Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 16h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Baptiste Djebbari, rapporteur :

Mon propos liminaire sera assez court, mais je tenais à partager avec vous une réflexion sur trois sujets : d'abord, revenir sur le diagnostic posé sur le système ferroviaire par plusieurs rapports, et récemment par le rapport de M. Jean-Cyril Spinetta ; ensuite, tenter d'objectiver les risques et les opportunités d'un système ferroviaire mis en concurrence ; enfin, vous présenter deux points d'attention, à savoir la nécessaire indépendance du régulateur, l'ARAFER, dans le cadre d'une mise en concurrence des opérateurs ferroviaires, et les lignes improprement nommées « petites lignes », même si elles n'entrent pas dans le champ du pacte ferroviaire ici en débat.

À la suite des précédents rapports, le rapport Spinetta a fait le diagnostic d'une triple difficulté affectant le système ferroviaire français. Parlons d'abord de son coût et du besoin de financement du système ferroviaire et de la SNCF, pour éviter de tomber dans une confusion due à la perspective d'éventuels résultats positifs de la SNCF. Le besoin de financement de la SNCF s'élève chaque année à 22 milliards d'euros par an, couverts par neuf milliards d'euros de recettes commerciales et dix milliards d'euros de concours publics, soit un déficit moyen de trois milliards d'euros par an, hors subvention au régime des retraites des cheminots. Le déficit structurel s'établit ainsi régulièrement à trois milliards d'euros, ce qui alimente une dette d'un montant de 46 milliards d'euros, en 2017. Cette dette est elle-même composée de l'amortissement de projets qui ont, dans la période récente, porté sur la construction d'un certain nombre de lignes à grande vitesse, des déficits successifs et des frais financiers qui pèsent aujourd'hui 1,5 milliard d'euros chaque année.

Faisons le point sur les coûts et surcoûts de la SNCF, qui rendent compte de ce différentiel de 25 % de compétitivité évoqué dans nos débats. Ce chiffre est réel ; il est composé de quatre éléments, à peu près d'égale importance : les coûts de structure de la SNCF, fruits de son histoire, représentant trois milliards d'euros et 600 implantations dont la redondance est l'objet d'un plan d'optimisation en cours à cette heure ; l'organisation du travail, la réforme des 35 heures ayant été mise en oeuvre de façon imparfaite à la SNCF, de sorte que le personnel roulant bénéficie en moyenne de vingt-deux journées de RTT et les agents en gare de dix-huit journées de RTT ; la moindre polyvalence des agents de la SNCF, fruit de la rigidité du répertoire des métiers ; la grille de rémunération, qui présente un caractère linéaire, rémunère peu la performance individuelle et ne permet pas de recruter un certain nombre de compétences qui seraient pourtant aujourd'hui utiles à l'opérateur historique.

J'en viens à la vétusté du réseau, dont les lignes ont en moyenne trente ans d'âge, parfois beaucoup plus lorsqu'elles sont petites. Comparons avec les dix-sept ans en moyenne d'ancienneté des lignes en Allemagne. C'est l'une des causes principales du manque de régularité et de dysfonctionnements anciens et récents, à l'origine d'incidents et accidents parfois dramatiques.

J'en arrive à la dégradation de la qualité de service, qui est réelle. Cela s'est traduit, en 2016, par l'annulation de 5 % des trains programmés, par 11 % des trains qui circulent avec un retard de plus de six minutes : 10 % pour les TER, 18 % pour les TGV, 22 % pour les Intercités qui maillent notre territoire. Observons que 55 % de ces minutes perdues sont liées à des causes maîtrisables par SNCF Réseau et par les entreprises ferroviaires.

Au total, cela se traduit par une augmentation moindre de la part du ferroviaire en France par rapport à nos voisins, alors même que la demande est en croissance. Ce diagnostic seul fonde la nécessité de la réforme.

J'en viens à mon deuxième point, pour aborder de la façon la plus objective possible l'étude de systèmes ferroviaires en concurrence, en commençant par citer un contre-exemple, pour mieux l'écarter : la Grande-Bretagne. De fait, la Grande-Bretagne n'a pas libéralisé, elle a privatisé son système ferroviaire ; elle a reconstitué en quelque sorte des monopoles régionaux avec un système de franchise et fait disparaître l'opérateur historique.

Précisons toutefois, par souci d'objectivité, qu'il y a eu deux phases. Entre 1995 et 2005, le réseau a été laissé dans un tel état que de nombreux incidents, voire accidents se sont produits, tandis qu'entre 2005 et 2015, le système ferroviaire britannique s'est montré plutôt performant en termes de régularité, avec des prix élevés qui sont l'effet, d'une part, de la pénurie de main-d'oeuvre de conducteurs dans la phase initiale d'exploitation et, d'autre part, d'un moindre subventionnement des transports publics dans un réseau structurellement saturé.

Si nous nous intéressons aux systèmes ferroviaires qu'il est possible de comparer au système français, je vous propose d'étudier les cas de l'Allemagne, de la Suède et de l'Italie. Dans tous ces pays, a été observée l'augmentation de l'offre de trains. En Suède, c'est plus de 80 % de trains-kilomètres en plus sur une période de quinze ans, et plus de 29 % en Allemagne. Ensuite, a été observée une diminution du coût public du service ferroviaire : moins 20 % en Allemagne sur la même période, et moins 30 % en Suède, sans attrition du réseau. L'ouverture à la concurrence a également permis d'améliorer l'offre de service : renouvellement du matériel roulant en Allemagne, proposition de davantage de gammes tarifaires, notamment à bas prix, en Italie, amélioration du confort de voyage – installation du wi-fi gratuit à bord de certaines rames en Italie, par exemple – et régénération des petites lignes – je pense notamment à un opérateur français en Allemagne qui a permis de faire passer une petite ligne jusqu'alors désertée, qui transportait environ 500 passagers, à plus de 13 000 passagers en quelques années, ce qui montre la vitalité que peut apporter un régime en concurrence, y compris dans les territoires ruraux.

Par souci de précision, je voudrais aborder le sujet du prix et de la stagnation ou de l'augmentation modérée des tarifs ces quinze dernières années dans les pays qui ont mis le transport ferroviaire en concurrence. Une augmentation moyenne des prix a été observée, environ 15 % sur quinze ans, soit à peu près l'inflation, qui traduit parfois une augmentation due à la proposition de plus de services et parfois l'inflation ou la pratique d'une politique tarifaire particulière. À titre d'exemple comparatif, les tarifs des transports aériens ont augmenté, quant à eux, de 75 % sur la même période et ceux du transport routier de 25 %. Ces éléments, issus de mon rapport, sont tirés notamment d'excellentes études de l'ARAFER publiées en quatre volets en mars 2008.

La question n'est pas tant celle de la vertu ou du risque intrinsèque du régime de la concurrence ; c'est réellement ce qu'on en fait et comment on la met en oeuvre, et je crois que nous aurons ici l'occasion d'en parler dans les heures à venir.

Pour finir, je souhaite partager deux points d'intention avec vous, et d'abord la nécessaire préservation de l'indépendance du régulateur, l'ARAFER, singulièrement dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. C'est la raison pour laquelle je présenterai un amendement qui maintient son avis conforme sur la tarification des péages. Par ailleurs, s'agissant des petites lignes, sujet sur lequel vous avez été nombreux à déposer des amendements pour éclairer les décisions en matière d'aménagement du territoire, je présenterai également un amendement qui demande au Gouvernement de faire la lumière sur l'état de circulation du réseau et les besoins des lignes les moins circulées – j'entends par là celles qui connaissent moins de vingt trains par jour. Grâce à cet éclairage, la négociation des futurs contrats de plan État-région pourra s'engager dans le second trimestre de l'année 2019 dans le strict respect des compétences des autorités organisatrices, notamment des régions, et de celles de l'État qui est garant de la continuité de notre territoire.

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