Je n'irai pas par quatre chemins : nous jugeons ce projet de loi inutile, contreproductif et dangereux. Inutiles, l'allongement de la durée de rétention et la suspicion généralisée portée sur les parents étrangers ; mal pensée et donc inutile, l'orientation directive sans garantie d'hébergement. Contreproductives, la réduction des délais de recours devant la CNDA et la généralisation des vidéo-audiences. Dangereuse et contreproductive, la réduction du délai de dépôt de la demande d'asile.
Désastreuse est en fait cette politique qui, au gré des articles, fait le tri entre bons et mauvais migrants, entre exilés à accueillir et exilés à chasser rapidement… La liste est longue ; elle ne sera pas épuisée ce soir. Elle est d'une grande violence pour les personnes concernées, les migrants et les migrantes, mais aussi pour ceux qui les soutiennent, les citoyens solidaires. C'est pourquoi nous souhaitons que nombreux soient ceux qui se saisiront de ce débat, dont nous espérons qu'il sera mené avec sérieux et sans caricature.
Il faut tout de même vous reconnaître l'habileté d'avoir, avec ce projet de loi, vidé totalement l'asile de son sens, et ce sans modifier d'un iota les textes qui proclament solennellement notre devoir de protection des persécutés. Pour traiter d'un sujet majeur, les migrations humaines dans une époque mondialisée, votre projet de loi use d'un outil mesquin : le rabot procédural. Vous déconstruisez les garanties procédurales et matérielles qui accompagnent ce qu'est une vraie demande d'asile et, tel un alchimiste, vous transformez des droits humains garantis en molle déclaration d'intention.
Il faut du temps au demandeur d'asile pour confier à des inconnus, dans un pays où tout lui est étranger, les souffrances endurées. Faut-il en plus imaginer qu'il doive le faire face à une caméra, devant laquelle il lui faudra exhiber les traces corporelles des tortures subies ? Pour votre Gouvernement, le droit d'asile semble n'être qu'un concept désincarné qui met en concurrence ceux qui demandent cette protection dont l'État français ne cesse pourtant de proclamer fièrement qu'il est le garant.
L'inutilité de votre loi, sa contre-productivité, la violence qu'elle suscite ne sont que le reflet de la posture dogmatique qui sous-tend l'ensemble des projets de loi proposés depuis le début de cette législature : pour lutter contre la pauvreté et la précarité, vous luttez contre les pauvres et les précaires. Mes propos peuvent être jugés polémiques, ils le sont. Et je les prononce avec gravité car le sujet est grave, et les conséquences des mesures que vous nous proposez plus graves encore.
Sous couvert d'ajustements techniques, ce projet vise à renforcer le contrôle, le rejet aux frontières. Il propose de l'assistance une conception a minima sans égard pour les victimes : Karim Ibrahim, 31 ans, réfugié traumatisé par ce qu'il avait laissé derrière lui, mort sur une bouche d'aération à la Porte de la Chapelle à Paris, le 8 février ; Malik Nurulain, dit Nour, mineur isolé, laissé sans le suivi psychologique dont il avait urgemment besoin, mort à Paris le 14 février ; Beauty enfin, dont on ne connaît pas le nom de famille, enceinte et malade, qui souhaitait rejoindre sa soeur pour finir sa grossesse mais que les gendarmes ont refoulée en pleine nuit à la frontière italienne alors qu'elle peinait à respirer.
Le groupe La France insoumise persistera à défendre tout au long de ces débats l'idée qu'une politique migratoire raisonnée, raisonnable et réaliste, juste et humaniste, est possible. Cette politique offre à ceux qui en ont besoin un accueil inconditionnel qui, au lieu d'étouffer les élans de solidarité multiples qui font l'honneur de notre République, les soutienne. Cette politique ne traite pas les mineurs comme des délinquants en puissance et n'organise pas une justice parallèle pour les personnes jugées indésirables. Cette politique ne s'enferme pas dans le cycle infernal des réformes permanentes du droit des étrangers pour aboutir au bout du compte à une organisation illisible qui crée davantage de problèmes qu'elle n'en règle. Cette politique, enfin, traite les êtres humains avec dignité.
En temps de crise, le sage construit des ponts, là où l'imprudent érige des murs. Nous continuerons à construire ces ponts ; mais vous, persisterez-vous à ériger des murs ? À cette question, nous espérons que la majorité répondra par la négative et rejettera ce projet de loi.