la Culture, trois sont actuellement des femmes.

On m'a souvent demandé de m'exprimer au sujet de l'affaire Cantat, ce qui m'est douloureux. Je réponds à chaque fois que, plutôt que de parler de Bertrand Cantat, je préfère évoquer la mémoire de la femme et de l'actrice merveilleuse qu'était Marie Trintignant – je la connaissais personnellement. Quand une personne disparaît, surtout dans des conditions aussi atroces, je trouve que le pire serait de l'oublier. Je pense donc à Marie, ainsi qu'à ses parents.

Pour ce qui est de Bertrand Cantat, il a été jugé et a désormais le droit de vivre normalement. Si la liberté de création et de programmation est un principe essentiel, consacré par la loi, et si le ministère n'a en aucune manière à intervenir dans la programmation des festivals, j'estime que les programmateurs doivent prendre leurs responsabilités, et j'ai d'ailleurs noté que plusieurs manifestations avaient retiré Bertrand Cantat de leur programmation. Cela dit, l'essentiel aujourd'hui consiste à nous engager, plus fortement que jamais, dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Je crains pour ma part que la situation des femmes dans le monde ne régresse, c'est pourquoi nous nous devons d'être absolument exemplaires en France.

Pour ce qui est du financement et de la diffusion télévisée des oeuvres artistiques créées par des femmes, un observatoire de l'égalité femmes-hommes dans le cinéma et l'audiovisuel a été créé. Il publie chaque année, dans le cadre du bilan du CNC, des statistiques genrées précisant l'emploi des femmes dans le cinéma et donnant des chiffres sur l'exploitation en salles des films des femmes, ainsi que la place des femmes dans les projets soutenus par le CNC. Je veux également mentionner l'instauration de la parité dans toutes les commissions d'aides du CNC et à leur présidence, ainsi que dans les jurys et comités de sélection des festivals. Le festival de Cannes 2018 sera présidé par une femme et la présidence de l'avance sur recettes au CNC est confiée à une femme. Nous sommes deux ici à avoir présidé des commissions d'aide au CNC ; j'insiste sur le fait que ce point est loin d'être insignifiant, car en faisant en sorte que des femmes siègent au sein de ces instances, on permet à une sensibilité et une attention différentes de s'exprimer.

Comme je le disais tout à l'heure, il ne suffit pas que les jeunes filles intègrent des filières de formation artistique, il faut également que nous soyons attentifs à leur devenir. Nous allons lancer une étude sur le devenir des diplômées des écoles du cinéma et de l'audiovisuel, et soutenir les associations de promotion des femmes dans ce secteur.

Le CSA contribue à la lutte contre les stéréotypes dans la publicité et nous allons l'accompagner dans ses actions. Pour ce qui est de l'édition jeunesse et de la bande dessinée, les actions à mener vont être déterminées en concertation avec le syndicat national de l'édition (SNE) et les maisons d'édition concernées. Les choses changent, mais nous sommes encore loin du compte. Je me souviens de l'arrivée sur le marché français, il y a quelques années, de livres venant de Suède, où tous les codes que nous connaissions étaient inversés – il était question de papas qui emmenaient les enfants à la crèche, etc. –, et il nous est rapidement apparu incroyable que cette conception soit totalement absente en France.

Des actions vont également être menées en France avec le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), à la fois en ce qui concerne le contenu des jeux et afin de favoriser une présence accrue des femmes dans l'industrie du jeu vidéo, un secteur très prometteur en termes d'emploi, dont nous pouvons accompagner l'essor.

Dans le domaine de l'éducation artistique et culturelle, nous souhaitons qu'il soit fait une large place aux femmes, dans toutes les matières enseignées – les matières littéraires et scientifiques, l'histoire, mais aussi celles relatives à la pratique artistique et culturelle. Autrefois, toutes les jeunes filles faisaient du piano ou de flûte, et les garçons du cor ou de la contrebasse : les choses ont changé, mais pas encore suffisamment. Il en est de même pour ce qui est du cinéma et de l'éducation aux médias.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.