Intervention de Catherine Perret

Réunion du mercredi 5 juillet 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT :

En préambule de notre intervention sur le fond du projet de loi d'habilitation, je voudrais revenir sur la méthode employée par le Président de la République.

Choisir de passer par des ordonnances, au beau milieu de la période estivale, c'est être bien peu sûr du bien-fondé de cette réforme. C'est aussi être bien peu respectueux de la démocratie sociale et de ses acteurs majeurs, que sont les organisations représentatives de salariés.

Nous voulons rappeler aussi que l'article 1er du code du travail, issu de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite « loi Larcher », ainsi que d'une négociation interprofessionnelle, prévoit la nécessité d'une véritable négociation ou concertation avec l'ensemble des organisations autour d'une même table. La CGT, avec d'autres organisations syndicales ici présentes, demande la tenue d'une multilatérale réunissant l'ensemble des organisations syndicales et patronales sous l'égide de la ministre du travail.

La méthode choisie revient à mépriser également la démocratie politique et le travail des élus de la nation, que vous êtes, au sein du Parlement. Nous ne pouvons que déplorer l'absence de débats approfondis, le délai extrêmement réduit — deux jours, me semble-t-il — pour proposer des amendements en commission des affaires sociales et le recours à la procédure accélérée pour le vote du projet de loi d'habilitation ; cela met en question la conception du partage des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.

Pour la CGT, c'est déjà suffisant, sans parler encore du contenu de ce projet, pour que vous refusiez, par le vote, d'être dessaisis de pouvoir agir sur une réforme aussi structurante pour le monde du travail.

Vous me permettrez d'avoir aussi un mot pour les salariés de la direction générale du travail (DGT) et de la direction générale de l'emploi, de la formation professionnelle (DGEFP), ainsi que les assistants parlementaires à qui le Gouvernement impose l'écriture d'ordonnances et le travail parlementaire à marche forcée, au mépris de leurs conditions de travail.

Six réunions d'une heure par syndicat — qui plus est, sans aucun texte assumé par le Gouvernement — ne font pas une concertation. Pour la CGT, c'est six heures de rencontre pour démanteler cent vingt ans de droit du travail, conquis par les luttes sociales : ce n'est pas acceptable.

Le Président de la République, le Premier ministre et la ministre du travail communiquent autour de la prétendue prise en compte de propositions émises par les organisations syndicales. En ce qui nous concerne, nous avons remis une quinzaine de pages de propositions concernant la question du travail, du droit du travail, à ces trois interlocuteurs : aucune de ces propositions n'est aujourd'hui en discussion. Je remettrai par ailleurs un dossier à la présidente de votre commission ainsi qu'à chacun de vos groupes politiques.

Les sondages récents ont montré que les salariés sont très interrogatifs au sujet de ce projet de loi d'habilitation réformant le droit du travail.

Ainsi, 67 % des Français appartenant aux classes moyennes et 72 % de ceux appartenant aux classes populaires sont défavorables au projet de loi, 68 % des sondés pensent que la loi dite « Macron » bénéficiera avant tout aux entreprises et aux actionnaires, et 61 % rejettent le plafonnement des indemnités prud'homales. D'autres sondages publiés ces jours derniers sont plus qu'inquiétants et montrent qu'il est nécessaire de prendre du temps afin de débattre ensemble de ces évolutions concernant la vie quotidienne et la vie au travail de millions de salariés.

Toutes les études montrent qu'il n'y a pas de lien entre la protection de l'emploi et la montée ou la baisse du chômage ; l'ensemble des réformes précédentes, dont les dernières remontent à l'année passée, et non d'ailleurs jamais été évaluées, n'ont pas résolu le problème du chômage de masse en France. Toutes les études conduites par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l'Organisation internationale du travail (OIT), la Banque mondiale et l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) démontrent qu'il n'y a pas de lien entre l'abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l'emploi et du chômage dans notre pays. C'est également vrai à l'échelle européenne, puisque tous les pays européens ayant conduit le même type de réforme ont échoué dans le domaine de la vivacité de la négociation dans l'entreprise comme dans celui de la croissance économique.

Alors, quel est le but poursuivi ?

Depuis la déclaration de politique générale prononcée hier par le Premier ministre, les choses sont encore plus claires : il s'agit de répondre à une volonté de politique d'austérité soutenue par l'Union européenne. Pour la CGT, cette réforme est destinée à brouiller les pistes et à faire en sorte que les salariés de ce pays n'aient plus aucun repère en matière de hiérarchie des normes.

Auparavant, la hiérarchie des normes était simple : la loi fixait les règles générales pour tous les salariés, un accord de branche ne pouvait que les améliorer, et un accord d'entreprise ne pouvait lui-même qu'améliorer les dispositions prévues par l'accord de branche. C'est ce qui existait quand il y avait une hiérarchie claire entre la loi, les accords de branches et les accords d'entreprises. La négociation collective avait pour unique but de donner plus de droits aux salariés. Depuis les lois Auroux, comme vous le savez, ce principe n'a cessé de subir dérogation sur dérogation.

Aujourd'hui, aux yeux de la CGT, le Gouvernement veut finir le travail. Et nous attirons votre attention sur la remise en cause des conventions collectives. Avec ce projet gouvernemental, tous les droits garantis par les conventions collectives de branches pourraient remis en cause, voire disparaître. Ce sont, pour le quotidien des Français, des éléments aussi importants que l'octroi des primes d'ancienneté, les congés, les vacances, le maintien de l'intégralité du salaire pendant les arrêts de maladie, les indemnités conventionnelles de départ à la retraite ou de licenciement.

Les mécanismes de négociation sont dénaturés. En dehors des cinq ou six thèmes demeurant au niveau de la branche – l'arbitrage n'a pas encore été rendu sur la question de la pénibilité, qui pourrait être décentralisée – et sur lesquels l'accord d'entreprise ne peut faire moins bien que l'accord de branche, tous les autres sujets pourraient être tirés vers le bas, parce que renvoyés à l'accord d'entreprise.

La question de la pénibilité reste en suspens, et la CGT est très attachée, et a demandé dès sa première rencontre avec le président Macron, l'ouverture d'une négociation sociale autour du travail, de son organisation, de la question du « mal-travail », dont le coût s'élève aujourd'hui à 4 % du produit intérieur brut (PIB). Le mal-travail dans notre pays mérite un débat national.

C'est donc bien une logique de mise en concurrence des salariés pour faire baisser ce que le patronat qualifie de « coût du travail », qui est en marche.

C'est l'affaiblissement de la loi. De nouveaux thèmes, aujourd'hui exclusivement régis par la loi, pourraient être renvoyés à la négociation de branche, tels les motifs de licenciement, qui pourraient par exemple s'étendre, pour donner des exemples très concrets, aux fautes anodines, au comportement du salarié dans l'entreprise, au chiffre d'affaires, jugé trop faible, d'un magasin, ou encore aux cadences et à la production sur une chaîne, jugée insuffisante. Si de tels motifs étaient invoqués, le salarié ne pourrait plus faire valoir ses droits.

Cela pourrait aussi s'appliquer aux cas de recours au CDD. Ainsi, si cette loi était votée en l'état, on pourrait envisager demain une embauche en CDD pour effectuer des travaux dangereux, sans aucune responsabilité sociale de l'entreprise. On pourrait même envisager de recourir au CDD afin de porter atteinte au droit – constitutionnel – de grève, ou de revoir les règles relatives aux périodes d'essai et de préavis pour les contrats courts.

Ce projet de loi représente un grand danger pour le contrat de travail lui-même. Le contrat de travail de chaque salarié ne pourrait plus résister à des règles régressives prévues par l'accord d'entreprise. Si celui-ci prévoit une clause de mobilité ou une baisse des salaires, concernée par les négociations précédentes sur les lois de sécurisation de l'emploi, ce que l'on appelle les accords de compétitivité, et que le salarié refuse, il pourra être purement et simplement licencié.

Je souhaite par ailleurs appeler l'attention de votre commission sur les risques encourus en matière de fusion des instances, sur la place du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), qui verrait réduites ses prérogatives de protection de la santé et de la sécurité des salariés, ainsi que sur les indemnités prud'homales. Soumettre ces indemnités à un barème revient ni plus ni moins qu'à donner à l'employeur la possibilité de calculer ce que lui coûtera le fait de se séparer illégalement d'un salarié – car il est bien question de dommages et intérêts versés à l'occasion de licenciements illégaux.

Tout cela est inadmissible.

La CGT, à l'inverse, a formulé des propositions créant le code du travail du XXIe siècle. Pendant plus de six mois, nous avons travaillé avec des universitaires, autour du Groupe de recherche pour un autre code du travail (GR-PACT), à la réalisation d'un nouveau code, plus protecteur. Nous vous invitons à prendre connaissance de ces propositions, car la CGT n'est en aucune façon pour l'immobilisme. Au contraire, nous voulons conduire avec vous une réforme qui soit synonyme de plus de protection, de plus de droits pour tous les travailleurs, y compris ceux qui ne bénéficient pas aujourd'hui d'un contrat de travail.

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