Je ne vais pas vous présenter à nouveau le projet de loi : le ministre vient de nous en rappeler l'esprit et les principales dispositions. J'entends plutôt vous faire part de mes réflexions et de l'état d'esprit dans lequel j'aborde cette discussion.
J'ai procédé, vous le savez, à un grand nombre d'auditions et de tables rondes – trente et une pour être exacte – qui m'ont permis d'entendre un peu plus de cent personnes : représentants des autorités, associations, syndicats, avocats, policiers, magistrats, élus locaux… Ces auditions, et c'était mon souhait, ont connu un grand succès auprès de vous – nous étions parfois presque aussi nombreux que pour une réunion de la Commission. Nous avons pu évoquer plusieurs sujets directement avec les personnes concernées et faire tomber quelques préjugés ou a priori. Je crois que ce dialogue très constructif a fait honneur à notre Commission et nous permettra de prendre des décisions éclairées. Il me tenait particulièrement à coeur que tous aient une connaissance concrète des enjeux.
J'ai effectué plusieurs déplacements : au centre de rétention administrative (CRA) de Paris-Vincennes ; à Berlin où j'ai notamment visité un centre d'accueil pour réfugiés et discuté longuement avec les représentants des différentes autorités présentes ; à la frontière franco-italienne, au point de passage autorisé de Montgenèvre, en passe de devenir un point névralgique pour les flux migratoires à destination de la France – j'y ai rencontré l'administration, les élus locaux et les associations concernées – ; au CAES installé depuis le mois d'octobre à la patinoire de Cergy-Pontoise, à proximité de la préfecture ; à Montreuil, à la CNDA, où j'ai assisté à plusieurs vidéo-audiences ; à Calais, aussi, où j'ai notamment visité le dispositif des douches et celui de la mise à l'abri dans le cadre du plan « Grand froid » ; enfin j'ai assisté début mars à une distribution de repas organisée par l'État et qui, je l'ai constaté, fonctionne bien.
De toutes ces rencontres, discussions, visites et réflexions, j'ai retenu plusieurs points importants qui ont guidé mon travail sur le texte. Partout où je me suis rendue – dans les guichets de préfecture, dans les centres d'hébergement et naturellement à l'OFPRA où j'ai assisté à l'entretien d'un demandeur d'asile et où j'ai discuté avec l'ensemble des officiers de protection –, partout j'ai rencontré des personnels de grande qualité qui, avec empathie et professionnalisme, ont à coeur d'appliquer les textes que nous votons. Nous devons leur faire confiance et prendre garde de ne pas adopter de disposition inapplicable.
Nous devons ensuite nous rappeler que la protection que nous offrons à ceux qui demandent asile est notre tradition et notre honneur. Notre législation, mais aussi les dispositions comprises dans le texte, sont en tous points conformes à nos engagements européens comme internationaux et tout à fait comparables à celles de nos voisins. En matière de protection subsidiaire ou d'apatridie, par exemple, nous accordons une protection renforcée par le projet de loi. Des amendements ont été déposés pour empêcher cette amélioration ou, au contraire, l'élargir démesurément. Sachons préserver le point d'équilibre atteint qui nous vaut les félicitations du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Le pré-accueil, avant l'enregistrement de la demande d'asile, est la principale faiblesse de notre système. C'est pourquoi j'ai déposé des amendements visant à créer une mission spécifique d'accueil à destination des demandeurs d'asile, à l'image des CAES que le Gouvernement est en train de déployer. Il n'est pas tolérable de voir encore des campements illégaux se constituer dans nos villes : chacun doit pouvoir bénéficier, le président Emmanuel Macron l'a dit lors de son discours d'Orléans le 27 juillet 2017, d'un hébergement et d'un examen rapide de sa situation pour entamer, s'il le souhaite, une démarche d'asile. Je dis bien : « s'il le souhaite », car certains migrants ne veulent pas rejoindre ces structures malgré les maraudes de l'OFII.
En outre, notre système souffre, le ministre l'a rappelé, d'une saturation du parc d'hébergement et d'une concentration des demandeurs dans certains territoires : Paris et l'Île-de-France, Calais, Grande-Synthe, Ouistreham… Nous avons commencé à y remédier grâce à une augmentation de 26 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » dans le cadre de la loi de finances pour 2018. J'espère, monsieur le ministre d'État, que l'exercice 2019 accentuera cette tendance.
Il faut travailler à une répartition plus équilibrée de ces flux dans nos territoires : c'est le sens de l'article 9 qui prévoit que le schéma national d'accueil arrêté par le Gouvernement fixe désormais, non seulement la répartition des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile par région, mais aussi la part de ces demandeurs accueillis dans ces régions. Ce système devrait être assez proche, avec des modes de calcul adaptés, de la « clé de Königstein » utilisée en Allemagne, qui alloue à chaque Land un pourcentage spécifique de demandeurs d'asile à accueillir, en fonction des recettes fiscales et de la population. Pouvez-vous, monsieur le ministre d'État, nous en dire plus sur les modalités de calcul de la clé de répartition française ?
J'en viens au titre II relatif au contrôle de l'immigration et à l'éloignement des personnes qui ne remplissent pas les critères légaux pour demeurer sur le territoire national. Je soutiens fermement le Gouvernement sur ce point : accueillir dignement ceux qui ont besoin de protection et qui satisfont aux exigences de la loi suppose que soient appliquées les décisions de rejet des demandes d'asile et des titres de séjour. Quel parti politique ici représenté propose d'abolir les frontières et d'accueillir tout le monde ? Soyons honnêtes : aucun. La France est ouverte et généreuse, mais pas inconditionnellement et sans possibilité de faire respecter ses règles. Il y va de la crédibilité du droit d'asile et de l'État de droit.
Ce principe posé, il faut se donner les moyens de l'appliquer, bien sûr avec un maximum d'humanité – je mets à part les individus qui font l'objet d'une interdiction de territoire ou d'un arrêté d'expulsion pour des raisons d'ordre public. Monsieur le ministre d'État, la commission des Lois soutiendra toujours le Gouvernement dans sa fermeté pour la protection des Français.
Les débats sur le titre II se concentrent sur quelques points saillants. Le développement des nouvelles technologies nous donne moyen d'améliorer le service public de la justice pour un coût financier moindre, par exemple au moyen des vidéo-audiences. J'ai entendu la nécessité de garantir en toute occasion les droits de la défense et, bien évidemment, j'y souscris. Mais pour avoir de mes yeux constaté la qualité des transmissions avec la Guyane, je soutiens ce principe sans ambiguïté pour peu que des amendements apportent les garanties nécessaires.
De nombreuses dispositions sont techniques et procédurales, comme l'allongement des délais de jugement réclamé par des juridictions très sollicitées par le contentieux des étrangers. Nous y accédons.
Je salue la volonté de privilégier l'assignation à résidence plutôt que la rétention administrative, qui suppose de renforcer l'efficacité de la première pour qu'elle devienne une alternative crédible à la seconde. Là aussi, je vous inviterai à soutenir le Gouvernement. Je tiens néanmoins à rappeler que la rétention n'est pas la norme en matière d'éloignement et que tous les membres des forces de l'ordre rencontrés ont assuré que, dans un système idéal et « coopérant », ils aimeraient que la rétention soit la plus brève possible dans l'intérêt de tous.
Il reste, monsieur le ministre d'État, le grand débat de la durée maximale de la rétention administrative, que vous souhaitez sensiblement augmenter. Vous invoquez deux raisons : faire échec aux tentatives d'obstruction, comme les refus d'embarquement de plus en plus fréquents, et donner le temps aux autorités étrangères de délivrer les laissez-passer consulaires. Pour être tout à fait franche, je suis convaincue par la première raison : un dispositif strict dissuadera les entraves. Je serai beaucoup plus mesurée quant à la seconde : beaucoup nous ont dit que certains pays refusaient tout net de coopérer, quelle que soit la durée de rétention de leurs ressortissants – et je sais bien que la question a une dimension diplomatique qui dépasse ce texte, comme cela m'a été exposé par l'ambassadeur aux migrations. Nous devons tâcher d'aboutir à un compromis acceptable par tous au cours de l'examen du texte.
Le titre III comporte des mesures très diverses, apportant par exemple des ajustements utiles à des dispositifs permettant de mieux accueillir les « talents » et les « compétences ». Je m'en réjouis car la compétition internationale est forte et il s'agit là d'un enjeu d'attractivité de notre pays.
Ce titre comprend également des dispositions de simplification : fusion des documents de circulation pour les mineurs, suppression de la signature des visas… En cela, il est en phase avec notre époque ; il favorise les relations entre le public et l'administration.
Il permet également de lutter plus efficacement contre les risques de fraudes et de détournement d'un certain nombre de procédures – en matière de double demande d'asile et pour un autre motif de séjour, en matière de transfert temporaire intragroupe, en matière de reconnaissance de filiation. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'immense majorité des personnes qui utilisent ces dispositifs d'une manière conforme à la loi : le texte sécurise les procédures et dissuade les fraudeurs.
En ce qui concerne l'intégration, plusieurs amendements ont été déposés, en particulier par le groupe La République en marche, pour compléter les mesures initialement prévues, notamment à l'aune des propositions du rapport « pour une politique ambitieuse d'intégration des étrangers arrivant en France » que notre collègue Aurélien Taché a rédigé en février dernier. J'aurai l'occasion de l'exprimer lors de la discussion des amendements, mais je serai favorable à ceux qui me paraissent compléter utilement le texte.
Monsieur le ministre d'État, vous savez que des députés de plusieurs groupes ont déposé un grand nombre d'amendements sur les conditions dans lesquelles le demandeur d'asile peut être autorisé à travailler pendant le temps d'examen de son dossier. Pouvez-vous nous préciser l'état de vos réflexions à ce sujet ? Il va, en effet, être question d'intégration. Je vous proposerai d'ailleurs, chers collègues, de modifier le texte en ce sens.
Au-delà de ce texte essentiel, il conviendra que la France poursuive sa réflexion sur la définition de sa politique migratoire, l'intégration des étrangers, l'aide au développement et la nécessaire discussion européenne en matière d'asile et d'immigration. Je nous encourage tous à garder cela à l'esprit pendant la discussion.