Intervention de Christophe Béchu

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Béchu :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de m'accueillir ce matin et de me permettre de répondre à vos questions pour vous permettre de juger mon aptitude à exercer cette fonction pour laquelle je suis pressenti. Je ne vais pas être très long afin de pouvoir répondre à vos questions. La procédure m'ayant déjà permis de fournir un certain nombre de réponses par écrit, qui ont pu commencer à vous éclairer, je préfère continuer à le faire en répondant de manière précise aux questions précises que vous me poserez. Je vais donc me contenter d'un bref propos liminaire pour retracer le chemin de l'agence et vous dire quelles seraient mes priorités si plus de 60 % d'entre vous ne s'opposent pas à ma nomination.

L'agence a été créée après que certains parlementaires, au début des années 2000, se sont émus du décalage temporel entre les promesses de réalisation d'infrastructures et le fait que, par définition, les recettes pour financer ces tranches avaient un caractère annuel, qui ne correspondait donc pas au caractère pluriannuel des engagements pris. L'idée de créer une agence de financement n'est pas une spécificité française, puisqu'on s'est inspiré des agences présentes dans plusieurs autres pays européens, même s'il existe quelques différences sur lesquelles je reviendrai très brièvement.

Quand cette agence a été lancée en 2005, il était imaginé qu'elle serait alimentée par les dividendes des sociétés d'autoroutes, de manière à disposer d'une recette pérenne et pluriannuelle pour faire face au montant de ses dépenses.

Un an après la création de l'agence, la vente de ces sociétés d'autoroutes a entraîné une première difficulté à l'égard du modèle de financement soutenable permettant de couvrir de manière pluriannuelle les besoins de financement des infrastructures.

Dans la continuité, le Grenelle de l'environnement a diversifié le panel des infrastructures sur lesquelles il était possible d'engager l'agence, avec en particulier le lancement simultané de quatre lignes à grande vitesse. L'agence est notamment intervenue dans le cadre de partenariats publics-privés qui donnent lieu aujourd'hui à des paiements échelonnés pour deux de ces lignes LGV, jusqu'en 2036 et 2037, en particulier pour la ligne Bretagne-Pays-de-la-Loire et pour le contournement Nîmes-Montpellier, qui font l'objet de 115 millions d'euros de crédits de paiement annuels jusqu'aux échéances précitées.

Mais le Grenelle de l'environnement a surtout permis de considérer que l'agence pouvait aussi avoir une utilité pour le report modal, en faisant en sorte que des recettes tirées du transport routier financent des infrastructures ferroviaires, fluviales, voire de manière marginale, maritimes. Aujourd'hui, 100 % des recettes proviennent des routes, et 45 % des dépenses concernent le rail, 38 % les routes, 8 % le fluvial, le reste étant des dépenses beaucoup plus légères.

Dans cette configuration, après le Grenelle de l'environnement, a été décidée la mise en place de l'écotaxe pour rendre soutenable cette trajectoire financière. L'abandon de l'écotaxe, au-delà des autres sujets, a donc provoqué une deuxième difficulté pour la soutenabilité financière des ressources de l'agence. C'est à ce moment-là que la ministre Mme Ségolène Royal a décidé d'augmenter la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TICPE), faisant en sorte qu'à partir de 2015 nous puissions disposer d'un niveau de ressources et de crédit proche des besoins au milieu des années 2010.

Les ressources seront de 2,44 milliards d'euros dans le budget 2018, qui sera voté dès lors qu'un président aura été nommé au conseil d'administration de l'agence. L'agence utilise moins de 700 000 euros pour ses dépenses de fonctionnement, puisqu'elle ne compte que quatre collaborateurs : 99,99 % de ses moyens sont donc bien affectés aux investissements sur les projets dont nous parlons. Les 2,5 milliards d'euros de recettes proviennent, pour 500 millions, des amendes des radars automatiques. Environ 900 millions proviennent des sociétés d'autoroutes à travers trois dispositifs : la redevance domaniale ; la taxe d'aménagement du territoire et, depuis 2015, la contribution volontaire exceptionnelle. La TICPE, avec la hausse de deux centimes pour les particuliers et de quatre centimes pour les professionnels, décidée en remplacement de l'écotaxe, rapporte 1,46 milliard d'euros au budget, soit un total de 2,44 milliards d'euros.

Même si ce montant est sensiblement supérieur à celui des dernières années, il ne suffit pas à faire face aux enjeux financiers de l'agence. Mon prédécesseur, M. Philippe Duron, auquel je veux rendre hommage pour la qualité avec laquelle il a présidé cette agence et son expertise, qui explique l'humilité avec laquelle je m'exprime devant vous ce matin, a mis en évidence trois scénarios ou hypothèses qui correspondent à des choix financiers.

Dans la première de ces hypothèses, l'agence continue de fonctionner avec des recettes au fil de l'eau, soit 2,4 milliards pendant vingt ans qui représentent les 48 milliards évoqués par le scénario un du rapport du COI.

La deuxième hypothèse suppose d'atteindre 3 milliards d'euros par an, et représente 60 milliards d'euros sur vingt ans. Elle permet de tenir les objectifs de régénération, puisqu'avec 2,4 milliards, nous ne pouvons pas payer les sommes dues sur de grands projets tout en assurant la régénération, qui correspond pourtant à l'engagement de se préoccuper aussi des transports du quotidien, pris par le Président de la République à Rennes le 1er juillet dernier.

Mais pour atteindre ces 3 milliards d'euros, chacun mesure qu'il y a un « trou » d'un demi-milliard, sujet profondément politique qui concerne en tout premier lieu la représentation nationale, mais qui a une incidence forte sur l'agence. Je répondrai évidemment aux questions précises que vous pourriez avoir sur ce sujet.

S'agissant du troisième scénario, à 80 milliards d'euros, je pense que chacun a compris qu'il représentait un idéal sans doute impossible à atteindre compte tenu de l'état de nos finances publiques, et du fait qu'un scénario de ce type suppose une augmentation considérable des moyens que les collectivités locales affecteraient au cofinancement des projets, ce qui ne semble pas correspondre à une volonté politique, ni à des disponibilités budgétaires.

Au regard de son parcours, l'agence a montré sa résilience après s'être vue imposer davantage de dépenses tout en ayant à faire face à deux crises majeures concernant ses recettes : la vente des sociétés d'autoroute, puis l'abandon de l'écotaxe.

L'agence a pleinement justifié son inscription dans le paysage, malgré les critiques de la Cour des comptes dont vous n'avez rappelé que certaines, pas forcément les plus sévères. Si l'on compare les observations de la Cour de 2009, celles de 2012 et celles de 2016, on note une inflexion : lors du premier audit, la Cour s'interrogeait de manière extrêmement explicite sur l'intérêt de l'agence et sur l'éventualité de sa suppression. En 2016, l'interrogation de la Cour des comptes porte plutôt sur l'absence de feuille de route et sur le fait qu'en dépit d'une circulaire du Premier ministre du 26 mars 2010 qui impose que les relations entre l'État et ses opérateurs stratégiques soient encadrées par des feuilles de route ou des contrats d'objectifs et de performance, de tels documents n'existent pas, alors même que l'agence joue un rôle de financement, en collaboration très étroite avec le Gouvernement.

Au vu de ce constat, il apparaît que nous sommes à une croisée des chemins intéressante, car dans les semaines qui viennent, lors des discussions sur le projet de loi d'orientation sur les mobilités et de programmation sur les transports, la représentation nationale aura l'occasion de préciser la hiérarchisation des besoins, les ambitions et les besoins politiques, et par conséquent, les moyens qu'il est souhaitable d'y consacrer, le rapport de M. Duron permettant d'objectiver l'ensemble de ces éléments.

Dans ces conditions, je me présente à vous pour assumer une responsabilité de « courroie de transmission », de médiateur. L'agence en elle-même est une structure paritaire. Son conseil d'administration est composé de douze membres, six représentants des ministères et six représentants, si j'ose dire, des citoyens. Parmi eux, on compte trois élus locaux : une personnalité qualifiée que je suis – malgré ma qualité d'élu local et mon mandat de maire d'Angers – ; un député, votre collègue M. Jean-Baptiste Djebbari, et pas de sénateur, puisque la loi sur la confiance dans la vie politique prévoit qu'un parlementaire ne peut pas siéger dans une structure sauf habilitation législative. La subtilité est que vous avez nommé M. Jean-Baptiste Djebbari avant l'adoption de la loi sur la confiance dans la vie politique. Il serait sans doute souhaitable que la loi d'orientation sur les mobilités prévoie expressément qu'un député et un sénateur siègent dans ces structures, de manière à ce que vous ne rencontriez pas la difficulté que connaît le Sénat pour la prochaine recomposition de ce conseil d'administration.

Je me donne trois priorités si je suis nommé président de l'AFITF. La première sera la transparence, en particulier dans les relations avec la représentation nationale. Des progrès ont été faits : un site internet permet au grand public de consulter les engagements de l'agence et un rapport annuel est publié, mais je pense que le dialogue avec la représentation nationale, qui est seule habilitée à attribuer des crédits, est absolument essentiel. Ce dialogue implique une présence durable et stabilisée des parlementaires au sein du conseil d'administration de l'agence.

Mon deuxième objectif sera bien entendu d'assurer la viabilité financière de l'AFITF, ce qui suppose, à vos côtés, de veiller à sa capacité à honorer les engagements de l'État et s'assurer qu'il y ait une visibilité des recettes correspondant à la visibilité des engagements.

L'efficacité sera pour moi la troisième priorité. Je souhaite qu'un contrat d'objectifs et de moyens soit signé entre l'agence et le Gouvernement pour clarifier la feuille de route et les moyens disponibles. Une comparaison avec les huit autres agences européennes permettra de repérer les bonnes pratiques. Les points de faiblesse de notre organisation par rapport à nos voisins sont que pour la plupart, ceux-ci ont des niveaux de recettes qui correspondent à leurs dépenses. Un de nos avantages est que notre agence permet le report modal, puisque 100 % des recettes proviennent de la route et que nous en profitons pour attribuer une partie de ces recettes à des infrastructures dont l'empreinte environnementale est moindre, là où certains de nos voisins ont une agence par mode de transport – le fer finance le fer, la route finance la route, et le fluvial finance le fluvial.

Je ne serai pas plus long, pour respecter le temps qui m'a été imparti. Je vous ai dit combien le respect des enveloppes – de toute nature – serait une de mes préoccupations ! (Sourires.)

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