Intervention de Christophe Béchu

Réunion du mercredi 28 mars 2018 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Béchu :

La variété des questions m'impose de poser un préalable périmétrique : le président de l'AFITF ne détermine pas la politique des transports de la Nation. Il ne prend pas de décisions fiscales, qui incombent à la représentation nationale. Et il n'a pas la possibilité de déroger à des textes européens en vigueur. Ces préalables posés, je vais répondre à toutes vos questions, mais je vous demande d'entendre que ce qui relève d'une opinion personnelle ne peut en aucun cas être considéré comme un engagement à faire.

Une question revient, de tous côtés : celle des moyens. Chacun mesure bien qu'elle est centrale pour une agence de financement. L'ambition, la raison d'être de l'agence est qu'on ne peut pas, malgré le cadre de l'annualité budgétaire, n'avoir que des tranches annuelles sans garantie sur les années qui suivent, dès lors qu'il est question de réalisations de longue durée.

Les ressources affectées sont les amendes des radars, à l'exception prévisible des amendes pour dépassement de la limite de 80 kilomètres par heure, dont le produit irait aux victimes. En l'état, à la minute où nous parlons, 500 millions d'euros de produit des amendes reviennent à l'agence. Tout ce qui relève des autoroutes revient à l'agence. Pour la TICPE, Bercy décide chaque année de la part qui nous est attribuée. Elle est de 1,43 milliard d'euros car c'est le budget que le législateur a arrêté pour l'année 2018. Elle n'était que de 716 millions l'année dernière. Il vous appartient donc, au sein de l'enveloppe de TICPE, et dans le cadre des discussions avec Bercy, de déterminer le niveau adéquat. Il faut au moins stabiliser le produit de la hausse de 2 centimes et 4 centimes en remplacement de l'écotaxe.

Ce constat posé, M. Pichereau a bien expliqué qu'il existait une marge, et je dis à M. Bouillon que je ne vois pas comment nous pourrions rester dans le scénario un, qui ne ferait que créer des frustrations sans permettre d'assurer la régénération, ni aller vers un scénario trois, très éloigné de ce que nous sommes capables de faire.

Nous « tournons » donc autour du scénario numéro deux, qui implique de trouver 500 millions d'euros. Il y a quatre moyens de trouver ce montant.

Le premier a un avantage : il n'emporte pas de conséquences fiscales. Mais il a un inconvénient : il n'est pas durable et ne résout absolument pas la question de la soutenabilité sur la période. Ce premier moyen serait d'utiliser le produit d'une privatisation, par exemple dans le domaine des infrastructures de transport, et de considérer que cela peut représenter quelques milliards qui peuvent être affectés à l'agence. Nous avons connu un précédent lorsque, pour compenser une partie des recettes des sociétés d'autoroute, on a attribué à l'agence 4 milliards d'euros sur le produit des cessions en début de période.

La deuxième hypothèse consiste à augmenter la TICPE. Après tout, nous l'avons déjà fait, et 500 millions représentent un centime d'euro de plus par titre. J'appelle votre attention sur le fait que ces hausses ont eu lieu dans un contexte où la taxe carbone n'avait pas encore produit ses pleins effets, qu'il y a un problème avec le prix du pétrole, et qu'il faut être vigilant quant aux conséquences additionnelles éventuelles, telles qu'un « ras-le-bol fiscal ».

Un autre moyen, s'agissant de la TICPE, ne concerne que les poids lourds. Car lorsqu'a été décidée cette hausse, elle a été assortie d'un mécanisme de remboursement des éventuelles hausses fiscales que les transporteurs subiraient. Aujourd'hui, le montant de ce remboursement est supérieur aux 500 millions d'euros que nous recherchons.

Enfin, il est possible de créer une vignette. Mais, comme je n'imagine pas qu'il puisse y avoir une quelconque volonté de rétablir une vignette qui affecterait les 40 millions de véhicules qui circulent dans ce pays, je considère que le débat ne porte que sur les 6 millions de véhicules qui ont un caractère professionnel – parmi ces 6 millions de véhicules, il faut distinguer les véhicules utilitaires légers qui, pour beaucoup, sont ceux des artisans - dont 552 000 poids lourds en circulation auxquels il serait assez légitime d'ajouter les poids lourds étrangers qui utilisent nos infrastructures sans jamais financer leur entretien.

Malgré l'efficacité d'un tel dispositif, dont je ne doute pas, il est totalement impossible d'imaginer que ce soit un moyen crédible pour assurer une montée en puissance du financement de l'agence en 2019. Au mieux, même en allant vite, y compris compte tenu des contraintes techniques qui existent, de la mise en place des barèmes et de la discussion avec l'Union européenne, se posera en 2019 une question qui pourrait rendre crédible l'hypothèse du déremboursement de manière temporaire si vous cherchiez à tout prix à permettre à l'agence de disposer de 500 millions d'euros supplémentaires dès l'année 2019.

La question de l'eurovignette rejoint celle de l'écotaxe. Je pense qu'un dispositif ne reposant pas sur des infrastructures physiques risquant de cristalliser un mécontentement rend les choses plus simples en termes de pédagogie et d'acceptabilité. Ensuite, il serait peut-être souhaitable de trouver un système moins complexe, pour lequel le niveau des coûts de recouvrement ne représente pas une part significative de l'impôt. En effet, indépendamment de l'intérêt intellectuel que pouvait avoir l'écotaxe, il faut savoir que plus d'un tiers des recettes servait à financer le prélèvement. La question de l'efficacité est donc légitime compte tenu de la situation actuelle.

J'en viens à la question du temps, puisque c'est dans vingt ans que les concessions autoroutières prendront fin. Pour essayer de se « raccrocher aux branches » après la vente des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroute (SEMCA), on s'est appuyé sur la redevance domaniale et la taxe d'aménagement du territoire pour collecter plusieurs centaines de millions d'euros. Avec la fin des concessions d'autoroute, nous aurons des disponibilités en termes de moyens.

Aujourd'hui, notre pays est dans une situation paradoxale, puisque d'un côté il possède des infrastructures autoroutières dans un état exceptionnel, la maintenance étant assurée de manière extraordinairement régulière mais avec un niveau de prix et d'accès très élevé, et de l'autre, des routes qui ne sont pas payantes, ne bénéficient donc pas de ressources affectées, et ont souvent servi de variable d'ajustement, soit sur le plan national, soit sur le plan local.

On estime que la régénération, l'entretien et la modernisation des routes nationales nécessiteraient au moins un milliard d'euros par an, simplement en maintenant et en soutenant notre patrimoine, sans aucune ambition de développer le réseau, et qu'il manque à l'heure actuelle environ 300 millions d'euros pour ces seules routes nationales. D'où l'hypothèse de créer une agence dédiée, sur le modèle de Voies navigables de France (VNF) pour le transport fluvial, qui pourrait s'appeler Routes nationales de France, et qui ne serait pas une agence de financement, puisque les agents d'exploitation des routes nationales y seraient également placés, mais une agence d'investissement et de fonctionnement. Cela pourrait être une façon de faire évoluer pour partie le dispositif ou le modèle.

Mesdames et messieurs les députés, il convient de ne pas confondre le budget de l'agence avec les moyens globaux affectés aux infrastructures. Il faut ajouter aux crédits qui sont versés par l'agence ceux qui relèvent des crédits d'investissement du ministère des transports, en particulier à travers le programme 203. Si l'on additionne les 45 % de l'agence et les 77 % du ministère affectés au fer, on voit bien la stratégie globale en termes d'infrastructures qui consiste à donner la priorité à ces questions.

Par ailleurs, l'agence ne finance pas tous les projets. Il existe aujourd'hui trois cas de figure. Premièrement, les projets pour lesquels l'agence s'est subrogée à l'État ou finance la part nationale. Ce fut le cas pour les nouvelles LGV de manière claire, et ce sera à nouveau le cas en fonction des décisions qui seront prises potentiellement pour d'autres projets. Deuxièmement, les grands projets d'infrastructures pour lesquels le modèle arrêté aujourd'hui est celui d'une société de projets ad hoc. S'agissant du projet ferroviaire Lyon-Turin, on a créé une société avec la France et l'Italie, à « 50-50 ». L'État a demandé à l'agence de financer les études à hauteur de 500 millions d'euros, mais elle n'apparaît pas dans les moyens de financement susceptibles d'être appelés dans les années qui viennent.

Monsieur Bricout, j'en arrive au projet du canal Seine-Nord Europe. Pour l'heure, l'agence a financé 180 millions d'euros au titre des études sur ce projet estimé à 4,5 milliards d'euros, pour lequel la ventilation budgétaire repose sur 1,8 milliard d'euros de l'Union européenne, 1 milliard des collectivités locales, 1 milliard de l'État et 700 millions d'euros d'emprunts. Vous ne trouverez pas aujourd'hui le mot « Agence » dans la manière d'accompagner le financement ou même de porter la part de l'État. Nous avons été partie prenante dans les études, mais sans commande de la part du ministère pour en faire un de nos engagements pluriannuels. Nous regardons bien évidemment le calendrier de ce projet avec intérêt en ce qui concerne son utilité en termes de report modal, de vitalisation économique du territoire, de projet transeuropéen, mais sans être directement concernés par les échéances de paiement qui pourraient être appelées.

Vous avez évoqué, Monsieur Sermier, la question des nouvelles technologies. Il n'appartient pas à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France de faire des choix technologiques et de conseiller le GNV, l'hydrogène ou l'électrique. Nous pourrions être concernés si notre pays prenait la décision d'investir, par exemple, dans des infrastructures permettant à des voitures autonomes de rouler. Mais, je le répète, la décision politique ne doit pas échapper à la représentation nationale, pour autant que dans une agence de financement il y ait parité entre élus et représentants des ministères. Donc, même à ce stade qui consiste à rendre soutenables les trajectoires financières, il me semble souhaitable que les élus puissent savoir quelles stratégies sont mises en oeuvre. Nous ne prendrons pas ces décisions à la place de la représentation nationale.

À titre personnel, je considère qu'il faut évidemment accompagner les innovations, mais en se rappelant que, dans un pays qui compte 60 millions d'habitants, si nous ne jouons pas la carte européenne sur des sujets de rupture technologique, la probabilité que nos standards s'imposent est extrêmement faible, le niveau des investissements d'autres pays risquant d'imposer un modèle à un moment donné. Donc, sur ces questions, de grâce ayons des réflexes européens ! Sur les nouvelles mobilités, il faut pouvoir faire ce que l'on a été capable de réussir sur le spatial et l'aérien.

Vous avez ensuite évoqué la question d'une plus grande autonomie de l'agence. Je pense que l'agence gagnerait à se doter d'une forme de comité consultatif dont le conseil d'administration se réunirait une, deux ou trois fois par an et qui pourrait être composé de représentants des usagers des différents modes de transports. Cela pourrait être un moyen à la fois de l'ouvrir, de la rendre plus transparente et d'avoir des débats qui dépassent ceux de la question des modes de financement les plus pertinents. C'est pourquoi je pense que la stabilisation de la présence de parlementaires dans ces structures est une nécessité absolue, pour des impératifs de contrôle mais aussi de visibilité et de répercussion de ce qui se dit.

Madame Lasserre-David, je vous remercie pour vos questions et pour avoir insisté sur le fait que les dépenses de transport représentent près de 14 % des dépenses des ménages. Plus largement, vous savez que le secteur des transports contribue à hauteur de 17 % au PIB de notre pays et que les enjeux en termes d'infrastructures soutiennent de manière directe ou indirecte 1,4 million de salariés dans ce pays.

Je crois avoir déjà partiellement répondu à la question relative à la part entre le rail et la route. Il convient d'éviter de faire trop vite le procès de la route. En la matière, deux questions se posent. Premièrement, faut-il construire de nouvelles routes ? Cette question concerne très peu l'AFITF, qui intervient d'abord sur la régénération. Ce serait une folie de ne pas entretenir notre patrimoine au motif que l'avenir serait aux mobilités nouvelles. C'est une chose de faire le choix d'investissements à moindre empreinte environnementale quand on construit une infrastructure nouvelle, c'en est une autre que de considérer qu'il faut faire des investissements nouveaux au détriment de l'entretien de notre patrimoine existant. Je plaide pour qu'on ne faiblisse pas sur la régénération et pour qu'on atteigne, au contraire, les niveaux qui permettent cette régénération, qu'il s'agisse de la route, du rail ou du fluvial, car dans chacun de ces domaines, les niveaux d'engagement actuels ne sont pas à la hauteur des besoins pour plusieurs raisons.

D'abord, disons-le très clairement, il est globalement moins attractif pour un responsable politique d'expliquer qu'on va réparer des trous que de lancer un grand projet ou d'expliquer les nouvelles perspectives liées à tel ou tel investissement. Ensuite, il est souvent plus complexe d'obtenir des cofinancements quand on régénère que quand on investit. Mais le vrai sujet, ce sont les équilibres globaux : ils sont la résultante des engagements du passé. Par exemple, quand on a signé un contrat sur l'autoroute urbaine L2 de Marseille, dont la dernière traite sera en 2042, quelles que soient les décisions qui seront prises par la représentation nationale, on sera bien obligé de consacrer au moins 30 millions d'euros par an à l'équilibre de cette autoroute urbaine jusqu'en 2042, puisque cet engagement a été signé dans le cadre d'un partenariat public-privé (PPP).

Monsieur Bricout, la question de la TICPE relève avant tout d'une décision politique. La question de la possible bonification territoriale pour soutenir tel ou tel projet peut, dans l'absolu, se poser à travers les dispositifs de péage. Je ne suis pas persuadé qu'on gagnerait à multiplier les « usines à gaz » locales, parce que si demain on explique que seuls les habitants du Nord de la France devront, par exemple, financer ou payer plus cher pour tel ou tel type de projet, ce sera le meilleur moyen de susciter des oppositions contre ce projet.

Monsieur Bouillon, les concessions autoroutières prendront fin dans longtemps. Compte tenu des probables évolutions, je ne suis pas persuadé que nous pourrons participer à ces débats le moment venu. Néanmoins, en imaginant que nous soyons au milieu des années 2030, trois options s'offriraient à nous. Première option : considérer que le moment est enfin venu de baisser le niveau de péage. Deuxième option : le maintenir, mais faire en sorte qu'il ne finance plus uniquement l'entretien et la maintenance des autoroutes, mais aussi l'ensemble du réseau. Troisième option : avoir un système mixte qui consiste à supprimer les péages et passer à un dispositif de type « eurovignette » qui aurait pu être testé, dans un premier temps, sur certaines catégories de véhicules avant d'être étendu, afin de ne plus avoir de barrières et avoir les mêmes règles sur la totalité du réseau national.

Enfin, la question du temps de transport est évidemment cruciale. Faut-il investir 250 millions d'euros pour gagner une minute ? Voilà un sujet qui soulève des interrogations, mais il ne faut pas perdre de vue les dynamiques qui sont à l'oeuvre. Autrement dit, il peut y avoir des points de saturation qui approchent et qui font que la question ne se mesure pas par rapport au temps d'aujourd'hui, mais en fonction de ce qui se passerait si rien n'était fait. Il faut donc être capable de mesurer le coût de l'inaction, en termes environnemental et économique sur un certain nombre de sujets.

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