Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du mercredi 4 avril 2018 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Gall, président du CNES :

C'est typiquement un exemple de situation dans laquelle les fantasmes prennent le dessus et où il faut avoir une capacité d'observation et de communication, disons, raisonnable. J'avoue que la façon dont cette station est retombée reste pour moi mystérieuse… Les Chinois nous affirmaient, depuis quatre ans, qu'ils avaient perdu le contrôle de la station. Pour leur rentrée dans l'atmosphère, tous les objets sous contrôle sont orientés vers le point dit « Nemo » dans le Pacifique sud, c'est-à-dire dans l'océan, loin de toute terre habitée. C'est là qu'on avait précipité la station Mir. Et aujourd'hui, on nous explique que cette station chinoise, théoriquement hors de contrôle, est tombée, comme par hasard au point Nemo ! La probabilité que cela arrive spontanément est d'environ 1 %. Nous avons lancé des investigations et nous saurons peut-être un jour de quoi il retourne. Mais je doute que seul le hasard ait contribué à cette chute appropriée ! Cela donne une idée de l'importance de la surveillance de l'espace et de l'intérêt stratégique qu'elle revêt pour un pays comme la France.

Je reviens sur les deux volets – le volet civil avec les aspects anticollision et le volet militaire avec la connaissance de la situation spatiale. Même si nos approches sont différentes, nos intérêts civils et militaires se rejoignent. Le CNES cherche en effet à assurer la sécurité des satellites qui lui sont confiés – et pour cela il doit connaître la position précise des autres satellites et des débris. L'approche des militaires est liée à leur besoin de connaître la position des satellites adverses. Nos relations avec les armées nous permettent de bénéficier des données des radars de l'armée de l'air et de la DGA, en particulier du radar de surveillance GRAVES qui offre à la France un certain niveau d'autonomie dans la connaissance de la situation spatiale. Le CNES s'est organisé pour avoir une capacité d'analyse permanente. Nous avons un centre d'orbitographie opérationnel (COO) à Toulouse. Nous avons le système d'analyse Caesar qui, sur la base des alertes détectées par les systèmes étrangers, notamment américains, ou par le radar GRAVES, assiste les opérateurs pour calculer et décider les manoeuvres qui permettront d'atténuer le risque de collision. Nous travaillons main dans la main avec les militaires pour avoir une vision synthétique des trajectoires des objets, afin d'éviter les collisions de satellites civils et de savoir ce qui se passe. C'est dans ce cadre que nous avons suivi la manoeuvre de Tiangong-1 et, de la même façon, nous nous assurons, par exemple lors d'un lancement d'Ariane, que le lanceur ne va pas se télescoper avec un satellite en orbite. Les moyens étant actuellement limités, nous conduisons une réflexion sur la mise en oeuvre de nouveaux moyens dans un cadre européen. L'importance de ce sujet augmentera en effet nécessairement, en lien avec l'« arsenalisation » de l'espace. Cette dernière a deux impacts sur le CNES : elle nous oblige à avoir une bonne connaissance de la situation spatiale et nous pousse à renforcer nos compétences – déjà précieuses aujourd'hui – sur la résilience des moyens spatiaux.

L'enjeu de la surveillance de l'espace deviendra prégnant à l'avenir, sans doute plus qu'on ne l'imagine aujourd'hui. Vous avez certainement entendu parler des projets de « constellations » civiles : OneWeb – quelques centaines de satellites – mais aussi un autre qui vient d'annoncer qu'il avait obtenu les autorisations nécessaires pour un projet de quatre mille satellites ! Ce sont des projets d'une taille phénoménale. Je ne me prononcerai pas sur leur devenir mais l'honnêteté me force à dire que ces projets paraissent extrêmement ambitieux tant du point de vue technique que du point de vue du business model. À la différence d'un satellite géostationnaire, dont le coût est de plusieurs dizaines de millions d'euros (environ 150-200 millions d'euros) mais dont les opérateurs tirent assez rapidement des profits avant de lancer le suivant, il faudra mettre sur la table cinq à dix milliards de dollars d'entrée de jeu pour lancer ces constellations de satellites avant de commencer à récupérer le premier dollar. Cela a d'ailleurs tué les projets de constellations d'opérateurs de téléphonie. En outre, les constellations qui existent aujourd'hui comptent quelques dizaines de satellites ; passer à quelques centaines voire quelques milliers représente un saut technologique considérable. En tout état de cause, la surveillance de l'espace n'en sera que plus nécessaire. Il faudra savoir où sont ces satellites lorsqu'ils sont en fonctionnement, et en assurer le suivi lorsqu'ils ne le seront plus, car ce sont de potentiels débris spatiaux.

À présent, je voudrais aborder la loi de programmation militaire et trois programmes d'importance. Dans le domaine de l'observation optique, CSO est sur le point de prendre le relais des satellites Hélios. Trois satellites sont en fabrication et le premier sera prêt à la fin de cette année. CSO est la vitrine extraordinaire de ce que sait faire notre industrie. Ce sont des satellites de trois tonnes et demie, qui sont des merveilles de technologie et qui donneront des images d'un standard inégalé pendant les quinze à dix-huit prochaines années. Deuxième volet : CERES, l'observation électromagnétique. Trois satellites seront lancés par le lanceur Vega en 2019-2020. Puis, un peu plus tard, Syracuse 4 assurera la continuité des services de télécommunications sécurisées.

L'ensemble de ces trois volets – CSO, CERES et Syracuse 4 – contribue à placer notre pays au deuxième rang mondial en matière de spatial militaire, si on fait un rapport global entre quantité et qualité. Les Américains sont devant nous, c'est indéniable. Mais le budget du CNES est de 2,5 milliards d'euros tandis que la NASA dispose de 20,7 milliards de dollars et que son budget a augmenté l'an passé d'un montant équivalent à la moitié de celui du CNES après qu'il a déjà augmenté, l'année précédente, d'un montant équivalent à la totalité de notre budget ! Il faut ajouter à cela un budget identique pour le département de la Défense, ce qui fait donc près de quarante milliards de dollars, plus entre dix et quinze milliards de dollars pour ce qu'on appelle les Black Projects, à la discrétion du président des États-Unis. Avec un budget très inférieur, notre nation a toutefois accès à trois volets : le volet optique – sans lequel il n'y aurait pas d'opérations extérieures –, l'écoute électromagnétique – CERES va nous offrir une capacité d'une acuité hors normes dans ce domaine – et les télécommunications sécurisées. Pour poursuivre la comparaison au-delà des États-Unis, il faut dire que la Russie et la Chine ont des programmes spatiaux qui n'ont pas notre niveau technologique. Le Japon a un programme spatial lui aussi un peu inférieur au nôtre. En somme, grâce à la qualité de notre industrie et de notre R&T, nous aurons à horizon de trois ou quatre ans une capacité tout à fait remarquable, avec l'arrivée de systèmes totalement nouveaux.

Concernant toujours les programmes, le projet de loi de programmation militaire adopté en première lecture par votre assemblée prévoit un accroissement bienvenu des crédits de recherche, dont il faut se féliciter car ces crédits préparent l'avenir. Le CNES espère que cette augmentation permettra de financer des projets de recherche et des démonstrateurs dans divers champs de technologies spatiales spécifiques, comme l'alerte avancée, les moyens d'observation de l'espace ou les très grands miroirs d'observation optique à haute résolution. Il est aussi souhaitable qu'en parallèle de l'effort budgétaire consenti dans le domaine militaire, soient consolidés les crédits du programme 191, qui financent les programmes duaux du CNES.

J'en viens aux enjeux de souveraineté et d'autonomie dans le domaine spatial, et donc de maintien des compétences industrielles. Le repli des opérateurs commerciaux de télécommunications est à cet égard préoccupant. En effet, les fabricants de satellites sont en quelque sorte victimes de leur succès : un satellite lancé en 2020 remplace entre vingt à vingt-cinq satellites datant de 2010, ce qui réduit d'autant les besoins des opérateurs en matière de lancement de satellites, et ce, à un point préoccupant pour le plan de charge de notre industrie. Le CNES s'emploie donc à trouver les moyens de permettre à notre industrie de tenir son rang, par un effort accru en matière de recherche et technologie ou par la promotion des solutions satellitaires pour certains équipements. Tel est le cas, par exemple, pour la couverture téléphonique des « zones blanches » du réseau téléphonique : par rapport à d'autres options technologiques, le recours à un satellite pour couvrir l'essentiel des zones blanches a l'avantage d'alimenter le plan de charge l'industrie française.

Concernant l'observation de la Terre, les programmes Hélios et Pléiades ont donné une longueur d'avance à nos armées en opérations extérieures, et l'industrie spatiale française est l'une des rares à proposer des satellites d'observation à l'exportation. Elle a commencé par un programme modeste au Vietnam, puis en vendant un satellite de taille moyenne au Pérou, pour conclure dernièrement le contrat de vente de la « Rolls » de l'observation, Falcon Eye, aux Émirats arabes unis. L'exportation contribue ainsi à entretenir notre tissu industriel et, de ce fait, à consolider l'autonomie nationale.

Pour conclure, le CNES joue un rôle incontournable dans le secteur spatial militaire, lequel suppose un effort constant de recherche et d'innovation, ne serait-ce que pour que la France évite de se faire doubler, avec un accent particulier sur la surveillance de l'espace et une attention particulière aux programmes qui permettent d'entretenir nos capacités et de tenir notre deuxième rang mondial.

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