Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du mardi 6 mars 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. :

Tout d'abord, madame la présidente, je suis favorable à ce que nous organisions une réunion de deux heures un mardi par mois – puisque ce jour convient à tous – car, souvent, je ne peux pas, faute de temps, répondre à l'ensemble des questions qui me sont posées, et c'est insatisfaisant pour tout le monde.

• Avant d'évoquer les trois sujets que vous avez mentionnés, je vais m'efforcer de faire le point sur l'actualité, notamment celle de la Syrie. Je n'aborderai pas la situation à Ouagadougou ; je m'y rendrai la semaine prochaine pour témoigner notre solidarité aux personnels de l'ambassade et aux forces burkinabées, qui ont subi des pertes significatives et dont un gendarme, qui gardait l'ambassade, a été tué. Nous pourrons évoquer, lors de la prochaine audition, l'évolution de la force conjointe du G5 Sahel et la fragilité particulière du Burkina Faso dans cet ensemble.

En ce qui concerne la Syrie, j'avais annoncé à l'Assemblée nationale, en réponse à une question de Mme Saint-Paul, un cataclysme humanitaire ; nous y sommes. La situation est en effet dramatique. Nous avons essayé de l'éviter en menant au Conseil de sécurité une offensive très vigoureuse qui nous a permis d'obtenir, le 24 février dernier, l'adoption de la résolution 2401. Cette résolution prévoit en effet un cessez-le-feu immédiat, une pause humanitaire de trente jours dans l'ensemble de la Syrie, un accès sûr et sans entraves pour l'aide humanitaire et l'évacuation médicale des personnes blessées ou en grande difficulté, notamment celles qui se trouvent dans la zone de la Ghouta orientale. Cette résolution a été adoptée à l'unanimité.

Deux jours après ce vote, je me suis rendu à Moscou pour discuter, avec mon homologue Lavrov, de la manière dont nous pourrions appliquer le cessez-le-feu ; il n'a pas été question, dans cet entretien, d'un scénario politique. Nous avons eu une discussion longue et tonique – même si nous avons également évoqué nos relations bilatérales, puisque le Président de la République se rendra en Russie au mois de mai prochain – au cours de laquelle j'ai sollicité les Russes pour qu'ils usent de leurs capacités à faire pression sur le régime afin que soit mise en oeuvre au plan opérationnel la résolution 2401. La Russie, je le rappelle, a, quant à elle, proposé une trêve quotidienne de cinq heures. Or, une telle trêve – vous pourrez interroger le CICR et MSF à ce sujet – ne permettrait pas l'accès de l'aide humanitaire, notamment à la zone de la Ghouta ; elle permettrait uniquement la sortie des civils, qui sont littéralement prisonniers puisqu'il n'existe qu'un seul corridor de sortie. Cette hypothèse ne tient donc pas. Mon homologue russe et moi-même avons eu une discussion assez forte à ce sujet. À ce jour, un seul des nombreux convois qui sont prêts à entrer dans la zone a pu passer, et il a été victime de bombardements.

Il faut bien comprendre qu'il existe deux approches. Le discours public qui est en partie celui des Russes et des Iraniens et entièrement celui de Bachar el-Assad consiste à présenter les 400 000 civils comme des prisonniers des terroristes, qu'il faut évacuer afin que ces derniers restent seuls à l'intérieur de la zone et puissent être éliminés. Dans la réalité, il existe plusieurs groupes rebelles d'opposants, auxquels la trêve s'impose également, et un groupe terroriste, reconnu comme tel par les Nations unies, héritier de Jabhat al-Nosra et composé de 250 à 300 combattants. Point. Ce chiffre est reconnu par tous, y compris par nos amis russes puisqu'ils ont commencé à discuter avec Jaych al-Islam – un groupe de rebelles dûment reconnu comme faisant partie de l'opposition présidée par M. Ahmad al-Jarba – de l'éventualité d'un accord en vue d'une trêve. Le discours public n'a donc pas de réalité. Du reste, Jaych al-Islam et Faylak al-Cham, qui regroupent 12 000 à 13 000 combattants, ont annoncé, par écrit, au président koweïtien du Conseil de sécurité qu'ils respecteraient la trêve et qu'ils étaient prêts à régler le problème – libre à vous d'interpréter le mot « régler » – posé par les 350 membres de Jabhat al-Nosra pour que la trêve ait lieu. Voilà la réalité des choses.

Mon action consiste à aller, à la demande du Président de la République, dire aux uns et aux autres que tout doit être fait pour préserver la trêve. Celle-ci a été votée à l'unanimité ; c'est la règle internationale, et elle doit s'appliquer. Or, tel n'est pas le cas. J'ai d'ailleurs omis de vous dire que le convoi auquel j'ai fait allusion tout à l'heure et qui a dû interrompre son déchargement à cause des bombardements avait été auparavant délesté subrepticement de l'ensemble du matériel médical qu'il transportait.

Ce discours, nous le tenons aux Russes – car Bachar el-Assad doit dire qu'il respecte la trêve, que la Russie a votée – et aux Iraniens, y compris au président Rohani, que j'ai rencontré hier après-midi. Si chacun reconnaît bien la nécessité de mettre en oeuvre l'action humanitaire, celle-ci est pour l'instant impossible et la situation risque de devenir, dans les semaines qui viennent, absolument dramatique. C'est pourquoi nous devons faire pression sur tous ceux qui ont le pouvoir de retenir l'action, afin que la trêve soit appliquée et que soit évité ce que j'ai appelé un cataclysme humanitaire. Quant à la solution politique, je l'ai évoquée lors de notre dernière rencontre ; je n'y reviendrai donc pas, même si je m'en suis également entretenu avec mes interlocuteurs.

Le Président de la République a lui-même appelé le président Poutine et le président Rohani ; nous avons également contacté les Américains et les Turcs. Nous nous exprimons sur ce sujet avec la même détermination depuis une semaine, et nous poursuivons cette démarche avec beaucoup de force. La communauté internationale doit se rendre compte que nous serons confrontés à un drame absolu à très brève échéance.

Au cours de son entretien avec le président Trump – entretien qui s'est déroulé vendredi dernier et qui a fait l'objet d'une communication dont vous avez peut-être pris connaissance –, le Président de la République a également évoqué l'emploi d'armes chimiques. Notre position est claire, et nous continuerons de faire preuve d'une vigilance absolue sur ce point. Le Président de la République a rappelé qu'une réponse ferme serait apportée en cas d'utilisation avérée de moyens chimiques entraînant la mort de civils, et ce en parfaite coordination avec nos alliés Américains. « Nous ne tolérerons pas l'impunité en la matière », a-t-il déclaré. C'est l'objet du partenariat international contre l'impunité dans l'emploi d'armes chimiques que j'ai lancé avec le secrétaire d'État Rex Tillerson le 23 janvier dernier. Vingt-quatre États se sont associés à notre initiative, à laquelle s'est jointe la Norvège la semaine dernière. Il s'agit de créer un mouvement d'opinion international pour empêcher le recours aux armes chimiques et l'impunité en la matière. Cette position, je l'ai exprimée devant MM. Lavrov et Zarif et je l'ai évoquée avec mon homologue turc ce week-end.

Par ailleurs, nous devions aborder avec les autorités iraniennes plusieurs sujets, dont la pérennité des accords de Vienne sur la question nucléaire et la posture de l'Iran à l'égard de cet accord. Il est en effet nécessaire que l'Iran respecte strictement l'accord JCPOA – joint comprehensive plan of action – pour préserver celui-ci face aux critiques du Président Trump, qui menace d'en faire sortir les États-Unis puisqu'il a annoncé qu'il pourrait ne pas renouveler les waivers le 12 mai prochain. Nous avons, je crois, la volonté commune de respecter totalement l'accord, ce qui est le cas actuellement, et de nous donner toutes les chances de le préserver.

J'ai ensuite abordé avec les autorités iraniennes la question de la prolifération et de la propagation balistiques, qui nous préoccupent, et leurs conséquences sur la sécurité et la stabilité de la région. Ces programmes ne sont pas conformes à la résolution 2231 votée en 2015 par le Conseil de sécurité, au moment de l'adoption du JCPOA. Nous avons donc souhaité entamer des discussions avec l'Iran à ce sujet. Les premières ont eu lieu hier ; elles ont été franches, toniques, mais elles ont le mérite d'exister. Nous nous parlons, et c'est important. Du reste, les Iraniens n'ont pas été étonnés que j'aborde ce sujet, puisque le Président de la République avait déjà exprimé cette préoccupation lors de sa rencontre avec le président Rohani à New York, dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies.

Enfin, j'ai évoqué la politique de l'Iran dans la région. Sur ce point, notre demande est tout aussi claire que sur les deux précédents sujets : nous souhaitons que l'Iran contribue positivement à la résolution des crises au Moyen-Orient plutôt que de les aggraver par une politique de présence militarisée et le soutien manifeste à des milices non étatiques, voire leur encadrement. Nous souhaitons pouvoir trouver des solutions politiques et négociées aux crises régionales, afin que la région retrouve une stabilité, dans le dialogue et le respect de la souveraineté de chacun des États concernés : Syrie, Irak, Yémen, Liban. Notre conversation a donc été assez intense et je crois que, sur ces points, elle se poursuivra.

• Lors de ma dernière audition, je n'ai pas eu le temps de m'exprimer sur l'aide publique au développement (APD) ; je souhaite donc revenir sur cette question. Je vous avais rappelé deux des axes fondamentaux de notre stratégie de sécurité : premièrement, intervenir dans les zones de crise, notamment pour stabiliser notre environnement proche et y promouvoir des solutions politiques de long terme ; deuxièmement, et de façon conjointe, nouer un dialogue étroit et direct avec les grandes puissances. Notre stratégie de sécurité inclut donc une démarche globale associant les actions militaires, la démarche politique de règlement des conflits et le développement économique et social. Aucun de ces trois points ne peut être séparé des lieux de crise.

L'action en faveur du développement a fait l'objet d'une réunion, autour du Premier ministre, du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui a défini notre stratégie pour cinq ans et précisé les moyens nouveaux que nous allons consacrer à la mise en oeuvre de notre politique de développement. Le Président de la République a pris des engagements significatifs devant l'Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, lors de la réunion des décideurs économiques à Davos et dans ses discours en Afrique, et il a fait en sorte que ces engagements soient tenus, notamment en ce qui concerne l'augmentation des moyens d'action.

La France inscrit sa politique de développement et de solidarité internationale dans le cadre multilatéral des Objectifs de développement durable (ODD), adoptés à New York par l'Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. Ces objectifs, qui fixent une ambition commune à l'humanité dans le cadre de l'Agenda 2030, ont été ensuite complétés par l'Accord de Paris sur le climat de décembre 2015, dont la mise en oeuvre est désormais irréversible, compte tenu du nombre de signatures enregistrées depuis. Dans ce contexte, le Président de la République a affirmé à plusieurs reprises la nécessité de franchir une nouvelle étape dans notre politique de développement et de solidarité internationale en menant une véritable politique partenariale centrée sur cinq biens communs mondiaux, les « cinq P » : la protection de la planète, le bien-être des populations, la paix et la stabilité, la prospérité partagée et le renforcement des partenariats.

Pour appliquer cette politique, il nous faut des moyens. Or, la trajectoire de notre aide publique au développement a connu une phase de déclin rapide et remarquée au cours des dernières années. Le Président de la République a donc pris, très tôt, l'engagement d'amorcer sa remontée en puissance afin qu'elle atteigne 0,55 % du revenu national brut (RNB) au cours du quinquennat, ce qui suppose de porter son montant de 8,5 milliards d'euros en 2016 à plus de 14 milliards en 2022, en tenant compte des hypothèses de croissance dont nous avons actuellement connaissance. Le Comité interministériel a confirmé cet objectif et a précisé les moyens d'y parvenir en définissant la trajectoire suivante : 0,38 % en 2017, 0,44 % en 2018, 0,47 % en 2020, 0,51 % en 2021 et 0,55 % en 2022.

Cette hausse est sans précédent dans l'histoire récente de notre aide publique au développement, et ce dans le contexte – c'était un souhait de votre commission – d'une évolution importante de la manière de la concevoir. Vous savez que l'aide publique au développement s'organise en quatre catégories : l'aide multilatérale, l'aide bilatérale, l'aide sous forme de prêts et l'aide sous forme de dons. Dans ses résolutions, le CICID a modifié le dispositif afin de répondre à des préoccupations dont m'ont fait part votre commission mais également différents acteurs.

Nous avons d'abord pour objectif de consacrer à la composante bilatérale les deux tiers de la hausse moyenne cumulée de la mission budgétaire d'ici à 2022. Autrement dit : les augmentations identifiées dès à présent, pour les deux tiers, seront affectées à l'aide bilatérale pour procéder à un rééquilibrage nous permettant, par différence avec l'aide multilatérale, de décider en propre des finalités de cette aide, donc de sa conformité avec les priorités que je vais vous indiquer dans un instant.

Ensuite, le volume des dons, par rapport à celui des prêts, sera fortement augmenté. Ce second changement nous permettra d'agir sur nos géographies prioritaires et en particulier sur les pays les moins avancés (PMA), comme ceux du continent africain. En effet, quand un pays est très pauvre et très endetté, il ne peut plus prétendre aux prêts.

Enfin, notre stratégie sera mieux pilotée et mieux planifiée grâce à des outils de coordination sur lesquels je vais revenir dans un instant.

Nous voulons également faire en sorte que cette politique nouvelle soit une politique partenariale et, à cet égard, nous avons décidé de renforcer notre relation avec les organisations non gouvernementales (ONG). Nous comptons travailler plus étroitement avec l'ensemble des acteurs et nous doublerons les moyens des ONG d'ici à 2022 pour l'ensemble de ce dispositif puisque ces dernières se plaignaient – avec raison – d'être insuffisamment mobilisées dans la politique de développement et de ne disposer que de 4 % des moyens financiers disponibles. Nous allons ainsi nous approcher de l'objectif, qu'elles avaient fixé, de 10 %.

Nous allons en outre renforcer le pilotage du dispositif. Le Premier ministre réunira plus régulièrement le CICID – au moins une fois par an, afin de déterminer les orientations du Gouvernement – alors qu'il n'était convoqué que très rarement au cours des années précédentes. Au moins une fois par an également sera réuni le conseil d'orientation stratégique de l'Agence française de développement (AFD) qui, lors de sa première réunion qui pourrait se tenir début mai, devra adopter le contrat d'objectifs et de moyens. Enfin sera créé un Conseil de développement, présidé par le chef de l'État, qui se réunira de façon plus épisodique, pour bien affirmer les objectifs quantitatifs et qualitatifs que je viens de vous exposer. Il s'agit donc d'une inflexion très significative que nous allons compléter par une innovation dans la procédure budgétaire.

En effet, nous allons vous proposer, concernant la mission « Aide publique au développement », des documents budgétaires plus lisibles plus identifiables et qui permettront à l'ensemble des acteurs – ainsi bien sûr qu'à la représentation nationale – de bien vérifier la mobilisation des fonds destinés au développement et leur traduction concrète en engagements.

J'ai mentionné le continent africain, qui constitue notre priorité géographique, comme le montre la liste des dix-neuf pays où nos moyens seront concentrés, liste qui comporte deux nouveaux pays : la Gambie – à laquelle nous renouvelons notre soutien après qu'elle a traversé une période de dictature avant de renouer avec la démocratie –, qu'il faut aider même si c'est un petit pays, et le Liberia, lui non plus pas très grand et désormais présidé par un ancien footballeur, élu démocratiquement. Nos entretiens récents avec ce dernier, lors de sa visite à Paris, ont ouvert des perspectives d'autant plus intéressantes en matière de coopération bilatérale que, du fait du caractère assez fermé – pour n'en pas dire davantage – du régime antérieur, cette dernière n'existait pas vraiment.

J'ajoute que nous allons développer notre action dans cinq secteurs, pour faire écho aux priorités fixées par le Président de la République soit dans son discours de Ouagadougou, soit dans les autres déclarations qu'il a pu faire, en particulier, il y a peu, à Dakar, quand il a apporté l'appui de la France au développement de la jeunesse africaine.

La première priorité est la stabilité internationale et la restauration de l'État dans des situations de fragilité, en se donnant les moyens d'un véritable continuum entre sécurité et développement. À cet égard, notre intervention en faveur de l'urgence humanitaire sera sensiblement accrue : à hauteur de 500 millions d'euros. Si une partie de cette urgence humanitaire est traitée par le centre de crise, une autre par l'Agence française de développement, l'ensemble du dispositif pour les situations de crise et de sortie de crise sera important. Nous avons par ailleurs décidé de doubler, pour la porter à 200 millions d'euros d'ici à 2020, ce que l'on appelle une facilité pour l'atténuation des vulnérabilités et la réponse aux crises, mise en oeuvre par l'AFD, qui permet d'intervenir dans les situations de sortie de crise. Et cette facilité, déjà déployée dans le cas de l'Alliance pour le Sahel, mais aussi en République centrafricaine (RCA), autour du lac Tchad et sur les pourtours de la Syrie, pourra désormais être utilisée en Libye.

La deuxième priorité est l'égalité entre les femmes et les hommes, qui fera l'objet d'une communication de ma part le 8 mars – vous y avez, madame la présidente, fait allusion.

La troisième priorité, l'éducation, revient au coeur de notre aide publique au développement. C'est le sens de l'engagement du Président de la République à Dakar, aux côtés du président Macky Sall, qui a permis de reconstituer le partenariat mondial pour l'éducation, qui n'est pas un dispositif onusien mais de partenariat avec en particulier la Banque mondiale. Nous avons décidé de multiplier notre effort par dix en passant de 17 millions d'euros à 200 millions pour la période 2018-2020. La France est donc au rendez-vous et elle le sera aussi en matière bilatérale avec 100 millions additionnels pour l'Agence française de développement. Pour mémoire, cette dernière ne dispose aujourd'hui que de 40 millions d'euros de dons par an pour l'éducation de base. Ces actions sur l'éducation seront menées en priorité au Sahel et s'appuieront sur nos objectifs clés : l'égalité entre les filles et les garçons à l'école, la qualité de l'éducation, la lutte contre la radicalisation et l'accès à la formation professionnelle.

La quatrième priorité, après le One Planet Summit qui s'est tenu à Paris en décembre dernier, est la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons relevé notre ambition concernant l'adaptation au changement climatique pour lui consacrer 1,5 milliard d'euros par an dès 2020 contre un objectif de un milliard d'euros fixé par le dernier CICID. Je songe également à la réorientation des actions de l'AFD qui pourraient être compatibles à 100 % avec l'Accord de Paris et, en même temps, aux objectifs réévalués en faveur de la biodiversité.

Enfin, même si elle relève ici plutôt du multilatéralisme, notre action sera significative dans le domaine de la santé. Nous avons pris des engagements historiques que nous tiendrons, avec pour préoccupation permanente de renforcer les systèmes de santé dans les pays en développement.

Avec ces cinq priorités, pour lesquelles son expertise, sa valeur ajoutée, est internationalement reconnue, avec de nouveaux instruments et un profil rénové de l'AFD, la France entend relever le défi du développement durable et des défis globaux dont notre avenir collectif dépend. Ces orientations, vous le constatez, marquent, j'y insiste, une inflexion majeure dans notre politique de développement. Un parlementaire en mission, ici présent, a été désigné et fera des propositions complémentaires d'ici au mois de juin et, à partir de ses propositions, le Gouvernement pourra renforcer et affiner encore ses objectifs – même si les objectifs globaux sont validés par le Président de la République et par le Premier ministre.

• J'en viens à présent à la crise migratoire, tout en ayant bien conscience qu'une partie de la question relève de la responsabilité du ministre d'État, ministre de l'intérieur.

Je commencerai par l'évolution globale des flux de personnes cherchant à rejoindre l'Europe. Il y a eu 204 000 enregistrements de migrants aux frontières extérieures en 2017, un chiffre en diminution de 60 % par rapport à 2016 où l'on avait enregistré 511 000 migrants aux frontières de l'Europe. Il convient néanmoins, pour être plus précis, de distinguer deux cas de figure.

D'abord celui des routes où les flux migratoires ont diminué en 2017.

C'est le cas de la Méditerranée orientale avec 31 955 arrivées irrégulières en 2017 contre 174 000 en 2016, soit une diminution de 77 %. Cette baisse très nette des arrivées par voie maritime s'explique par l'application des accords du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie, accords qui, malgré leur fragilité, tiennent. Les principaux pays d'origine, en 2017, dont les ressortissants empruntent cette voie d'accès sont la Syrie, l'Irak et le Pakistan.

Les flux migratoires diminuent également sur la route de la Méditerranée centrale avec 119 000 arrivées en 2017 contre un peu plus de 180 000 en 2016, soit une diminution de 34 %. Cette baisse s'explique par un meilleur contrôle des départs par les garde-côtes libyens ainsi que par les actions menées au Niger sur les filières empruntant cette route. Les principaux pays d'origine, en 2017, étaient le Nigeria, le Bangladesh et la Côte-d'Ivoire.

Enfin, par la route des Balkans, on a compté plus de 11 800 arrivées contre 130 000 en 2016, soit une baisse de 91 %, les principaux pays d'origine, en 2017, étant ici le Pakistan, l'Irak et l'Afghanistan.

Toutefois, et il s'agit du second cas de figure annoncé, nous ne devons pas ignorer que d'autres routes ont connu une augmentation des arrivées irrégulières en Europe. C'est le cas de la Méditerranée occidentale – c'est nouveau –, sur une échelle, il est vrai, moindre avec 21 000 arrivées en 2017 contre 8 000 en 2016 pour les flux maritimes et, pour les flux terrestres, 1 400 arrivées en 2017 contre 820 en 2016. Si ces chiffres, je le répète, sont moins importants, il faut néanmoins rester vigilants puisque l'augmentation des flux en Méditerranée occidentale a conduit l'agence FRONTEX à transformer l'opération navale Indalo en opération permanente afin d'assurer une meilleure prise en compte de ces nouveaux flux. Les principaux pays d'origine, en 2017, dont les ressortissants prennent cette voie sont, par la mer, la Côte-d'Ivoire et le Maroc, et, par terre, la Syrie, l'Algérie et la Guinée.

On constate par ailleurs une augmentation des arrivées à la frontière terrestre gréco-turque : 5 400 en 2017 contre un peu plus de 3 000 en 2016 avec, pour principaux pays d'origine, la Syrie, le Pakistan et la Turquie.

Je tiens en outre à souligner, en ce qui concerne ma compétence de ministre des affaires étrangères, la diminution de 43 % des demandes d'asile pour l'ensemble de l'Union européenne. On en a recensé 700 000 en 2017 contre 1,2 million en 2016, demandes d'asile venant essentiellement de Syriens, d'Irakiens, d'Afghans et de Nigérians. Le taux d'admission à l'asile a été, en première instance, de 40 % dans l'ensemble de l'Union européenne.

Pour faire face à cette situation, nous avons pris, surtout en ce qui concerne la route de la Méditerranée centrale, des initiatives d'ensemble, en particulier au moment du sommet d'Abidjan où, en novembre dernier, le Président de la République a réuni les principaux chefs d'État et de gouvernement concernés, surtout, par la gestion migratoire – majeure – de la Libye. Vous le savez, et c'est pour le ministre des affaires étrangères une préoccupation permanente, il y a plusieurs centaines de milliers de migrants qui sont présents, clandestinement, dans ce pays, certains depuis longtemps, la guerre puis la guerre civile en en ayant fait des migrants de fait alors qu'ils étaient auparavant, pour nombre d'entre eux, des employés clandestins venus avec leur famille. S'y ajoutent les mouvements qui se sont produits depuis, provenant de l'Afrique subsahélienne.

À l'issue de la réunion d'Abidjan, une feuille de route claire a été adoptée rappelant la nécessité d'une action concertée en appui au travail du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), en Libye, avec le soutien de l'ensemble des pays présents, mais aussi de l'Union africaine qui a décidé de prendre ses responsabilités – et qui, très concrètement, les prend. Il s'agit, de façon systématique, d'agir sur les trois segments de la migration – je parle toujours de cette voie centrale qui est la plus sensible du point de vue de ma responsabilité.

Il convient dans un premier temps d'agir sur les pays d'origine des migrants par un effort de développement – je viens de l'évoquer –, par une aide au retour et à la réinstallation et par la facilitation de l'immigration régulière des étudiants et des chercheurs – il s'agit donc d'un mouvement dans les deux sens : permettre, je le répète, en échange de cette politique de vigilance et de clarté avec les pays d'origine, une immigration des étudiants et des chercheurs, grâce notamment au « passeport talent » que nous avons mis en place.

Ensuite, dans les pays et les zones par lesquels transitent les migrants, comme le Niger – traversé en 2016 par 300 000 migrants –, le Tchad ou la Libye, nous entendons favoriser l'aide au retour dans les pays d'origine, du fait, en particulier, des conditions particulièrement inhumaines que connaissent les migrants dans les camps, en particulier en Libye. J'ai eu l'occasion moi-même de m'y rendre et j'ai pu dire clairement aux autorités libyennes qu'elles devaient faciliter l'accès des organisations internationales, l'OIM et le HCR, à ces camps pour en améliorer la gestion et permettre à ceux qui veulent retourner dans leur pays d'origine, de le faire, et ils sont très nombreux. J'ai pu constater que l'action de l'Union africaine s'était en la matière révélée particulièrement positive. Aussi ce mouvement s'organise-t-il et se fait-il de manière beaucoup plus correcte qu'auparavant. J'évoque bien, ici, les camps de migrants identifiés et organisés car dans d'autres camps, tenus par des passeurs, en particulier dans le sud de la Libye, les migrants vivent généralement dans des conditions épouvantables, de semi-esclavage, et les reportages que vous avez pu voir concernent ces camps qui ne dépendent d'aucune autorité, pas même de l'autorité libyenne – l'Union africaine s'est ainsi engagée à essayer d'agir. Les autorités libyennes ont pu faire montre d'inattention, dirai-je puisque cette audition est publique, quant à l'administration des camps dont elles avaient la responsabilité ; mais, honnêtement, grâce à une prise de conscience de leur part, ce n'est plus le cas désormais, du moins selon les dernières informations dont je dispose – et j'ai pu moi-même constater un réel mouvement de migrants retournant chez eux.

Nous avons par ailleurs envoyé des missions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans ces mêmes camps pour repérer des personnes pouvant accéder au statut de réfugié, non pas pour le leur délivrer puisque cela n'est possible que sur le territoire national, mais pour identifier celles qui étaient susceptibles d'en bénéficier. Nous agissons en la matière avec le HCR, ce qui permet d'engager un processus de réinstallation et d'accueil sur notre territoire pour les personnes qui peuvent réellement, j'y insiste, prétendre au statut de réfugié. Ce dispositif est surtout appliqué au Niger où je vais me rendre la semaine prochaine en compagnie de Gérard Collomb. Nous entendons examiner de quelle manière, dans les zones de transit, on identifie les personnes qui peuvent bénéficier du statut de réfugié et celles qui n'en bénéficieront en aucun cas, ces dernières devant en être informées. C'est un moyen de résoudre la question en amont et de le faire de la manière la plus humaine.

Enfin, troisième lieu d'action : l'Europe où doivent s'appliquer deux principes, l'humanité et l'efficacité. Gérard Collomb vous en a sans doute déjà entretenus. Nous assumons tous nos responsabilités au titre de l'asile, grâce au travail que mène l'OFPRA. Nous sommes également mobilisés pour parvenir à un accord entre États européens sur la réforme du régime d'asile – sept projets sont en discussion. Notre responsabilité, c'est aussi, lorsque les demandes d'asile ou de titres de séjour sont rejetées, de veiller à ce que le retour dans les pays d'origine ait lieu dans des délais raisonnables, même s'il apparaît nécessaire de modifier, à l'échelle européenne, les dispositifs d'asile en vigueur – travail difficile en cours.

Je tiens à souligner, à cet égard, l'implication accrue de nos partenaires européens sur cette ligne définie à Abidjan avec nos partenaires africains et souligner en particulier la place que prennent un certain nombre d'acteurs dans cette politique : le Danemark, les Pays-Bas, mais aussi l'Italie et l'Allemagne.

Enfin, dernier point, mais peut-être celui dont on parle moins et qui me paraît le plus important pour l'avenir : nous voulons mener une lutte résolue contre les trafiquants d'êtres humains. Les organisations criminelles sont les premières responsables des drames qui se jouent sur les routes d'Afrique, en Libye et en Méditerranée, et c'est pourquoi la France souhaite que des sanctions internationales soient prises contre les principaux réseaux de passeurs opérant en Libye. Je vous rappelle la déclaration présidentielle au Conseil de sécurité des Nations unies sur le sujet. Nous souhaitons que soit mis en place un régime européen de sanctions autonomes à l'encontre des passeurs et des trafiquants sur l'ensemble des routes migratoires.

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