Il me sera difficile de m'en tenir au temps imparti, tant le sujet est important pour les salariés et les entreprises.
Dans la mesure où beaucoup de réformes sont intervenues sur ces thèmes au cours des années 2013, 2015 et 2016, la CFDT aurait préféré qu'un temps plus long ait permis à la fois la mise en oeuvre de celles-ci, et leur évaluation.
La CFDT prend néanmoins acte de cet état de fait et respecte la volonté politique qui sous-tend cette nouvelle réforme. La situation de l'emploi, comme l'attentisme d'une partie du patronat dans la mise en oeuvre de certaines réformes – nous y reviendrons lors de l'évocation de la base de données unique, qui constitue le répertoire des informations dues aux représentants du personnel –, nous amènent à considérer que le statu quo n'est pas de mise. Il faut donc aller plus loin dans ce que la CFDT attend d'une nouvelle réforme : un nouveau partage des responsabilités et de l'information entre les représentants des salariés et ceux des entreprises.
C'est donc à l'aune de ces deux objectifs centraux que nous apprécierons le projet de loi d'habilitation ainsi que les ordonnances qui seront prises. Ces deux orientations concernent le rôle de la branche, qui doit rester le régulateur de la concurrence économique et sociale, et le fait que la décentralisation de la négociation vers l'entreprise – démarche que la CFDT a toujours soutenue, non pas seulement en 2016, à l'occasion de la loi « travail », mais depuis 1968 et la création de la section syndicale d'entreprise – puisse permettre la combinaison de l'agilité des entreprises et de la mise en oeuvre effective et concrète des droits des salariés. La condition en est que ce soit la démocratie représentative qui mette en oeuvre cette décentralisation ; ce qui implique le renforcement de la reconnaissance du fait syndical majoritaire, unique garant de cet équilibre.
La négociation en cours n'est pas encore parvenue à son terme, aussi resterons-nous imprécis sur certains points qui n'ont pas encore été abordés, et pour lesquels nous attendons la position du Gouvernement. Nous approuvons donc la méthode et l'intensité de la concertation, mais, tant que tous les arbitrages ne seront pas rendus, la CFDT demeurera vigilante jusqu'au terme du processus législatif qui transposera les ordonnances.
Les trois premiers articles du projet de loi d'habilitation constituent le coeur de ce qui va changer, pour les salariés particulièrement.
L'article 1er porte sur l'articulation entre la négociation de branche et la négociation d'entreprise. La CFDT est globalement en accord avec les principes énoncés au sujet de cette articulation. Nous avons soutenu la conception de l'entreprise comme lieu d'arbitrage pertinent entre le besoin d'adaptation pour l'agilité des entreprises, qui à nos yeux n'appartiennent pas uniquement aux employeurs, mais aussi à leurs salariés, et la matérialisation de droits concrets et effectifs pour les salariés – sous certaines conditions, qui relèvent de l'article 2.
Nous sommes assez favorables aussi à l'articulation proposée entre l'accord et le contrat de travail. En effet, nous considérons que le contrat de travail constitue un contrat d'adhésion, pour lequel le salarié ne dispose, dans la plupart des cas, que d'un faible pouvoir de négociation. Aussi l'accord d'entreprise nous paraît-il le plus à même de garantir de bons arbitrages, conformes à l'intérêt général. Nous avons d'ailleurs soutenu un certain nombre de démarches, que l'on pourrait aujourd'hui qualifier d'expérimentales, portant sur la négociation des trente-cinq heures, ou sur les accords de maintien dans l'emploi ou de préservation et de développement de l'emploi. Cela nous a permis d'en constater le bon fonctionnement. Aussi l'harmonisation des divers dispositifs qui est proposée ne nous pose-t-elle pas problème.
Nous sommes encore d'accord pour que le contrôle du juge, qui doit demeurer, ne permette pas à ce dernier de modifier l'arbitrage rendu par la négociation des partenaires dans l'entreprise, et qu'il ne puisse pas choisir de déclarer valide ou non telle ou telle de ses stipulations.
Le 2° de cet article 1er a retenu notre attention. Il n'est pas possible pour nous d'envisager des négociations sans l'intermédiation d'une organisation syndicale et du délégué syndical. Il s'agit là d'une question de rapport de force dans la négociation, car c'est le fait d'avoir reçu mandat qui protège le salarié. Bien plus, c'est la question de la démocratie qui est ici posée, car la démocratie directe recèle ses propres dangers, particulièrement en l'absence d'une intermédiation syndicale synonyme d'accompagnement, d'apport de compétences, de connaissance des sujets. En outre, le risque existe de renvoyer in fine à la décision unilatérale de l'employeur, puisque le salarié sans mandat n'a pas la possibilité de s'émanciper du lien de subordination envers ce dernier.
Sous certaines conditions, la CFDT n'est pas opposée par principe au référendum d'entreprise, évoqué au b de l'article 1er, et avait même soutenu cette disposition dans la précédente loi « travail ». Lorsqu'un accord a été négocié, qu'il a été signé par un certain nombre d'organisations syndicales, mais que celles-ci ne sont pas majoritaires, elles peuvent soumettre cet accord au référendum. Nous souhaitons le maintien de ce dispositif, et, s'il devait s'agir de l'élargir, il ne saurait être question à nos yeux que l'employeur y recoure directement auprès des salariés : il faudrait préalablement, comme c'est aujourd'hui le cas, la négociation d'un accord signé par une partie des organisations syndicales. C'est le seul cas dans lequel nous pourrions envisager que l'employeur puisse saisir les salariés à travers un référendum.
Le c de l'article 1er attire plus vivement encore notre attention, voire notre inquiétude, puisqu'il y est question d'anticiper le passage aux accords majoritaires. Cela peut sembler constituer un élément indispensable, le rôle de la négociation d'entreprise ne pouvant être accru que moyennant l'accélération de ce qui était prévu pour le passage aux accords majoritaires dans les entreprises. En revanche, lorsque le changement des règles de validation des accords, particulièrement des règles de calcul, est évoqué, j'indique fermement qu'il s'agit pour nous d'une ligne rouge. Nous souhaitons d'ailleurs que la phrase concernée soit retirée afin qu'il ne puisse y avoir, de part et d'autre, d'alertes injustifiées ; ces règles ont d'ailleurs déjà évolué en 2016.
Depuis 2008, nous avons travaillé entre organisations syndicales, ainsi qu'avec les pouvoirs publics, afin de renforcer le pouvoir de la négociation. Changer les modalités de validation des accords en imaginant un système où, par exemple, ceux qui ne s'opposent pas à un accord seraient comptabilisés ou considérés comme des abstentionnistes, conduirait à permettre la validation d'accords avec une faible majorité d'organisations qui s'engagent. Ce serait exactement le contraire de tout ce que nous avons voulu faire pour renforcer la capacité d'engagement des représentants du personnel. Bien plus, cela ferait prendre un risque à la démocratie sociale en confortant ceux qui ne s'engagent pas et se lavent les mains de la négociation, et renverrait la décision, une fois de plus, au pouvoir unilatéral de l'employeur, qui n'aurait pas à se soucier de savoir si la majorité des salariés représentés par leurs organisations syndicales désirent s'engager dans un accord.
L'article 2 concerne la fusion des instances. Nous partageons l'idée que chaque entreprise doit définir par la négociation la façon la plus pertinente dont les salariés doivent être représentés. En revanche, nous sommes très réservés quant à la fusion a priori des instances, et préférerions encore le statu quo. En tout état de cause, si une telle instance unique, regroupant aussi le délégué syndical, devait voir le jour, nous souhaiterions que cela s'accompagne dans tous les cas d'un renforcement des pouvoirs de cette instance unique. L'ensemble des prérogatives des acteurs ainsi rassemblés devrait être maintenu, y compris, bien entendu, la capacité d'ester en justice, et leur accès à l'information et à l'expertise, à travers la base de données unique, etc., devrait être accru. Il faudrait encore envisager des champs de codécision avec l'employeur concernant, par exemple, la stratégie de formation ou la rémunération des dirigeants.
A l'article 3, la question de l'application d'un barème aux dommages et intérêts décidés par les prud'hommes nous cause la plus grande inquiétude et fait l'objet de notre opposition. En revanche, nous souhaiterions voir figurer dans le projet de loi d'habilitation la possibilité d'augmenter les indemnités légales de licenciement, car notre pays est celui où elles sont les plus faibles. Le dispositif serait ainsi équitable, et éviterait dans bien des cas le recours au juge, ce qui semble être l'objectif recherché ici et permettrait d'indemniser justement beaucoup plus de monde.