Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du mercredi 4 avril 2018 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Gall, président du CNES :

Quatre volets me semblent devoir être abordés : le premier concerne l'architecture des programmes spatiaux de défense ; le deuxième, les questions relatives à la recherche ; le troisième, la surveillance de l'espace et enfin, le dernier concerne la loi de programmation militaire et le CNES.

Tout d'abord, s'agissant de l'architecture, je crois nécessaire de commencer par rappeler quelle est la place du CNES dans l'architecture générale de l'espace français et européen. Créé en 1961, le CNES est chargé de proposer une politique spatiale au Gouvernement et de la mettre en oeuvre. Il gère un budget de près de 2,5 milliards d'euros : 2,438 milliards en 2018, pour être précis. C'est à l'initiative du CNES que l'Europe spatiale s'est construite, par étapes successives. Tout d'abord, l'Agence spatiale européenne, avec ses États membres, a fait de l'Europe une grande puissance spatiale. Puis l'Union européenne a pris un rôle croissant avec deux programmes emblématiques, Galileo et Copernicus. Grâce à ces étapes, l'Europe est la deuxième puissance spatiale mondiale aujourd'hui. Dans ce contexte, le CNES promeut les intérêts scientifiques, technologiques, industriels et diplomatiques de la France, tout d'abord au sein de l'Agence spatiale européenne mais aussi auprès des institutions européennes (Commission, Parlement, etc.) et des autres agences et organismes spatiaux nationaux en Europe.

Près de la moitié de notre budget va à l'Agence spatiale européenne. L'autre moitié est majoritairement employée dans un cadre de coopération ce qui conduit à le nommer le budget multilatéral. Une partie spécifique est plus nettement consacrée à la défense.

Dans le domaine militaire, le CNES est impliqué dans la conduite des programmes et la préparation du futur. L'expertise de nos ingénieurs et le succès de nos programmes ont conduit la défense à déléguer au CNES – il y a déjà de nombreuses années, puisque c'est le ministre André Giraud qui a pris cette décision en 1986 – la maîtrise d'ouvrage des segments spatiaux des programmes d'observation optique. C'est donc le CNES qui a assuré cette mission pour les programmes Hélios 1 et 2 (1994 à 2009) et ses successeurs CSO (Composante Spatiale Optique) en s'appuyant sur les technologies et les industriels utilisés pour la filière SPOT (Satellite Probatoire pour l'Observation de la Terre). En parallèle, le CNES a développé, sur ses crédits de recherche duale, retracés sur le programme 191, un programme dual innovant d'observation optique, la constellation Pléiades. Ainsi, la défense bénéficie de la priorité de programmation sur ces satellites Pléiades (lancés en 2011 et 2012). Pour ce qui est des programmes de télécommunications et de renseignement électromagnétique (ROEM), la direction générale de l'armement (DGA) en a conservé la maîtrise d'ouvrage mais elle a formé, avec le CNES, des équipes de programme intégrées. Celles-ci suivent le déroulement du programme et bénéficient des compétences des ingénieurs du CNES.

De la même façon que pour les satellites Pléiades pour l'observation de la Terre, le CNES a été à l'initiative d'un programme dual de télécommunications, Athena Fidus (lancé en 2012) développé par les agences spatiales et les ministères de la Défense français et italien au profit des services de défense et de sécurité des deux pays.

En même temps que le CNES et la DGA conduisent les programmes, ils préparent les technologies pour les satellites de la génération suivante. Les technologies spatiales étant duales et les investissements sur les projets contribuant à renforcer le tissu industriel, ces travaux s'intègrent parfaitement dans la démarche du CoSpace, mis en place en 2013 par les ministres de la Défense, de l'Économie et de la Recherche. Concrètement, nous avons mis en place au sein du CNES une équipe défense dédiée à ces sujets. Dans ce cadre, le CNES travaille avec l'état-major des armées (EMA) sur le programme d'observation de la Terre CO3D et sur les futurs satellites de télécommunications sécurisées, Syracuse 4. La contribution au spatial de la défense est donc totalement intégrée aux activités du CNES, que le CNES intervienne à titre délégué ou dans le cadre de programmes duaux, comme les satellites Pléiades.

Dans ce propos sur l'architecture, je voudrais dire quelques mots de la nouvelle répartition des tâches entre le CNES et l'industrie. Les modalités d'intervention du CNES et la répartition des tâches avec l'industrie sont en effet très variées. Pour CSO, par exemple, dont le premier exemplaire sera lancé avant la fin de l'année, le CNES intervient de façon très poussée dans le cadre d'une délégation de maîtrise d'ouvrage et de maîtrise d'oeuvre, centre de contrôle, chaîne image et programmation. Dans le cas de CERES (Capacité de Renseignement Electromagnétique Spatiale), le CNES est positionné en assistance à maîtrise d'ouvrage, plus spécialement sur les interfaces lanceur et a la responsabilité des centres de contrôle mission et opérations. Et dans le cas de Syracuse 4, le CNES intervient dans une équipe intégrée entre le CNES et la DGA.

Au-delà de ces modes d'intervention historiques, un peu classiques, le CNES renforce aussi son intervention pour l'accompagnement de start-up et PME innovantes. C'est un enjeu qui nous paraît extrêmement important parce que dans des domaines qui sont moins liés au militaire, les PME et les start-up développent des systèmes qui, sans être aussi performants que ceux que nous développons dans le cadre classique, ont des capacités très intéressantes mais avec des coûts bien inférieurs. Globalement, les industriels français ont acquis une maturité et une autonomie évidentes. La répartition des tâches peut donc être plus souple et variée avec un CNES plus focalisé sur l'innovation, sur le moyen-long terme (R&T, démonstrateurs) et sur les « premières » (innovation scientifique, en particulier). Ainsi, de son côté, l'industrie peut davantage s'orienter sur les marchés plus récurrents, la compétitivité et le montage des projets commerciaux.

La contribution du CNES est donc tout à fait importante – qu'il s'agisse de l'architecture du spatial français et européen, du spatial de défense ou des relations avec l'industrie – mais cette contribution s'adapte de manière dynamique. Nous évoluons en fonction des demandes, de la maturité des acteurs qui va en s'affirmant et aussi en fonction des mutations de notre environnement, notamment du côté des start-up et des PME. Nous nous intéressons à ce nouvel écosystème afin que l'effort de défense en bénéficie.

J'en viens aux questions relatives à la recherche de défense, qui constituent le second volet de mon intervention. Celle-ci est gérée par la DGA sur le programme 144. Les grands axes de recherche duale sont décidés en coordination avec le ministère des Armées et les crédits sont utilisés en étroite coordination avec la DGA qui est pilote du programme 191. Notre souci permanent est la cohérence et la complémentarité des recherches.

Je veux insister sur les recherches de rupture. La démarche d'innovation que nous avons mise en place vise à soutenir l'émergence et le développement des acteurs en rupture dans toutes les strates de l'écosystème. L'espace ne doit pas être considéré comme un secteur clos et isolé mais comme un secteur économique qui s'insère dans l'écosystème général. Il peut donc trouver son inspiration pour des innovations de rupture dans des domaines autres que le sien. C'est pour cela que nous mettons en place des communautés d'experts, dans une démarche d'« open innovation », comme on dit, qui permet d'animer un dialogue autour de questionnements techniques transverses. Ce dialogue s'élargit désormais à des acteurs institutionnels, comme le CNRS ou l'Agence spatiale européenne et à des acteurs privés hors du secteur spatial, comme Renault.

En complément, le CNES a mis en place l'observatoire de prospective spatiale Space'ibles qui a organisé sa séance inaugurale le 8 novembre dernier et qui compte désormais 38 partenaires issus de tous les horizons. L'ouverture sur les autres secteurs se fait encore à travers les applications et les services aval. Dans ce cadre, le CNES a noué un partenariat avec la French Tech pour assurer une présence à Station F. Il s'agit d'être ouvert à toutes les ruptures, à tous les niveaux, car c'est ce qui crée l'essence même de ce qu'on appelle le NewSpace.

La dualité est l'une des caractéristiques du spatial. Nos moyens, nos technologies, voire nos satellites sont utilisés dans le cadre de missions civiles ou duales. Pour la R&T, ce principe de la dualité du spatial a conduit à la mise en place du programme LOLF 191, piloté par la DGA, et dont une partie est intégrée dans le budget du CNES. La part qui est consacrée à la R&T est orientée vers l'industrie sur des actions coordonnées avec la DGA et les armées.

La recherche est donc essentielle pour le secteur militaire. Elle doit être moderne, ouverte aux innovations de rupture, y compris celles qui ne proviennent pas du domaine spatial et duale afin que les bénéfices soient partagés entre le civil et le militaire.

Je voudrais maintenant dire un mot de la surveillance de l'espace. C'est un sujet dont on parle beaucoup alors que nos moyens sont sans doute plus limités que dans d'autres secteurs. C'est aussi un secteur sur lequel il y a des idées préconçues, voire des fantasmes. Ces derniers jours en ont donné une illustration tout à fait frappante. Je rappelle que la surveillance de l'espace couvre deux domaines : civil avec les aspects anticollision et surveillance des fragmentations, et militaire avec la connaissance de la situation spatiale. Or ces derniers jours, le monde entier, et la France en particulier, a vécu au rythme de la retombée de la station spatiale chinoise Tiangong-1, avec des contre-vérités patentes écrites dans les journaux. La station spatiale pouvait retomber à l'intérieur d'une bande comprise entre -42 degrés de latitude sud et +42 degrés de latitude nord, ce qui est extrêmement large. Dans le cas de la France, cela concernait la région de Perpignan et la Corse, zones qui représentaient à peine quelques millièmes de la surface totale de cette bande. Or dans les journaux, on a lu que la station allait retomber sur Perpignan ou sur la Corse !

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