Intervention de Edouard Philippe

Séance en hémicycle du lundi 16 avril 2018 à 17h00
Déclaration du gouvernement sur l'intervention des forcées armées françaises en syrie et débat sur cette déclaration.

Edouard Philippe, Premier ministre :

Nous voulons venir à bout du mouvement terroriste qui a organisé sur notre sol les attentats meurtriers qui ont frappé tant de familles françaises dans leur chair et, au-delà, tous les esprits.

Mais notre action politique ou militaire au Levant serait parfaitement vaine, notre politique étrangère tout entière sans objet, si une arme de terreur, bannie par la communauté internationale depuis près d'un siècle, entretenait la barbarie contre les populations civiles, promouvait la haine, minait toute possibilité de règlement politique et, en amont, contredisait toutes les règles que se donnent les humains. Trouver une solution politique à un conflit, faire que la guerre débouche sur la paix, c'est possible. Mais aucune solution politique ne sera trouvée tant que l'utilisation de l'arme chimique restera impunie. Les populations civiles paient le coût de l'inaction. Notre sécurité elle-même, en France et en Europe, est mise en cause.

C'est bien la raison pour laquelle le Président de la République avait fixé clairement, dès le début de son mandat, une ligne rouge.

L'arme chimique est interdite dans les opérations de guerre depuis la signature du protocole de Genève en 1925, il y a près d'un siècle ; la Syrie a ratifié ce protocole en 1968, il y a cinquante ans. Depuis la bataille d'Ypres, en 1915, la France a toujours été à la pointe du combat contre les armes chimiques. Après le protocole de Genève, c'est notre pays qui a relancé la négociation sur le sujet, en 1989, à l'initiative du président François Mitterrand, et la convention qui interdit la possession d'armes chimiques a finalement été signée à Paris, en 1993. Elle est aujourd'hui la loi commune de 192 États.

La communauté des États s'est accordée pour bannir les armes chimiques parce qu'elles sont systématiquement l'instrument d'un crime de guerre : sous forme gazeuse ou liquide, elles se répandent au-delà de la zone des combats, persistent après le temps des combats et touchent indistinctement les combattants et les civils. Il ne s'agit plus d'une guerre sale ou d'une guerre déloyale, mais de scènes apocalyptiques que le régime syrien a réactivées.

Avec les armes chimiques, c'est la raison et la civilisation qui vacillent durablement. J'ai eu l'occasion de le dire en réponse à un député lors d'une séance de questions au Gouvernement : l'utilisation de l'arme chimique dit quelque chose de celui qui y a recours. Et notre réaction à cette utilisation, mesdames, messieurs les députés, dit quelque chose de nous.

En mai 2017, le Président de la République avait donc très précisément défini une ligne rouge : une attaque chimique avérée, attribuable aux forces armées syriennes, avec des conséquences létales, entraînerait une riposte immédiate. Cela avait été dit clairement, d'ailleurs en présence du président de la Fédération de Russie, lequel avait ensuite approuvé la formulation du Président de la République.

Le 7 avril dernier, cette ligne rouge a été franchie. Les renseignements rassemblés par la France et ses alliés attestent de la réalité de cette attaque chimique, que vient également de confirmer l'Organisation mondiale de la santé. Ces renseignements, collectés par nos services et par nos alliés, analysés par nos équipes médicales, font état de nombreuses victimes et démontrent la responsabilité des forces armées syriennes dans cette opération.

C'est malheureusement une tactique déjà éprouvée qui s'est exercée à Douma. Le schéma appliqué est en effet très similaire à celui qui avait été suivi à Alep. La stratégie opérationnelle répond à un objectif clair : semer la terreur dans les populations civiles et accélérer les dernières étapes du combat en délogeant les groupes armés par tous les moyens. Il s'agit donc d'une stratégie de terreur délibérée et répétée.

Le régime n'en est pas à sa première utilisation des armes chimiques. En 2013 et en 2017, la France a déclassifié des renseignements qui démontrent la responsabilité de Damas dans plusieurs attaques chimiques avérées. Lors de l'attaque de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, notre pays a publié sa propre évaluation qui prouve la responsabilité du régime, et les mécanismes internationaux, sous l'égide de l'Organisation des Nations unies et de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques – OIAC – , ont confirmé, à plusieurs reprises, nos éléments. Dans un rapport publié le 6 septembre 2017, le comité d'enquête de l'ONU a, lui aussi, établi la responsabilité des forces gouvernementales syriennes dans les attaques de Khan Cheikhoun.

Avant d'avoir recours à la force, nous sommes allés au bout de la démarche politique et diplomatique pour faire entendre raison à Damas. La France est en effet profondément attachée au multilatéralisme parce que la voie collective – l'histoire nous en a convaincus – est la seule manière de maintenir une paix durable. Ces dernières années, notre pays et ses partenaires ont donc multiplié les initiatives diplomatiques au Conseil de sécurité, à l'Assemblée générale des Nations unies, au Conseil des droits de l'homme, à l'OIAC. Mais la France veut un multilatéralisme efficace. Or en l'espèce, l'attitude d'obstruction d'un État n'a pas permis à cette démarche collective d'aboutir. La Russie a posé douze veto sur le dossier syrien, dont six sur le seul dossier chimique – le plus récent, mardi dernier, s'opposait à un projet prévoyant le rétablissement du mécanisme indépendant d'enquête et d'attribution des responsabilités en cas d'attaque chimique en Syrie.

En vertu du chapitre VII de la Charte, qui autorise l'emploi de la force si nécessaire, le Conseil de sécurité s'était pourtant déjà engagé à adopter des mesures coercitives, notamment militaires, face aux violations multiples et répétées, par le régime, du droit international et de ses propres engagements. Je voudrais notamment vous rappeler les termes de la résolution 2118, votée à l'unanimité le 27 septembre 2013, à la suite, déjà, des attaques chimiques syriennes du mois précédent : le Conseil de sécurité « décide, qu'en cas de non-respect de la présente résolution, y compris de transfert non autorisé ou d'emploi d'armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il imposera des mesures en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies ».

Nous avons donc pris nos responsabilités ; et pour le futur, pour les jours, les semaines et les mois qui viennent, notre ligne politique reste claire et ne change pas. Notre riposte était amplement justifiée dans ses causes. Dans ses modalités, elle a été soigneusement proportionnée : des objectifs exclusivement liés au programme chimique, des objectifs exclusivement syriens. Elle a été ciblée pour éviter les dommages aux civils, et conçue de façon à prévenir toute escalade. Nous avons ainsi envoyé un message ferme. Un message clair. Un message fort.

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