Il faut traiter ce dossier comme on traite un dossier militaire et faire en sorte qu'on dispose de renseignements et qu'on puisse les confronter afin d'identifier les réseaux criminels, d'identifier les acteurs pour ensuite les rendre publics et appliquer des sanctions bancaires. Mettre en place un tel dispositif est une nécessité, et c'est fort de ma double expérience que je l'affirme. En effet, les trafics se cumulent : drogue, armes, hommes. Or, jusqu'à présent, nous ne nous sommes pas préoccupés de savoir qui faisait quoi, et les criminels en question exercent des pressions insupportables, dans les camps, en exigeant toujours plus d'argent, en torturant… tout en se livrant au trafic de drogue… Nous avons donc là une mission de première importance à remplir, en partie de ma responsabilité, en partie de celle du ministre d'État, ministre de l'intérieur – et lui et moi sommes tout à fait en phase en la matière, si bien que nous pouvons aboutir rapidement.
• J'en viens à l'Europe. Le débat qui s'ouvre sur le cadre financier pluriannuel – qui couvrira l'ensemble de la trajectoire budgétaire européenne pour la période 2021-2027 – est majeur. Nous souhaitons que la question des migrations soit inscrite parmi les priorités du cadre financier, car elle est centrale. Les premières discussions qui ont eu lieu lors du Conseil européen de décembre ont fait apparaître un consensus sur ce sujet ; encore faut-il qu'il soit maintenu à l'avenir. S'agissant de l'aide européenne au développement, autre enjeu essentiel, il faudra veiller à ce que le renouvellement des Accords de Cotonou – accords de coopération entre l'Europe d'une part et, d'autre part, les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) – en 2020 tienne compte des sujets que j'ai évoqués. Enfin, le Fonds fiduciaire d'urgence (FFU), créé lors du sommet de La Valette après la première grande vague migratoire pour renforcer le contrôle des frontières, doit être de nouveau abondé et la France a décidé de tripler sa participation à ce Fonds qui, pour ce qui nous concerne, est notamment destiné au Sahel.
Le Président de la République a rappelé à chacune de ses grandes interventions sur la politique étrangère que l'ambition de la France consiste à participer à la construction d'une Europe puissante, capable de défendre ses intérêts, de protéger, de promouvoir ses normes et d'avoir sa propre vision des relations internationales ; c'est l'intérêt de notre pays qu'il en soit ainsi. Dans le contexte de la mondialisation, en effet, l'Europe est le niveau le plus efficace pour peser dans les rapports de force, et nous avons pour ce faire besoin d'une Europe unie.
La perspective de la constitution d'un gouvernement de coalition outre-Rhin est donc une bonne nouvelle car le couple franco-allemand doit jouer pleinement son rôle d'entraînement de l'ensemble des États membres de l'Union. À cet égard, il est particulièrement bienvenu que l'accord de coalition – désormais validé, le gouvernement allemand devant être constitué le 14 mars – réserve une place importante aux questions européennes et atteste d'une forte convergence de vues entre nos deux pays, notamment sur des sujets sur lesquels la convergence n'allait pas de soi comme la réforme de la zone euro.
La force du moteur franco-allemand sera d'autant plus nécessaire qu'il faudra lutter contre le scepticisme qui gagne du terrain dans plusieurs pays membres de l'Union, le cas le plus marquant étant celui de l'Italie, pourtant pilier historique de la construction européenne, dont on constate les orientations politiques. Le même scepticisme et les mêmes populismes s'observent en Pologne et en Hongrie.
Les prochains mois seront décisifs pour dessiner l'Europe de demain. Plusieurs échéances définiront ce à quoi l'Union européenne ressemblera pendant plusieurs années, à commencer par les élections européennes de 2019, qui seront un scrutin majeur – sans doute le plus important depuis plusieurs années. Elles permettront l'entrée en fonction d'une nouvelle Commission – sans le Royaume-Uni, j'y reviendrai. Nous avons proposé et défendu le principe d'une circonscription européenne dans laquelle serait élue une petite partie des députés européens sur des listes transnationales, à la faveur des sièges libérés par le retrait britannique ; nous n'avons pas été soutenus, mais nous continuerons à défendre ce principe à l'avenir.
Vous avez constaté que le Conseil n'a pas retenu le principe selon lequel le prochain président de la Commission serait désigné parmi les têtes de liste des partis politiques européens. Il a préféré, pour que le président remplisse pleinement son rôle, qu'il soit tenu compte du résultat des élections, mais estimé que l'interprétation du Traité de Lisbonne sur ce point ne possédait pas de caractère automatique.
Enfin, des consultations citoyennes seront organisées dans les semaines qui viennent dans les 27 États membres – hors Royaume-Uni donc – pour mobiliser les citoyens autour des enjeux européens, de sorte qu'ils s'interrogent sur le fonctionnement et les objectifs de l'Union et sur l'Europe que nous souhaitons pour demain. C'est un enjeu essentiel.
Dans le même temps, le débat s'ouvrira concernant le cadre financier pluriannuel, qui est au coeur des discussions du Conseil européen informel et le sera bientôt pour toutes les parties prenantes. En raison des priorités nouvelles que sont les migrations, la défense, la mobilité et la jeunesse, nous souhaitons quant à nous la remise à plat du système des rabais, largement supporté par la France seule – ce qui n'aura plus lieu d'être après le Brexit et la disparition du « chèque britannique ».
Nous souhaitons également moderniser les politiques « traditionnelles » – la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion, qui consomment plus de 70 % du budget européen – sans pour autant revenir sur nos intérêts. La France souhaite en effet une PAC forte, protectrice des agriculteurs, et une politique de cohésion au service des territoires les plus fragiles, qui tienne compte des spécificités des territoires ultramarins. Ces politiques doivent être plus efficaces, plus lisibles, plus simples pour leurs bénéficiaires. De plus, nous prônons l'introduction d'une règle de conditionnalité des aides de cohésion liée à l'État de droit et à la convergence fiscale et sociale, car il est inacceptable que le budget européen finance des États qui s'écartent des valeurs européennes et qui refusent la solidarité lorsqu'elle ne leur bénéficie pas directement. Enfin, nous souhaitons introduire de nouvelles ressources propres qui pourraient par exemple s'appuyer sur une fiscalité environnementale ou une taxation des entreprises numériques.
Ces négociations sur le cadre financier vont s'ouvrir ; elles seront un moment difficile pour l'harmonie entre les États membres, et ce d'autant plus que de nouvelles contraintes sont apparues – le retrait britannique et les nouvelles politiques souhaitées. Nous devons nous y préparer. La Commission souhaite que le cadre financier pluriannuel soit adopté avant la tenue des élections européennes ; cela pose question, car le nouveau Parlement et la nouvelle Commission auraient dès lors à gérer un budget qu'ils n'auront pas eux-mêmes décidé. D'autres souhaitent que cette adoption soit repoussée ; ces sujets sont ouverts, mais je tenais à les évoquer devant vous par anticipation.
Je conclurai par le Brexit. Le 19 avril dernier, le Conseil européen a défini trois sujets prioritaires en vue de l'accord de retrait du Royaume-Uni : les droits des citoyens, le règlement financier et la frontière irlandaise. Le 15 décembre, le Conseil a reconnu que des progrès suffisants ont été accomplis dans ces trois domaines. Ces premiers résultats permettent d'ouvrir la deuxième phase de négociations qui s'articule autour de trois axes de travail.
Le premier concerne l'accord de retrait : certains points doivent être précisés, en particulier concernant la frontière irlandaise. Ensuite, plusieurs questions en suspens doivent également être abordées, comme les droits de propriété intellectuelle et les procédures de marchés publics. Enfin, il faudra transcrire tous ces éléments dans un texte juridiquement contraignant – c'est l'objet de la proposition que Michel Barnier a opportunément présentée la semaine dernière et que nous examinons.
Deuxième axe : il faudra définir les modalités de la transition, dont nous souhaitons qu'elle dure du 30 mars 2019, date du retrait effectif du Royaume-Uni de l'Union européenne, au 31 décembre 2020 au plus tard. Durant cette période, le Royaume-Uni, devenu État tiers, continuera d'appliquer les règles de l'Union sans participer aux processus de décision ni aux institutions ; ces modalités de transition seront reprises dans l'accord de retrait.
Le troisième axe, enfin, consistera à fixer le cadre de nos relations futures. À la fin du mois, le Conseil européen devrait adopter des orientations révisées afin de négocier une déclaration politique qui déterminera les grandes lignes de la nature de ces relations et qui sera jointe à l'accord de retrait, l'un et l'autre texte devant être approuvés avant le retrait britannique. L'accord juridiquement contraignant transcrivant ces orientations ne sera quant à lui négocié qu'une fois le Royaume-Uni redevenu un État tiers, durant la période de transition.
Voilà où nous en sommes. Le Royaume-Uni a vivement réagi au texte proposé par Michel Barnier, qui regroupait l'ensemble des éléments dont il disposait jusqu'à présent. Dans sa déclaration de vendredi dernier, Mme May a légèrement fait bouger les lignes, mais pas en profondeur. Nous pouvons donc nous attendre à des discussions très fortes sur l'ensemble du dispositif et, dans l'immédiat, sur l'accord de retrait et de transition, y compris la question irlandaise. La proposition de Michel Barnier concernant l'alignement réglementaire complet entre les deux Irlande ne convient pas à la majorité britannique, comme le montre la réaction de Mme May, mais, à ce stade, les solutions alternatives sont inexistantes. De ce point de vue, nous entrons dans une période compliquée.