Intervention de Marielle de Sarnez

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 21h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarielle de Sarnez, présidente et rapporteure pour avis de la commission des Affaires étrangères :

Il était bien naturel que la commission des Affaires étrangères se saisisse pour avis des questions d'asile et d'immigration. Ce sont des questions globales qui imposent, à mon sens, de couvrir un large spectre.

Monsieur le ministre d'État ayant longuement parlé de l'Europe, j'interviendrai brièvement sur ce point. En 2015, j'ai été extrêmement frappée de l'incapacité totale des chefs d'État et de Gouvernement à anticiper la crise migratoire et à la gérer. À l'époque, nous savions pourtant, depuis plusieurs années déjà, que des millions de Syriens avaient quitté leur pays et trouvé refuge au Liban, en Jordanie, en Turquie. La situation actuelle donne le sentiment que l'Union européenne est dans l'incapacité totale de gérer la question de l'asile.

La commission des Affaires étrangères formule un avis qui comporte plusieurs piliers.

La commission demande – premier pilier – qu'il y ait une harmonisation, une convergence européenne de l'asile. Aujourd'hui, il existe en Europe un « marché de l'asile ». Certains pays sont plus accueillants que d'autres ; ils traitent les demandes plus rapidement ; ils accordent des prestations élevées. Par ailleurs, le taux d'octroi du statut de réfugié varie d'un pays à l'autre. Si vous êtes Afghan et que vous venez en France, vous avez 83 % de chances d'obtenir l'asile contre 35 % si vous allez en Suède. Il faut en finir avec cette situation. Une harmonisation des critères et des pratiques est donc indispensable, de même qu'une reconnaissance mutuelle des décisions prises en Europe. L'Union européenne compte aujourd'hui 800 000 déboutés du droit d'asile, dont 500 000 en Allemagne qui réitèrent leur demande. Une reconnaissance mutuelle entre pays membres de l'Union européenne semble la voie à emprunter. J'ajoute que si nous ne parvenons pas à le faire à vingt-sept, il faudra le faire avec un effectif plus réduit dans le cadre d'une coopération renforcée. Nous trouverons bien des États qui seront d'accord pour harmoniser les règles, les prestations et les délais. Actuellement, les délais d'instruction des dossiers sont de plus d'une année en France, avec des pointes à deux ou trois ans pour certains, mais de sept mois – voire moins – dans d'autres pays, tout en préservant intégralement les droits du demandeur d'asile puisqu'aux Pays-Bas, par exemple, le demandeur est assisté d'un avocat dès la première minute.

Le corollaire de l'harmonisation et de la convergence en Europe, c'est bien évidemment aussi la maîtrise de nos frontières communes. Or, nous manquons d'une gestion opératoire efficiente et efficace de nos frontières. Je demande un contrôle des entrées et des sorties de l'espace Schengen et la mise à jour du fichier Eurodac, qui recueille les empreintes, mais qui ne suit absolument pas le parcours de la personne par la suite. Ce dispositif n'est donc pas d'une grande efficacité.

En matière d'asile, nous devons faire beaucoup mieux et beaucoup plus au plan européen. Nous devons surtout suivre les bonnes pratiques, ce qui n'est pas toujours le cas. Je ne parle même pas des différences en matière d'obligation de quitter le territoire : nous ne sommes pas dans la bonne moyenne européenne. C'est pourquoi nous avons encore du travail à accomplir.

J'en viens au deuxième pilier. Comme nous le savons tous, nous avons besoin de fonder un vrai partenariat avec les pays d'origine et de transit. Des tentatives ont eu lieu, notamment les accords de gestion concertée passés avec les pays d'origine. Mais, quand on dresse le bilan, on s'aperçoit que rien n'a fonctionné. Avec ces accords, la France s'obligeait à recevoir un certain nombre de migrants de ces pays d'origine en échange de laissez-passer consulaires. Au final, il n'y a pas eu davantage de voies légales et les laissez-passer consulaires n'ont pas été davantage respectés. Il convient donc de repenser le partenariat, ce qui passe par un dialogue continu de haut niveau. J'aimerais vous faire partager ma certitude que nous avons besoin d'afficher et d'assumer des voies légales, car c'est la meilleure façon de lutter contre l'immigration clandestine.

Je suis frappée de lire que l'immigration de travail, encore appelée immigration économique, représente 25 % du total en Europe contre 10 % en France, ce qui signifie que nous n'avons pas d'immigration de travail assumée, revendiquée. Notre rapport recommande l'ouverture du débat sur la question des déplacements économiques ainsi qu'une réflexion sur la fluidité dans la migration. Je suis convaincue qu'il faut repenser l'immigration, non comme un aller sans retour, mais comme un aller avec des retours. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de favoriser ces allers-retours grâce à la validation des acquis de la formation professionnelle pour ceux qui sont venus en France et qui repartent chez eux, car ils peuvent revenir poursuivre une formation pour trouver du travail avant de repartir à nouveau chez eux. Il faut donc une fluidité dans l'immigration et un renforcement des voies légales.

Le troisième pilier concerne la question connexe de la politique de développement. S'agissant des relations entre l'Union européenne et l'Union africaine, nous devons analyser ce qui marche et ce qui n'a pas fonctionné. Nous accusons un déficit constant en matière de commerce extérieur. Au fond, nous prenons les richesses des Africains, ils ne les transforment pas chez eux et nous enlevons des possibilités de croissance à tout un continent malgré ses besoins. Nous devons donc repenser les relations commerciales entre l'Europe et l'Afrique en matière de développement. Un pays qui se développe connaît toujours, dans un premier temps, une poussée migratoire car davantage de personnes ont les moyens de partir. C'est lorsque le développement et la gouvernance sont stabilisés que les populations peuvent retourner dans leur pays.

La Banque mondiale explique que les transferts de fonds des migrants représentent aujourd'hui trois fois le montant de l'aide au développement. N'espérons pas régler les questions de développement et de migration avec les pays d'origine ou les pays de transit si nous ne nous penchons pas sur la question des transferts financiers.

Monsieur le ministre d'État, tout en étant favorable au dispositif de « passeport talent » du projet de loi, je pense important d'intégrer dans notre réflexion la question de la fuite des cerveaux : on ne peut priver ces pays de tous ceux qui ont un haut niveau d'études. Peut-être faut-il repenser le logiciel en lien avec la migration économique dont je parlais.

L'aide publique française au développement n'est pas lisible, pas hiérarchisée. À trop servir de missions et de pays, on ne se concentre pas sur ceux qui ont vraiment besoin d'une aide, comme les pays du Sahel et de la Méditerranée. Notre aide au développement doit prendre la forme de dons plutôt que de prêts aux pays émergents ; surtout, elle doit être davantage bilatérale. Aujourd'hui, la France verse de l'argent à des organisations multilatérales qui en font un usage libre. Nous devons retrouver un levier politique ; nous devons peser à nouveau dans la question du développement ; il faut que notre aide soit majoritairement bilatérale. S'agissant par exemple de la crise syrienne, je rappelle que la Grande-Bretagne a dû donner dix ou vingt fois plus que la France aux réfugiés dans les pays voisins de la Syrie.

En conclusion, je ferai trois recommandations.

Premièrement, un pacte pour l'immigration et un pacte pour l'asile sont en cours d'élaboration à l'Organisation des Nations unies. Évidemment, ils ne sont pas contraignants, mais il est très important que la France fasse entendre ses souhaits et ses exigences.

Deuxièmement, le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne devra consacrer un chapitre aux dépenses en matière d'asile, de migrations, de frontières et de développement. Pour l'heure, ce n'est pas le cas. Nous devons peut-être inverser nos priorités.

Enfin, un débat annuel me paraît nécessaire au Parlement afin qu'il se penche avec lucidité sur la réalité des faits et des chiffres, qu'il regarde si les engagements sont tenus, comment ils sont tenus et, le cas échéant, pourquoi ils ne sont pas tenus. Cela permettrait d'élever le débat sur cette question.

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