Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 16h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports :

Avant d'entamer ce débat, je voudrais partager avec vous une conviction forte. Notre société fait face à des transformations politiques, économiques et sociales qui la bouleversent en profondeur. Face à ces bouleversements, la tentation du repli sur soi est tous les jours plus criante ; elle est le terreau de tous les populismes.

Pour répondre à cette menace, notre devoir est d'apporter des solutions aux besoins de mobilité. Car une société mobile, c'est une société capable de s'adapter aux défis qui se présentent à elle, une société capable de se rassembler autour d'objectifs communs.

Ces mobilités, non seulement professionnelles, mais aussi culturelles et sociales, ont un préalable : la mobilité physique. Vous le savez, nos concitoyens ne sont pas égaux face à la mobilité. L'absence de solutions de mobilité est encore trop souvent un frein pour l'accès à l'éducation ou à l'emploi : une personne sur quatre a refusé un emploi ou une offre de formation faute de solution de mobilité

Cette situation alimente un sentiment d'assignation à résidence chez certains de nos concitoyens et d'abandon dans de trop nombreux territoires. Je ne peux m'y résoudre.

L'objectif que portent le Président de la République et le Gouvernement vise à accompagner tous nos territoires, à répondre aux préoccupations premières de nos concitoyens et aux besoins de nos entreprises : les transports du quotidien, la lutte contre la congestion des grandes agglomérations, l'accès à l'emploi et aux services dans les territoires, l'optimisation de nos systèmes logistiques.

Dès lors, mon rôle, en tant que ministre des transports, ne se réduit pas à proposer une réforme ici, du ferroviaire, là, de la route ou bien de nos voies fluviales. Mon ambition consiste à redonner à nos politiques de mobilité un objectif très simple : répondre aux besoins de mobilité de tous les Français.

Ces besoins, quels sont-ils ? Ce sont ceux exprimés clairement par nos concitoyens lors des Assises nationales de la mobilité. Ce sont ceux que vous entendez dans chacune des circonscriptions que vous représentez. Nos concitoyens veulent des transports du quotidien efficaces.

Pour répondre à ce besoin vital, le système ferroviaire a bien sûr toute sa place. Il joue, depuis bientôt deux siècles, un rôle central dans les déplacements de nos concitoyens, dans l'attractivité économique de notre pays et dans l'aménagement de nos territoires, dont il a largement contribué à redessiner la géographie. Parce que je suis convaincue que le ferroviaire doit rester au coeur de notre politique de mobilités, doit être conforté en se renouvelant, j'ai souhaité porter une stratégie globale de refonte du système ferroviaire.

En effet, alors que le système ferroviaire est en quelque sorte un ADN commun à tous les Français, force est de constater qu'il est à bout de souffle. Depuis une trentaine d'années, la priorité a été donnée au développement de la grande vitesse. C'est un incontestable succès technique et commercial – les trafics de 2017 le prouvent encore. Si la fonction d'aménagement du territoire de ces lignes à grande vitesse ne doit pas être minimisée, il subsiste pour autant de nombreux besoins qui sont insuffisamment satisfaits. Sur 20 % du réseau, la vitesse de circulation est réduite. C'est deux fois plus qu'il y a dix ans.

Le fret ferroviaire est durablement en crise. Le niveau de trafic est désormais inférieur de 40 % à ce qu'il était en 2000. C'est toute une économie qui en pâtit ; il faut lui apporter une meilleure réponse.

Enfin, le déséquilibre économique et financier du système pèse non seulement sur les finances publiques, mais menace également l'avenir du système ferroviaire : je pense en particulier à la question de la dette qui se creuse de trois milliards d'euros chaque année, pour atteindre 50 milliards d'euros.

Vous reconnaîtrez, comme moi, que tout ne marche donc pas parfaitement bien dans notre système actuel. Or, par sa capacité à désengorger les métropoles et à relier rapidement des territoires entre eux, par sa contribution indéniable à la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et à la lutte contre le changement climatique, le système ferroviaire doit constituer l'épine dorsale de l'organisation des mobilités du quotidien.

Aussi, le Président de la République et le Gouvernement portent un projet ambitieux pour notre système ferroviaire français : cette réforme globale doit construire les bases durables d'un meilleur service public ferroviaire. En d'autres termes : avoir un meilleur service public, au meilleur coût pour les voyageurs et les contribuables.

Concrètement, cela signifie : pour les voyageurs, des trains ponctuels, plus de trains là où il y en a besoin, avec plus de services, en toute sécurité ; pour la SNCF, un modèle économique enfin équilibré, une entreprise publique plus forte, avec tous les atouts pour faire face à la concurrence ; pour les cheminots, une vision claire de l'avenir avec des métiers attractifs et une reconnaissance de leur rôle ; pour les contribuables, la garantie que chaque euro pour le service public ferroviaire soit dépensé efficacement.

Tel est le sens du nouveau pacte ferroviaire que nous portons aujourd'hui, et qui se traduit dans le présent projet de loi.

Pour parvenir à refonder le modèle du transport ferroviaire, dans le cadre d'un marché ouvert à la concurrence, en confortant les missions d'un service public performant, ce pacte doit être équilibré.

Il s'appuie sur un double engagement : l'engagement de l'État et de la SNCF.

L'engagement de l'État passe par un effort financier sans précédent : 36 milliards d'euros dans les dix prochaines années pour le réseau ferroviaire, soit dix millions d'euros investis chaque jour pendant dix ans, ce qui correspond à 50 % de plus que sur la décennie passée.

Et je veux dès maintenant le préciser : accompagner la SNCF dans le XXIe siècle, c'est pour moi, la conforter dans son rôle fondateur au service de l'aménagement durable du territoire.

Vous l'aurez compris, il n'est donc pas question de supprimer, comme j'ai pu l'entendre ici ou là, les lignes de maillage et d'intérêt local, improprement appelées « petites lignes ». Il s'agira au contraire de faire en sorte que ces lignes puissent retrouver leur attrait et soient en mesure de répondre aux besoins.

L'engagement de l'État passe aussi par la détermination d'un cadre neuf, adapté et stable, permettant le développement du transport ferroviaire. C'est l'objet du présent projet de loi.

L'engagement de la SNCF passe par une profonde réforme industrielle et managériale. Les dirigeants de la SNCF m'ont présenté, le 15 mars dernier, leur programme de travail pour l'élaboration d'un nouveau projet d'entreprise qui doit aboutir à l'été. Les travaux sur ce sujet sont d'ores et déjà engagés.

Le nouveau pacte ferroviaire s'articule donc autour de quatre axes.

Il consiste d'abord à construire une nouvelle SNCF, fondée sur des bases modernes, agiles, unifiées, afin de préparer l'entreprise publique à relever les nouveaux défis. En cela, la question de sa transformation en société nationale à capitaux publics ne doit pas être un tabou. C'est le statut qu'elle a eu pendant 45 ans, de 1937 à 1983, et qui, j'en suis convaincue, lui permettra de sortir du piège d'une dette sans limite et responsabilisera les dirigeants de l'entreprise, l'État et les collectivités.

Je m'engage à nouveau solennellement devant vous : la SNCF est une entreprise publique et elle le restera. Ce nouveau pacte ferroviaire vise aussi à proposer une modernisation sociale du secteur ferroviaire.

Il pose notamment la question du statut des cheminots, sur laquelle je voudrais m'arrêter quelques instants. Le contrat moral que les cheminots ont passé avec la SNCF leur assure notamment un déroulé de carrière et une garantie de l'emploi. Ce pacte ne sera pas remis en cause.

Néanmoins, dans un monde ouvert, la SNCF ne peut pas rester la seule entreprise à recruter au statut face à des concurrents qui n'y seraient pas soumis. Le principe d'équité et de cohérence commande, au contraire, d'avoir un socle de droits communs à l'ensemble des salariés du secteur ferroviaire, quelle que soit l'entreprise qui les emploie.

C'est pourquoi, à l'avenir, à une date sur laquelle il nous faut encore échanger et nous concerter, il n'y aura plus de recrutement au statut et, selon un modèle qui prévaut dans l'ensemble des secteurs, un cadre contractuel rénové et une convention de branche définiront précisément ce socle de droits communs à tous en contrepartie des contraintes spécifiques aux métiers ferroviaires.

Ces deux objectifs se traduisent dans l'article 1er du projet de loi qui vous est soumis.

Ce pacte ferroviaire doit aussi faire de la SNCF un groupe plus performant. Il s'agit ici de moderniser l'entreprise, en améliorant son efficacité industrielle et en réduisant ses coûts. La SNCF doit décloisonner son fonctionnement, gagner en agilité et donner plus de responsabilités au plus près du terrain, c'est-à-dire des voyageurs.

Enfin, le nouveau pacte ferroviaire vise à préparer notre pays et son système ferroviaire dans son ensemble à l'ouverture à la concurrence.

Il ne s'agit pas simplement de se conformer à une obligation européenne mais de répondre aux attentes des régions, qui veulent avoir le choix, et des voyageurs, qui veulent un meilleur service et de nouvelles offres au meilleur prix. C'est un moyen d'inscrire le ferroviaire dans une dynamique générale des mobilités répondant à de nouveaux besoins, qui sera, j'en suis convaincue, très stimulant pour les opérateurs, en premier lieu la SNCF.

C'est le sens des articles 2, 3, et 4 du projet de loi qui vous est soumis.

L'approche globale dans laquelle s'inscrit cette réforme ferroviaire est le fruit de larges concertations menées à travers tout le pays depuis six mois.

À cet égard, je voudrais préciser que le transport ferroviaire n'a été exclu ni des Assises nationales de la mobilité, ni des travaux du Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Nous avons clairement examiné, dans le cadre des assises, la mise en place, dans tous les territoires, d'autorités organisatrices chargées d'organiser des « rabattements » de transports vers les gares, qui ont vocation, demain plus qu'aujourd'hui, à être les noeuds et même le coeur de notre système de mobilité. Il en est ainsi également de la responsabilité globale des régions dans la coordination de la mobilité sur leur territoire par des systèmes d'information multimodale et des billettiques intégrées.

Enfin, les travaux menés par les membres du COI traitent bien des enjeux du transport ferroviaire : je pense notamment à l'entretien et à la modernisation des réseaux et à la désaturation des noeuds ferroviaires.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement ce texte, j'ai engagé un processus de concertation et de négociation avec l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des organisations syndicales bien sûr, mais également des représentants des usagers, des entreprises ou encore des collectivités concernées.

Cette discussion vient, comme je m'y étais engagée, enrichir le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. En effet, le Premier ministre avait clairement présenté notre méthode le 26 février dernier : chaque fois qu'un élément de discussion sera suffisamment avancé, les dispositions correspondantes seront introduites dans la loi à la place des ordonnances.

C'est ce que je viens de faire pour l'ouverture à la concurrence. Un cycle de concertation s'est déroulé tout au long du mois de mars. Après plus d'une trentaine de réunions sur le sujet, j'ai présenté vendredi à tous les acteurs les conclusions que nous en retirions et, de ce fait, les propositions d'amendement que j'ai déposées devant votre commission et que je voudrais vous présenter.

Cette ouverture à la concurrence, je la veux progressive. C'est l'intérêt de tout le monde, et cela respecte la volonté de certaines régions de poursuivre des attributions directes au-delà de 2019. Je la veux également protectrice, car je veux que les cheminots emportent avec eux les garanties sociales attachées à leur statut.

Nous avons un principe clair sur les services commerciaux : l'ouverture à la concurrence ne doit pas conduire à une remise en cause du modèle d'une desserte équilibrée du territoire. La force de la grande vitesse à la française est que les TGV y circulent aujourd'hui bien au-delà des métropoles et des lignes à grande vitesse. C'est un modèle auquel nous sommes tous attachés et que nous voulons conforter.

Le Gouvernement a donc choisi de retenir une concurrence en libre accès, qui semble bien plus prometteuse en termes d'innovation et de nouveaux services pour les clients tout en maintenant le principe d'une péréquation entre les marchés rentables et ceux qui le sont moins.

Cette péréquation s'effectue aujourd'hui au sein de l'activité TGV. Elle se fera demain grâce à une modulation des péages. Sous le contrôle du régulateur, cette modulation permettra, en particulier, de baisser la tarification sur les liaisons les plus fragiles.

Vous aurez compris que ce chemin permet aussi d'ouvrir à la concurrence, sans courir le risque de faire sortir la SNCF de pans entiers du territoire, contrairement au système de franchise proposé par certains.

Je précise, par ailleurs, que les tarifs sociaux sont étendus pour la totalité des nouveaux services non conventionnés nationaux, la situation restant inchangée pour les services régionaux.

Concernant les dates d'ouverture à la concurrence pour les services conventionnés, j'ai entendu à la fois le souhait de certaines régions de pouvoir s'engager le plus rapidement possible dans l'ouverture à la concurrence des services de train express régional (TER), quand d'autres souhaitent continuer à attribuer des contrats directement à la SNCF, si la qualité de service est au rendez-vous.

Pour les trains régionaux et les trains d'équilibre du territoire (TET), les amendements du Gouvernement proposent donc une ouverture progressive à la concurrence et visent à permettre, à partir de décembre 2019, aux régions qui le souhaitent, d'organiser des appels d'offres ; à permettre en même temps aux régions qui le souhaitent de continuer à attribuer directement des contrats à la SNCF jusqu'en décembre 2023, pour une durée maximale de dix ans ; enfin, à permettre aux régions d'utiliser les exceptions prévues dans le règlement européen, en particulier pour des situations spécifiques, comme les petits réseaux, ou encore les complexités ou caractéristiques géographiques particulières.

Le Gouvernement a souhaité également tenir compte des spécificités du réseau ferroviaire en Île-de-France. Celui-ci va faire face en effet dans les prochaines années à des enjeux d'une complexité extrême du fait de la multiplicité et de l'imbrication de l'exploitation des lignes, du volume des trafics et des travaux importants à conduire dans les vingt prochaines années. Par voie d'amendements, je vous proposerai donc un calendrier spécifique d'ouverture à la concurrence en Île-de-France.

S'agissant des conséquences de l'ouverture à la concurrence pour les salariés, le Gouvernement souhaite qu'un éventuel changement d'opérateur se passe dans les meilleures conditions possibles pour les cheminots.

Aussi, avons-nous fait le choix d'un niveau élevé de garanties. Des garanties en termes d'information des salariés permettant un accompagnement individuel et collectif en donnant toute la visibilité nécessaire. Des garanties en termes de choix : le transfert des salariés s'effectuera en priorité sur la base du volontariat. Ce n'est qu'à défaut qu'il pourra être complété par des transferts obligatoires pour assurer la continuité du service. Ce point reste d'ailleurs à préciser d'ici à la séance publique et fait encore, à cette heure, l'objet d'une poursuite de la concertation. Enfin, des garanties en termes de droits puisque les salariés concernés conserveront leur niveau de rémunération au moment de leur transfert, le bénéfice du régime spécial de retraite, ainsi que la garantie de l'emploi et d'autres garanties, telles que les facilités de circulation ou l'accès au service de soins. Ce n'est pas rien.

Je précise que les garanties sont maintenues en cas de transfert, mais également en cas de mobilité volontaire du salarié vers une autre entreprise du secteur. C'est donc une véritable portabilité des droits, sans limite de durée que je propose.

Mesdames et Messieurs les députés, vous le voyez, bien loin du « passage en force » que certains dénoncent, je me place résolument dans une démarche constructive, attentive au dialogue social et au débat parlementaire. La concertation a d'ores et déjà permis d'inscrire « dans le dur » les conditions d'ouverture à la concurrence. Elle se poursuit sur des aspects essentiels tels que l'organisation du groupe ou la modernisation sociale du secteur qui, je le souhaite, se traduiront par des amendements déposés au fur et à mesure des débats parlementaires et le plus tôt possible, afin que vous puissiez les étudier dans les meilleures conditions.

Je suis, et vous êtes, comme chaque Français, attachés à cette belle entreprise qui fait partie de notre patrimoine national, un patrimoine vivant de l'engagement quotidien des femmes et des hommes qui y travaillent avec passion : les cheminots.

Cet héritage commun, ce bien public, je souhaite non seulement le préserver, mais également le conforter pour répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens et aux attentes des territoires. C'est mon ambition. C'est, j'en suis convaincue, aussi la vôtre. Je ne doute pas que la qualité de nos travaux sera à la hauteur de cette ambition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.