Intervention de Gilles Salvat

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 16h30
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES :

La première fois que l'on a isolé cette souche, c'était en 2003, donc avant l'épidémie de 2005 : les souches les plus anciennes dont on dispose proviennent de cette usine. La souche est probablement rentrée dans cette usine par l'intermédiaire d'un environnement de produits animaux, peut-être par un camion de transport ou un élevage de bovins qui était contaminé. Mais même si le lait utilisé pour fabriquer la poudre de lait avait été contaminé, comme il est pasteurisé, et souvent plusieurs fois, et au minimum à 72 degrés – je vous rappelle que la température de sensibilité de la salmonelle est 64,4 degrés –, le problème ne vient pas de la pasteurisation. Par contre, l'extérieur de l'usine a pu être contaminé par les camions de livraison du lait collecté dans des élevages bovins où l'on peut trouver également des volailles ou des porcs. Pour entrer dans ce type d'usine, en général on change complètement de tenue : on enfile une cotte intégrale, une charlotte, une paire de chaussures spécifique, et on se lave les mains. Mais il suffit de ne pas bien appliquer une seule fois ces mesures de sécurité pour faire entrer le loup dans la bergerie, si je puis dire, et la salmonelle se retrouve alors dans l'environnement de l'usine.

Dans les usines de lait en poudre, l'ennemi principal c'est l'humidité. Ce qui est peu vraisemblable, c'est que la salmonelle ait vécu cachée dans un milieu très sec pendant douze ans : ce ne sont pas des bactéries sporulées, elles ne résistent pas beaucoup plus de quelques semaines ou quelques mois dans un environnement sec et elles ont besoin de se remultiplier de temps en temps pour survivre dans ce type d'environnement. Un des facteurs qui peut conduire à une remultiplication possible de ce type de souche dans un environnement d'usine de lait en poudre, c'est paradoxalement le nettoyage et la désinfection de l'usine. On sait que ce sont des phases critiques dans la fabrication de produits secs en ce qu'elles permettent de réhumidifier le milieu et de remultiplier éventuellement des salmonelles présentes dans l'environnement. Certes, on désinfecte après, mais pour peu qu'on n'ait pas désinfecté partout, ou que la désinfection n'ait pas été bien faite, les salmonelles vont pouvoir se multiplier : la poudre de lait mélangée à l'eau devient un milieu très favorable à la multiplication des salmonelles. Tant qu'il n'y a pas d'eau, elles ne se multiplient pas, mais le risque réapparaît sitôt qu'on met de l'eau. Ce nettoyage et cette désinfection sont effectués environ toutes les cinq à sept semaines dans ce type d'usine. Entre-temps, bien évidemment on nettoie, mais on nettoie à sec, on balaie, on aspire pour enlever les poussières, mais on ne nettoie pas et on ne désinfecte pas tous les jours parce qu'on sait que cela présente un risque particulier.

Dans ce cas, pourquoi nettoyer et désinfecter ? D'abord pour éviter une accumulation d'autres bactéries – il n'y a pas que Salmonella. Ensuite parce que, pour fabriquer un produit sans lait comme Picot Junior qui ne soit pas allergène pour les enfants intolérants au lait, il faut nettoyer la tour de déshydratation et l'environnement de la tour pour être sûr qu'il ne reste pas de traces de lait. Ce produit est systématiquement fabriqué après nettoyage et désinfection parce qu'il faut enlever les allergènes de la chaîne de production. C'est ce qui nous amène à penser que l'hypothèse d'une remultiplication des salmonelles à la faveur d'un nettoyage et d'une désinfection est plausible. Mais ce n'est actuellement qu'une hypothèse, on n'a pas de preuve formelle. Par contre, après enquête et quand les services vétérinaires ont eu accès à l'ensemble des contrôles qui ont été effectués depuis 2005 dans cette usine, des prélèvements d'environnement positifs ont été identifiés qui laissent penser que S. Agona a survécu dans l'environnement et qu'elle a pu se remultiplier régulièrement.

Le CNR a montré qu'on avait relevé vingt-cinq cas de bébés contaminés par Salmonella Agona entre 2005 et 2017, mais un cas de temps en temps entre 2010 et 2016. Cela veut dire qu'il s'est produit d'autres cas, mais ils sont passés inaperçus parce qu'il y avait un cas, puis plus rien pendant deux, trois mois, puis deux cas, puis plus rien pendant quelques mois encore, et certaines années il n'y a rien eu du tout. On peut penser que, vraisemblablement, quelques lots faiblement contaminés sont sortis de l'usine sans que les procédures d'autocontrôle des produits et d'échantillonnage sur ces produits aient permis de les détecter.

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