Madame la ministre, le chemin de fer français et l'entreprise publique qui le gère, la SNCF, sont loin d'être en bonne forme. Pour avoir interpellé sévèrement son PDG, M. Guillaume Pepy, ici même, il y a quelques semaines, je ne peux pas vous dire le contraire. Toutefois, faire le constat de la mauvaise santé du rail ne peut constituer un argument si l'on ne remonte pas à ses causes.
C'est d'abord un sous-investissement chronique qui est à l'origine de l'état pitoyable de milliers de kilomètres de voies. Leur grande vétusté, si on les compare à celles de nos voisins européens, n'est plus à prouver. Des décisions stratégiques catastrophiques ont conduit à la situation actuelle. La politique du tout-TGV, lancée à coups de milliards d'euros pour gagner quelques dizaines de minutes entre les grandes métropoles, a conduit à délaisser tout le réseau secondaire, ce que l'on appelle les trains du quotidien.
Le démantèlement progressif de la SNCF a entraîné de graves dysfonctionnements sans rien résoudre. Outre la séparation entre le réseau et le transport de voyageurs, des centaines de filiales ont été créées et personne n'y comprend rien, pas même les salariés. La fin de la grande entreprise intégrée est directement à l'origine de graves accidents et des épisodes de black-out survenus récemment à la gare Montparnasse et à la gare Saint-Lazare à Paris.
L'ouverture à la concurrence, déjà à l'oeuvre pour le fret, constitue une autre catastrophe. Depuis 2006, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a connu une chute vertigineuse jusqu'à atteindre moins de 10 %. C'est un échec patent.
Les responsables de cette situation sont ceux-là mêmes qui réclament aujourd'hui instamment une réforme. Madame la ministre, n'étiez-vous pas directrice de la stratégie de la SNCF entre 2002 et 2007 ? Et la ministre de la défense n'a-t-elle pas occupé plusieurs postes de premier plan à la direction générale de la SNCF ? Quant au Président de la République, il semblait beaucoup plus concerné par le développement de la route et des cars que par le ferroviaire lorsqu'il était à Bercy.
Alors, non, monsieur Bouillon, ce n'est pas faire un mauvais procès que de demander un bilan de ce que vous nous avez laissé.
Les importants agitent comme un épouvantail le statut des cheminots alors que celui-ci garantit la qualité du service et la sécurité. Y mettre fin ne réglera en rien les difficultés que connaît la SNCF et risque, au contraire, de les aggraver.
Qui sont les nantis ? Les cheminots à 1 300 euros par mois ou lesdits bureaucrates qui coûtent 2,5 millions d'euros par an, soit 20 800 euros par mois ?
Voulez-vous encore davantage désengager l'État pour laisser le soin aux régions d'accomplir ce que demande le rapport Spinetta, c'est-à-dire fermer des petites lignes, puisqu'elles n'auront pas les moyens de toutes les faire fonctionner ?
Pire, vous préparez avec zèle l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs demandé par la Commission européenne. Vous suivez la recette du siècle dernier, celle du modèle britannique, alors que le Royaume-Uni a entamé une marche arrière face au chaos engendré.
Le fond de ce projet est de finir de détruire le mode de transport le plus responsable écologiquement.
Quant à la méthode, permettez-moi de vous dire qu'elle est détestable. Le projet de loi a été déposé sous forme de loi d'habilitation. Il limite de fait notre droit d'amendement. En outre, le Gouvernement a déposé vendredi soir des amendements sur son propre texte, qui suppriment certains articles habilitant à recourir aux ordonnances et modifient le code des transports. Ne laisser que trois jours, dont un week-end et un jour férié, aux groupes parlementaires pour les étudier, c'est un peu juste, surtout lorsque l'on prétend incarner la concertation et le débat d'idées. Qui plus est, ce délai réduit vous permet de court-circuiter le Conseil d'État qui ne disposera pas d'assez de temps pour mener les études d'impact nécessaires.
Malgré la négation de notre rôle législatif, nous, députés de La France insoumise, défendrons farouchement ce que doit être le modèle ferroviaire de l'avenir : une entreprise intégrée, présente sur tout le territoire, responsable écologiquement et socialement, et surtout, accessible à tous.