Intervention de Gilles Lecuelle

Réunion du mercredi 5 juillet 2017 à 9h30
Commission des affaires sociales

Gilles Lecuelle, secrétaire général de la CFE-CGC :

La CFE-CGC s'inscrit dans une démarche de progrès social et économique : c'est la volonté de notre organisation de toujours aller de l'avant.

Michel Beaugas a déjà mentionné les freins à l'embauche déplorés par les directions des entreprises. L'examen des carnets de commandes et la difficulté de recruter nous confortent dans l'idée que les parties économique et sociale de l'entreprise sont l'avers et le revers d'une même pièce et doivent donc être appréhendées de manière simultanée.

Les changements législatifs réguliers concernant le code du travail posent de nombreux problèmes aux entreprises. Aussi cette nouvelle loi créera-t-elle des difficultés supplémentaires.

Nous concevons l'entreprise telle un bien commun et le salarié en fait partie intégrante : c'est lui qui crée la richesse, la valeur de l'entreprise. Il importe par conséquent de prendre en considération sa vision de l'entreprise.

Une des dispositions du projet de loi concerne l'évolution de la gouvernance de l'entreprise, gouvernance supposée permettre la construction du monde meilleur que nous souhaitons pour nos enfants. Il s'agit à cet effet d'intégrer aux choix stratégiques de l'entreprise une expertise nouvelle qui fait défaut aux multinationales, aux grands groupes au sein desquels l'« actionnaire financier » a pris un pouvoir beaucoup trop important ; aussi notre volonté est-elle de rétablir un équilibre bien plus fondé sur le moyen terme et le long terme. Pour cela, et nous y travaillerons, les acteurs de l'entreprise doivent être capables d'exprimer leur volonté et, en particulier, les salariés en leur qualité d'experts.

Cela signifie que l'entreprise n'est peut-être pas mûre pour accepter la plupart des changements proposés. J'entends ainsi revenir sur le danger – pour l'entreprise aussi bien que pour le salarié – présenté par plusieurs articles du présent projet de loi d'habilitation.

Le premier danger concerne le renvoi impératif de certaines négociations à l'entreprise, un accord d'entreprise prévalant dans ce cas sur un accord de branche et donc sur la loi. Ainsi, le renvoi au niveau de l'entreprise de la négociation sur la rémunération – primes d'ancienneté, treizième mois…– présente selon nous un risque important de dumping social et économique pour le salarié. Les PME sous-traitantes de grandes entreprises seront en effet, dans cette hypothèse, soumises à de très fortes pressions pour, encore une fois, baisser leurs coûts, à savoir, puisque le texte leur en donnera la possibilité, baisser la rémunération des salariés qui consommeront dès lors des biens à bas coût qui, on le sait, ne sont pas produits sur le territoire français. Outre leur impact économique général, les dispositions prévues auront donc un impact très important sur la vie des PME ainsi mises en difficulté par ce dumping. C'est pourquoi nous demandons que, dans l'article 1er, 1°, a) du texte, soit supprimé, dans la deuxième partie de la phrase, le mot « domaines » : nous souhaitons que la branche ne puisse discuter que des conditions des stipulations dont elle renverra la négociation au niveau de l'entreprise. Tous les domaines resteraient ainsi du ressort de l'entreprise. Il y va de la liberté d'intervention des partenaires sociaux qui, en plus, du fait de la restructuration des branches, vont jouer un rôle plus important. Les partenaires sociaux, au niveau de la branche, doivent être eux-mêmes capables, en vertu de cette liberté, de discuter de ce qu'ils renvoient à l'entreprise et de ce qu'ils jugent plus cohérent de conserver au niveau de la branche.

Ensuite, en ce qui concerne la légitimité des acteurs, le système en vigueur prévoit une représentativité syndicale, une représentativité patronale, des négociations selon des modalités bien précises. Nous sommes favorables à la généralisation des accords majoritaires mais pris par des acteurs légitimes. Or deux articles remettent dangereusement en cause cette légitimité. D'abord l'article 1er, 2°, b), qui institue un référendum par lequel les salariés valident ou non un accord ; cette consultation est de même nature que le référendum que l'on peut organiser au plan national pour contourner le Parlement qui ne voudrait pas voter une loi... Quant à la négociation des conventions et accords de groupe, d'entreprise ou d'établissement, au sein de la nouvelle instance prévue par l'article 2, c'est pour la CFE-CGC une ligne rouge à ne pas franchir, et ce pour trois raisons.

La première concerne la représentativité : le fait qu'une organisation syndicale représentant plus de 10 % des salariés puisse ne pas avoir d'élus au sein de l'instance mentionnée présente un risque de contentieux sur la validité de l'accord qui serait négocié, puisqu'une organisation syndicale représentative serait exclue du champ des négociations.

La deuxième raison est le lien de subordination entre les négociateurs dans l'entreprise : le fait de négocier avec un délégué syndical mandaté par une organisation syndicale permet de scinder le mandat en deux parties – le mandat de négociation et le mandat de signature –, et lorsqu'il y a trop de pression au sein de l'entreprise, l'organisation syndicale est à même de suspendre le mandat de signature pour le réaffecter au niveau de son organisation et protéger ainsi le négociateur qui est salarié de l'entreprise.

La troisième et dernière raison a trait à la qualité de la négociation, puisque le délégué syndical qui négocie forme sa délégation et peut faire appel à des experts parmi les adhérents. Par exemple, si l'on négocie l'épargne salariale, on va demander à quelqu'un qui se trouve déjà dans les instances de négociation ou de suivi de l'épargne salariale de participer aux discussions afin que les autres acteurs bénéficient de ses connaissances techniques. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de supprimer le 2° de l'article 2.

Enfin, nous souhaitons que vous supprimiez les b) et c) du 3° de l'article 3, qui concernent les contrats à durée déterminée (CDD), les contrats de travail temporaires (CTT) et le contrat à durée indéterminée de chantier (CDIC). Ramener leur négociation au niveau de la branche revient à ajouter de la complexité puisque chaque branche aura la capacité de négocier des éléments différents. Un salarié exerçant un métier transversal sera complètement perdu : selon la branche au sein de laquelle il postulera, les éléments composant son contrat seront complètement différents.

Nous considérons qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter de la précarité pour créer de l'emploi. Or les dispositions prévues sont de nature à augmenter sensiblement la précarité des salariés. Si une entreprise souhaite employer sur le fondement de contrats courts, des outils existent déjà et ils garantissent une certaine sécurisation du parcours professionnel du salarié, sécurisation que nous ne retrouvons pas avec, notamment, le CDIC tel que le texte le définit. Son extension au niveau des branches présente donc pour nous un danger et nous resterons très vigilants.

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