Intervention de professeur Jérôme Salomon

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 18h45
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je commencerai par rappeler le cadre dans lequel travaille la Direction générale de la santé, s'agissant notamment de la surveillance de l'état de santé de la population, sa mission première.

Au sein du ministère de la santé, la DGS se situe très en aval de la chaîne alimentaire puisqu'elle est informée de données cliniques fournies par les médecins et les établissements de santé, et de données microbiologiques fournies par les laboratoires de microbiologie de ville ou hospitaliers. Lui remontent en temps réel, au fil de l'eau, des éléments provenant de la surveillance épidémiologique – autrement dit des données humaines – et de la surveillance provenant de laboratoires de référence ou de centres nationaux de référence placés sous l'autorité du ministère de la santé et soumis au cahier des charges élaboré par Santé publique France – nom de l'Agence nationale de santé publique.

Tel est le contexte organisationnel de la surveillance globale des maladies infectieuses, avec une particularité complémentaire pour la surveillance sanitaire des aliments, où trois directions d'administration centrale sont concernées : la DGAL, la DGCCRF et la DGS. Cela suppose un partage d'informations, une coordination entre ces trois directions d'administration centrale, ainsi que des échanges entre les administrations centrales et les agences nationales de sécurité sanitaire mobilisées sur différentes situations – dans le cas présent, Santé publique France ou l'ANSES.

Comment se passe la détection ? Concrètement, il faut qu'une situation clinique entraîne le recours d'un adulte ou d'un enfant à un professionnel de santé. Ce professionnel de santé décide ou non de réaliser un examen microbiologique. Ce genre d'examen est relativement rare dans la pratique d'un médecin généraliste ou d'un médecin de ville, dans la mesure où l'on ne se résout à engager une recherche microbiologique qu'en fonction de critères particuliers : atypie, sévérité, recherche d'une cause particulière – retour de voyage, exposition à un produit potentiellement dangereux ou toxi-infection alimentaires collectives, c'est-à-dire des cas groupés après une exposition, par exemple lors d'un repas. Ensuite, et notamment dans cette dernière situation, quand on fait une coproculture, c'est-à-dire un examen des selles à la recherche d'un agent pathogène, la difficulté pour le laboratoire est d'identifier une source pathogène parmi de très nombreuses souches, puis de faire confirmer cette identification par le Centre national de référence (CNR) – en l'occurrence ici le Centre national de référence des salmonelles, qui a été à l'origine de l'alerte.

Précisons que plus de 1 185 laboratoires en France participent à la surveillance des infections à salmonelle en France : c'est donc un réseau extrêmement développé. Malheureusement pour nous, il existe plus de 2 000 sérotypes de salmonelles pathogènes, en particulier chez l'homme. Parmi ces sérotypes très divers, on peut citer Salmonella Agona, qui est la souche et le sérotype spécifique en cause dans cette affaire Lactalis. En bout de chaîne, le CNR, le centre référent pour les laboratoires de microbiologie, reçoit 10 000 souches par an pour expertise, dont environ 6 %, soit 600 souches, sont isolées chez des nourrissons de moins d'un an : l'effet de « bruit de fond » est donc important. En excluant les cas pour lesquels une notion de voyage récent a été renseignée, le nombre annuel médian de souches de types S. Agona est de 54 en moyenne lissée sur plusieurs années.

La DGS est dotée d'un dispositif quotidien de remontée d'informations : nous tenons un bulletin d'alerte quotidien ; je réunis et je préside tous les mercredis matin une réunion de sécurité sanitaire avec l'ensemble des administrations concernées et, au-delà du ministère des solidarités et de la santé, la DGCCRF, la DGAL, la direction centrale du service de santé des armées, l'ensemble des agences nationales de sécurité sanitaire ainsi que la CNAM. L'objectif de cette réunion hebdomadaire est d'analyser l'ensemble des signaux qui remontent au fil de l'eau, jour après jour.

En cas de suspicion de mise en cause d'un produit alimentaire, la DGS assure la surveillance épidémiologique renforcée et l'alerte, via Santé publique France, dont elle a la tutelle, le partage d'informations avec l'ensemble des partenaires de la gestion de crise – des protocoles sont régulièrement mis à jour pour faciliter la transmission d'informations en inter-administrations – la coordination inter-administrations des mesures de gestion, et, enfin, la mise en oeuvre des procédures d'alerte, de retrait et d'information.

Thierry Paux, le sous-directeur de la veille et sécurité sanitaire, vous répondra plus précisément sur ce qui s'est passé pendant la crise, le moment où nous avons eu connaissance des faits, les mesures d'information, de retrait, les listes de retrait et d'actualisation. Je reprendrai ensuite la parole pour vous parler des leçons que nous avons tirées de cette crise, et peut-être vous donner des éléments de comparaison internationale.

Auparavant professeur d'université en maladies infectieuses et en épidémiologie, je me sens concerné au premier chef par ce sujet. Mais ayant pris mes fonctions seulement le 8 janvier dernier, je n'étais pas en charge au moment de la crise ; c'est pourquoi je laisserai la parole à Thierry Paux. Mais cela me donne aussi l'avantage d'une certaine neutralité, et peut-être un peu recul, et la possibilité de faire des commentaires sans lien particulier avec la gestion de crise.

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