S'agissant de défense, les principaux projets européens tournent autour de la surveillance de l'espace, de la création d'une direction de la défense et de l'espace au sein des services de la Commission, et du passage à l'échelle européenne de programmes nationaux ou bilatéraux. Dans ce type de démarches de coopération, l'avantage, qui tient à la mutualisation des moyens, doit pouvoir l'emporter sur les inconvénients liés aux difficultés d'organisation inhérentes à toute coopération. En Européen convaincu, je crois que les avantages peuvent dépasser les inconvénients.
Observation, écoute et communications sécurisées sous toutes leurs formes demeurent les principaux chantiers militaires. En matière duale, par-delà la suite de Galileo, une large palette de projets existe, y compris dans le domaine de l'environnement. Globalement, ce ne sont pas les projets, qui manquent ; les difficultés tiennent davantage au financement et à des questions d'organisation. Mais l'Europe spatiale peut d'ores et déjà se prévaloir d'incontestables succès.
Quant à la DIA du CNES, elle a été créée à mon initiative. Le corollaire de l'innovation spatiale, ce sont les applications ; en effet, les systèmes de satellites sont de plus en plus performants, mais la valeur ajoutée réside dans l'utilisation des données qu'ils produisent. Prenez par exemple Galileo : l'Europe a réussi à déployer l'équivalent du GPS avec trois avantages : une précision supplémentaire, indispensable par exemple pour le développement des véhicules autonomes ; l'authentification du signal, qui protège des cyberattaques ; et la datation, extrêmement précise, qui connaîtra un grand nombre d'usages.
Reste à s'équiper pour utiliser ces données à bon escient. Telle est la raison qui a conduit à créer la direction de l'innovation, des applications et de la science. Elle a permis d'entraîner de nouveaux acteurs dans le secteur spatial, comme la SNCF, pour mesurer l'affaissement des ballasts ou la direction générale de la santé, pour le suivi de l'ostéoporose à partir des données collectées lors du séjour dans l'espace de l'astronaute Thomas Pesquet.
S'agissant de la coopération européenne, le Fonds européen de défense que nous avons évoqué constitue bien évidemment une avancée. Les programmes plus vastes dont j'ai parlé s'inséreront dans ce fonds.
J'en viens à Ariane 6, programme qui a été décidé à l'initiative du CNES quand, il y a quelques années, nous avons compris ce qui se passait sur le marché des lancements de satellites. Nous avons choisi le programme qui, il y a quatre ans, nous semblait le plus optimisé pour faire face à la compétition qui s'annonçait. Depuis lors, force est de constater que cette compétition s'intensifie. Toutefois, on ne peut changer de cheval au milieu du gué. Le programme Ariane 6 possède un certain nombre d'avantages, sachant par ailleurs que certains compétiteurs font des effets de manche. D'un côté, nous avons des nouveaux venus à la communication très dynamique, mais dont l'activité présente des hauts et des bas. Pour notre part, nous avons davantage une approche de père de famille, assez constante, ce qui ne nous interdit pas, en parallèle, de faire de l'innovation sur des technologies très novatrices et de rupture de sorte que si, dans quelques années, les compétiteurs que vous avez évoqués instaurent de nouveaux standards, nous serons en mesure d'y répondre.
CSO, dont j'ai parlé, est bien l'une des composantes du programme MUSIS.
S'agissant des remarques du général Breton et des pico, nano et microsatellites, c'est une véritable révolution à laquelle nous assistons. Nous avons donc décidé de développer une filiale de nanosatellites avec la société Nexeya autour du système Argos. Nexeya n'est pas une société classique du secteur spatial, elle ne fait pas partie du « canal historique » et porte des approches plus disruptives. Aujourd'hui, des charges utiles Argos sont placées sur des satellites. Demain, ces charges utiles constitueront des nanosatellites en tant que tels. Le premier lancement aura lieu l'an prochain et la filière que nous avons créée est très prometteuse.
S'agissant des États-Unis et du financement privé, j'insiste toujours sur le point suivant : quand on regarde précisément la situation, on se rend compte que toutes les sociétés privées concernées gagnent en réalité de l'argent grâce à l'argent public ! Les budgets considérables de la NASA et du DoD irriguent ces sociétés. L'industriel en matière de lanceurs qui fait la une des journaux parce que ses fusées reviennent parfois est, de mon point de vue, un centre de recherche de la NASA, mais avec des méthodes différentes. Il s'agit de méthodes de start-up, avec des employés aux salaires modestes, payés en stock-options avec la perspective de faire fortune le jour de l'introduction en bourse, et des rythmes de travail fort différents de ceux de la NASA. Je visite de telles sociétés chaque année. Ce qui me frappe régulièrement est la présence de pancartes indiquant « Si vous ne venez pas travailler le samedi, inutile de venir le lundi. » Si j'affichais les mêmes au CNES, c'est certainement moi qui n'aurais pas besoin de venir le lundi ! (Sourires)
Plus sérieusement, les États-Unis ont surfé sur cette image de start-up très valorisante, mais qui en réalité est largement alimentée par de l'argent public. Il n'y pas tant d'argent privé que cela dans le domaine spatial aux États-Unis. Il y a simplement une façon différente de « faire du spatial » avec de l'argent public.
Alors pourquoi n'existe-t-il pas plus d'investisseurs privés en Europe dans le domaine du spatial ? Du fait de différence des budgets. L'argent public est beaucoup plus rare en Europe qu'aux États-Unis.