En ce début de XXIe siècle, abolir les frontières ou construire des murs hermétiques sont les deux périls qui nous guettent, ici et ailleurs. Ne prenons pas le risque de « se perdre par ségrégation murée dans le particulier, ou par dilution dans l'universel », disait Aimé Césaire, dont la sagesse est à propos en ce 17 avril, jour du dixième anniversaire de sa disparition.
C'est bien de la façon dont nous définissons et gérons nos frontières qu'il s'agit dans ce projet de loi.
À notre sens, les portes doivent être grandes ouvertes lorsqu'il s'agit de l'asile politique. Il y va de notre dignité. Notre tradition doit être restaurée car le détournement massif des procédures concernant l'asile nous met au défi. En effet, l'élargissement permanent du périmètre d'appréhension de l'asile ne fait qu'entraîner sa dilution dans le grand maelström des droits individuels et, in fine, dans une bureaucratisation poussée à l'extrême.
Ce projet de loi est un projet de gestion, dirons-nous, mais il n'apporte pas de solution décisive pour restaurer l'exercice d'un droit d'asile digne de notre exigence morale, car il ne dissipe pas la confusion entre ce qui relève de l'asile, d'une part, et des choix de vie des individus, d'autre part.
Il en va de même de ce qui a trait à l'intégration, laquelle, compte tenu de l'ampleur des défis qui la caractérisent, ne saurait être traitée à l'occasion de quelques articles d'un projet de loi ordinaire. En ce qui concerne l'immigration, sans vouloir, monsieur le ministre d'État, minimiser votre motivation ni vos efforts, dont nous avons pu constater en commission des lois qu'ils n'étaient pas toujours vains, permettez-moi de vous dire que l'adoption de votre projet de loi en appellera d'autres. En effet, les défis migratoires sont devant nous.
À cet égard, nous pouvons déjà constater ce qui se profile à l'horizon, en France et aux frontières extérieures de l'Union européenne, en particulier à Mayotte et en Guyane. À Mayotte, nous sommes submergés. Nous comptons environ un tiers de Français, un tiers de Comoriens en situation régulière et un tiers de clandestins. Parmi les enfants nés à Mayotte, 74 % le sont de mères étrangères. L'État est en échec partout : dans sa politique éducative, comme dans ses politiques de santé, de sécurité et d'aménagement du territoire. Les Français de Mayotte sont déjà des étrangers chez eux et, après avoir vu leur liberté réduite par l'insécurité, ils sont condamnés à demeurer ad vitam aeternam les laissés-pour-compte de l'égalité républicaine. C'est ce qui explique l'actuelle et profonde crise que traverse Mayotte.
L'Afrique, monsieur le ministre d'État, compte aujourd'hui 1,2 milliard d'habitants, et elle en comptera le double demain. La pression migratoire ira donc croissant. Si la France n'est pas en mesure de faire face à la pression migratoire de moins de 1 million de Comoriens vers Mayotte, alors que les deux îles ne sont séparées que par 70 kilomètres de pleine mer, comment l'Europe pourrait-elle, demain, faire face à la pression migratoire de 2,5 milliards de personnes, s'exerçant sur des milliers de kilomètres de côtes, et alors que la distance entre les deux continents n'est que de 14 kilomètres à Gibraltar et de 70 kilomètres avec le territoire italien de Pantelleria ?
Monsieur le ministre d'État, Mayotte est un test pour la France et pour l'Europe, car on y voit ce qui pourrait se produire en métropole. La situation de Mayotte est la conséquence d'une politique migratoire rendue inefficiente par manque de volonté, par aveuglement, par angélisme et par manque de moyens et qui souffre en outre, depuis 2012, du développement d'une maladie auto-immune – je veux parler de l'affaiblissement de nos défenses par un appareil diplomatique qui, clairement, se retourne contre nous, à tout le moins à Mayotte.
Mayotte est bien un test pour la France et pour l'Europe, une fenêtre sur un avenir possible, pour le meilleur ou pour le pire. C'est pourquoi, monsieur le ministre d'État, je vous demande d'enrichir votre projet en l'adaptant à la situation de Mayotte. Dotez l'État et la justice de solutions innovantes de maîtrise des flux migratoires ! Ces solutions résident dans la mise en oeuvre du droit d'adaptation qui nous est reconnu par l'article 73 de la Constitution.
Aussi, je vous proposerai un certain nombre d'amendements, cosignés par des collègues de différents groupes politiques, y compris de la majorité, tendant à modifier le code pénal, le code civil, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ils concernent : l'application à Mayotte de certaines dispositions pénales déjà en vigueur en métropole ; l'application du droit commun par la suppression des titres de séjour d'exception délivrés à Mayotte, qui condamnent les détenteurs à y stationner ; la lutte contre le détournement massif du droit de la nationalité et du regroupement familial à Mayotte ; l'éloignement, enfin, des fauteurs de trouble à l'ordre public.
J'espère, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, que vous examinerez ces propositions avec la ferme volonté de contribuer à résoudre les difficultés du département le plus pauvre de France. Acceptez que Mayotte use du droit d'adaptation et d'expérimentation que lui reconnaît la Constitution. Vos votes seront appréhendés comme un véritable test de sincérité quant aux engagements pris par le Gouvernement vis-à-vis de nos compatriotes de Mayotte.
Permettez-moi de conclure en français de Mayotte : « Kukuyi zidjeni kaliyihe mjini hawatru », ce qui signifie : « Chacun doit être à sa place. » Restons maîtres de nos frontières, c'est la meilleure façon d'honorer notre devoir d'humanité et de solidarité internationale.