Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 8h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Madame de Montchalin, et d'autres, m'ont demandé ce que les parlementaires pouvaient améliorer dans le texte. Il va sans dire que vous avez toute liberté d'amender le projet de loi, mais puisque vous m'avez invité à indiquer les sujets sur lesquels le Gouvernement serait particulièrement à l'écoute, je débuterai par celui du « verrou de Bercy ».

La question de François Pupponi, qui y fait écho, est très importante. Si certains pays choisissent la voie judiciaire et d'autres optent pour la voie administrative, le système français est plus sévère envers les contribuables : les deux voies peuvent être empruntées. C'est la raison pour laquelle le « verrou » a été instauré.

Je rappelle que lorsque le principe du monopole de la poursuite par l'administration fiscale a été posé, dans les années 1920, on considérait que c'était l'État qui était lésé et qu'il lui revenait donc de déposer plainte. La commission des infractions fiscales (CIF) a été créée à la fin des années 1970 pour protéger le contribuable des abus de l'administration ou du pouvoir politique, et non, comme on pourrait l'analyser aujourd'hui, pour protéger l'administration – en tout cas les plus gros poissons, comme diraient MM. Fabien Roussel ou Charles de Courson. Le débat est donc renversé.

Nous avons déjà eu ce débat sur le secret fiscal : à partir du moment où la décision de condamnation publiée ou que l'affaire est devant le tribunal, ce que nous appelons fraude fiscale est ce qui, à la fin, est jugé comme tel, monsieur Pupponi.

D'ailleurs, monsieur Fabien Roussel, l'administration transige lorsqu'elle sait que son dossier n'est pas « béton », pour reprendre une expression populaire. Si elle se pense en mesure de confondre le fraudeur, elle a intérêt à le poursuivre devant la justice. Mais il peut lui arriver, compte tenu de la complexité du dossier, des jurisprudences et du fonctionnement général de l'administration, de transiger afin d'être certaine de récupérer l'argent qu'elle risquerait de ne pas retrouver au terme d'une procédure administrative ou judiciaire.

Même si nous pensons que l'objectif principal doit être de récupérer l'argent, et non de faire condamner les personnes dans de petits dossiers, comme M. Fabien Roussel le sous-entend, la peine a une vertu d'exemplarité. La question de savoir si la fraude peut être découragée par une peine de prison, et à partir de quels montants, en proportion de l'impôt dû, une fraude mérite d'être jugée par le tribunal pénal est philosophique ; nul doute qu'elle constituera une ligne de rupture entre les groupes politiques.

Pour autant, on ne peut envisager une automatisation. Dire que l'on transmet à la CIF, puis à la justice les dossiers possiblement concernés par une majoration minimum de 40 %, c'est méconnaître la façon dont l'administration fiscale fonctionne. Les pénalités de 40 %, 80 % et 100 % sont prononcées pour des manquements délibérés. Or, un manquement délibéré n'est pas forcément une fraude. Je l'ai dit devant la mission d'information : si l'on considère que les dossiers concernant une fraude sanctionnée par une majoration de 80 % doivent être transmis automatiquement au pénal, cela fait sauter le verrou de la CIF – parfois protecteur du contribuable –, et oblige l'administration fiscale à réformer son mode d'organisation.

C'est une question très complexe. Il revient au Parlement de fixer les critères dans la loi. Ce n'est ni le rôle de l'administration – même si elle peut ouvrir ses livres et apporter des explications – ni de la justice de faire la loi à la place du législateur. Le débat que nous aurons sera très intéressant, puisqu'il portera à la fois sur les aspects pratiques de la question – comment récupérer l'argent ? – sur le fonctionnement du système, et sur la dimension philosophique.

Si d'autres ont instauré un verrou, la France est le seul pays où coexistent deux juges de l'impôt : le juge administratif et le juge judiciaire. En la matière, nous ne sommes pas les plus laxistes.

Le niveau des sanctions est un sujet sur lequel le Gouvernement n'a pas été assez loin, madame de Montchalin, notamment en ce qui concerne les plateformes collaboratives et les auteurs de montages.

Je ne reviendrai pas sur les nombreuses questions concernant l'article 7. On reproche parfois à la loi d'être trop précise, souvent d'être trop large. Je comprends que cet article 7 sera retravaillé ; sa philosophie est de donner pour base de départ la négociation. Je rappelle que les professions réglementées ont leur propre code de déontologie, et un pouvoir de sanction en cas de manquement. Les conseils qui en font partie sont déjà corsetés par le risque de sanction propre à leur profession. Cet article concerne davantage les professions qui ne bénéficient pas de ce cadre.

Évidemment, monsieur Cédric Roussel, celui qui aura travaillé avec un fraudeur ne pourra être poursuivi si l'objet de sa proposition n'était pas la fraude. Il est possible qu'une société propose un montage d'optimisation, ce qui est tout à fait légal, et que le citoyen ou l'entreprise organise une fraude sans rapport avec le conseil qui lui a été apporté. Dans ce cas, je ne vois pas de raison de condamner le conseil, qui aura fait son travail en toute moralité et légalité.

Les débats parlementaires éclaireront sans aucun doute le Conseil constitutionnel, et demain les tribunaux, sur la volonté du législateur.

Les paradis fiscaux constituent un autre sujet de travail, madame de Montchalin. J'ai donné à MM. Éric Boquet et Fabien Roussel un accord de principe pour que nous puissions débattre chaque année de la liste des paradis fiscaux. Monsieur Fabien Roussel, vous le savez, la liste européenne est basée sur du déclaratif, mais nous pourrons constater un jour si les pays qui ont déclaré devant l'Union européenne (UE) avoir pris des dispositions les ont effectivement prises. Ne faisons pas le débat avant le débat. Si la France va encore plus loin que l'UE, c'est qu'il n'y a pas de raison, quand bien même cela serait-ce par volonté de simplification, de ne pas compléter les informations avec nos propres arguties juridiques et de faire figurer sur la liste des États non coopératifs tel ou tel pays.

Monsieur Aubert m'a interrogé sur la politique et les raisons du contrôle fiscal. La dernière circulaire, signée par le garde des Sceaux et le ministre en charge du budget, date de 2014. Rendre compte devant les commissions des finances de la politique menée en matière de lutte contre la fraude fiscale est dans notre intérêt. Cela permet parfois de tirer des fils nouveaux : ainsi, les certificats d'économie d'énergie, qui n'étaient pas signalés il y a deux ans, font aujourd'hui l'objet de fraudes.

Je souhaite voir augmenter le nombre de vérifications particulières dans les entreprises. Cela permettra de réaliser, dans le cadre de la loi pour un État au service d'une société de confiance, la garantie fiscale. Les entreprises estiment que lors d'une vérification générale, l'inspecteur peut toujours trouver quelque chose et procéder à un redressement, ce qui les place dans une position d'insécurité. Il est préférable que le contrôle porte sur un point précis – l'impôt sur les sociétés ou la TVA par exemple – plutôt que de multiplier les contrôles, à tout moment. Cela permet de conduire une bonne politique fiscale. Sans doute faudra-t-il consacrer une séance de travail à la politique de contrôle fiscal.

Nous voulions un texte ciblé, qui ne soit pas fourre-tout. Aussi ce projet de loi n'aborde-t-il pas la fraude sociale, même s'il traite de la fraude aux cotisations, assimilées à de la fiscalité. De son côté, Muriel Pénicaud a présenté un projet de loi courageux sur le travail illégal. S'agissant de la fraude aux prestations sociales, il faudrait un texte distinct, qui prévoie l'accès de l'administration fiscale aux fichiers, afin que celle-ci soit mieux renseignée.

Je ne doute pas que le débat parlementaire donnera l'occasion d'articuler ce sujet avec celui du droit à l'erreur. M. Guerini pourrait le dire mieux que moi : le droit à l'erreur est présupposé pour tout le monde, pour tous les types d'infraction. Ce qui change, c'est qu'il n'y a pas d'exception au fait que le contribuable et l'entreprise sont, par nature, de bonne foi. Il reviendra à l'administration de faire la preuve de la mauvaise foi, ce qui n'était pas tout à fait le cas auparavant.

M. Vigier m'a interrogé sur les carrousels de TVA. Nous pourrons adapter la directive, en cours de révision, afin de mettre à jour notre fonctionnement. Par ailleurs, le data mining permettra de lutter contre ce système.

Monsieur Laurent Saint-Martin, en 2017, 10 % des contrôles fiscaux ont été programmés à partir du data mining ; l'objectif est de porter cette part à 20 % en 2018 et à 50 % d'ici 2021. Nous allons donc passer à un lac de données ; M. le directeur général des finances publiques est à votre disposition pour vous présenter à Pantin le travail des informaticiens de la DGFiP. Trente agents supplémentaires, comme prévu dans le PLF, rejoindront la petite dizaine de data scientists, parallèlement au décloisonnement des bases de données de la DGFiP évoqué par le rapporteur général. Le recrutement de ces personnels est effectué dans un objectif de modernisation de l'action publique et va de pair avec la modernisation de la fonction publique. Toutefois, s'il est demandé aux personnels de la DGFiP d'être très polyvalents, on ne pourra exiger d'un data scientist de faire du contrôle fiscal traditionnel. Un contrat auquel aura été apporté un peu de souplesse, en lien avec les services d'Olivier Dussopt, permettra de recruter davantage d'agents, pour une technicité qui change quasiment tous les ans. Notre volonté est bien de faire en sorte que la moitié des contrôles, à terme, soient programmés à partir des données tirées de l'administration fiscale et des contrôles passés.

Nous ne disposons pas des chiffres concernant les plateformes collaboratives. Peut-être serait-il intéressant, monsieur le président, qu'un groupe de travail commun à l'Assemblée nationale et au Sénat soit créé à ce sujet ? Je constate que les deux chambres sont très attentives aux économies collaboratives et aux recettes fiscales qui peuvent en découler.

Je n'ai pas répondu, monsieur Saint-Martin, à votre question concernant les agents de Pôle emploi. Il me semble que, contrairement à ceux des autres administrations concernées, ils n'entretiennent pas les mêmes relations avec la fiscalité. Peut-être est-ce pour cette raison que le lien n'a pas été fait. Je suis ouvert, en tout état de cause, aux amendements qui pourraient être proposés.

Si la relation entre les douanes et l'administration fiscale est envisagée dans ce texte, elle tient surtout à la gestion des services par l'administration et les directeurs. Nous en avons déjà parlé lors de la présentation de votre rapport spécial dans le cadre du PLF, je suis très favorable à la création, au sein de Bercy, d'une coordination du renseignement fiscal. Celle-ci est compliquée à mettre en place puisque les services – Tracfin ou DNRED –, tout comme les bases de données et les éléments gardés secrets, sont différents. Pour autant, j'estime que cette coordination serait utile.

Pour répondre à M. Hetzel, il ne peut y avoir de difficultés entre les ministères du budget, de la justice et de l'intérieur, puisque le SNDJ, tout comme la BNRDF, ne sont pas des services qui s'autosaisissent, sur instruction du ministre. C'est bien la justice – le procureur de la République ou le juge d'instruction – qui confiera le pouvoir d'enquête à l'un ou l'autre des services. La police fiscale de Bercy sera placée sous l'autorité du magistrat, et ce n'est pas moi, ou mon successeur, qui lui donnera des ordres. Il n'y aura donc pas de guerre des polices ou de guerre des ministères.

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