Je voudrais revenir sur la complexité de l'enquête. Comment l'enquête se passe-t-elle en temps réel ? Nous ne sommes pas dans le cadre d'une déclaration obligatoire, mais dans celui d'une déclaration spontanée et de l'identification de souches. Le CNR analyse petit à petit les souches qui lui arrivent – et encore faut-il qu'elles lui parviennent, ce qui soulève la question de la qualité des prélèvements et de l'envoi de ces derniers des laboratoires de microbiologie au CNR. Lorsque ce dernier détecte une « bouffée » du nombre de cas infectés par la même souche, il interagit avec les épidémiologistes en les prévenant de ses inquiétudes et en leur signalant avoir identifié plusieurs cas de souches identiques, touchant de surcroît des nourrissons. Une enquête épidémiologique se met alors en place – que Santé publique France vous expliquera – pour rechercher un facteur d'exposition commun. Un interrogatoire est mené auprès des parents. C'est là qu'on commence à rechercher des produits pour nourrissons, et en particulier des produits lactés. C'est à ce moment-là que se déclenchent l'alerte et la mobilisation des autorités sanitaires que Thierry Paux vient de décrire.
C'est la succession d'étapes dans ce circuit – le fait qu'un médecin doive avoir été appelé et intervienne, que la souche doive être identifiée, puis envoyée au CNR que l'analyse – qui explique ce phénomène d'informations successives. Il ne s'agissait pas forcément de nouveaux cas, mais plutôt de nouvelles identifications de cas déjà survenus, et confirmées par le CNR, ce que les journalistes n'ont pas compris. Les données dont on dispose sont de plus en plus fines au fur et à mesure que l'investigation se poursuit puisque la difficulté, une fois que les parents nous disent avoir utilisé un produit lacté, est de déterminer de quel produit il s'agit et de retrouver la boîte et le numéro qui y figure. Ensuite, une enquête est lancée à la fois avec les épidémiologistes et surtout les services de contrôle de l'alimentation et de la répression des fraudes, qui se projettent immédiatement sur l'usine incriminée. La direction générale de la santé ne participe pas à ces investigations : les nôtres se font soit au lit du malade, soit auprès de la famille en cas d'enquête épidémiologique.
À notre demande, les 10 000 souches qui arrivent chaque année au CNR sont stockées dans une biothèque, c'est-à-dire dans une bibliothèque de souches, afin de pouvoir être comparées. On a réussi, grâce à une technique exceptionnelle désormais maîtrisée par le CNR de l'Institut Pasteur, à séquencer complètement le génome de la souche afin de détecter si les souches antérieures étaient identiques. C'est grâce à cette technique spécifique et à cette recherche demandée au CNR, qui a exigé un gros travail scientifique qu'on a pu identifier que les salmonelles étaient du sérotype Agona, ce qui est déjà assez rare, et qui plus est Agona4 et génétiquement liées, autrement dit démontrer une filiation entre les souches identifiées en 2004-2005 et celles de 2017. Mais comme l'a indiqué Thierry Paux, il n'était techniquement pas possible d'avoir ces informations en 2005.
Ces éléments techniques permettent de comprendre pourquoi les informations nous sont arrivées au fil de l'eau : il faut aller interroger les parents, retrouver les lots, demander aux parents de retrouver les boîtes, etc. C'est un véritable travail d'enquêteur, mais indispensable.
Pour résumer, l'alerte est venue du côté sanitaire – et c'est tant mieux car on a un très bon CNR, doté d'une équipe de recherche de haut niveau ; les épidémiologistes ont rapidement identifié l'exposition à différents lots, même si le nombre de lots incriminés s'est petit à petit élargi au fur et à mesure que l'information nous remontait sur les différents cas qui ont fait l'objet d'investigations ; on a pu, grâce à la technique dont je vous parlais, identifier un lien entre l'épisode de 2004-2005 et l'épisode actuel.
Tout cela nous pousse non pas à émettre un satisfecit mais à encore améliorer l'efficacité du dispositif. C'est ma responsabilité, en tant que directeur général de la santé, que d'accroître encore la protection de la population et les mesures de prévention. On peut notamment renforcer la partie « contrôle » du dispositif, mais la DGS n'intervenant qu'en aval de ces contrôles, elle ne peut elle-même actionner ce levier. Ensuite, nous avons vraiment besoin de travailler à l'amélioration de la qualité de l'information du public et de l'efficacité des retraits de produits : nous avons saisi le Conseil national de la consommation et nous restons attentifs au fait qu'il nous faut gérer tout à la fois des alertes environnementales, des alertes alimentaires et des alertes spécifiques à des produits de santé – médicaments ou dispositifs médicaux.
On peut encore améliorer la coordination interservices, même si elle est de qualité, en revoyant les procédures d'échanges, de rédaction des communiqués de presse et d'information du public. Tout étant perfectible, nous allons nous atteler à ce travail, d'autant que nous avons maintenant systématiquement le réflexe de faire des retours d'expérience : chaque événement de ce type doit faire l'objet d'un retour d'expérience interservices et la ministre des solidarités et de la santé est attentive aux leçons qu'on peut tirer de cette affaire.
Enfin, on pourrait actualiser, sinon renforcer le dispositif de surveillance épidémiologique et microbiologique. Nous sommes allés assez loin dans l'information des familles : elles ont évidemment été très inquiètes, ce qui est tout à fait légitime. Heureusement, on n'a constaté aucun cas grave et les pédiatres rappellent que ce type d'infection n'est pas suivi de conséquences à moyen ou long terme : il n'y a pas de séquelles ou d'infection chronique à craindre, ni de suivi renforcé à proposer à ces enfants. Nous avons quand même veillé, compte tenu de l'inquiétude légitime des parents et du retentissement médiatique de l'affaire, à ce que toutes les familles soient contactées directement et individuellement par les épidémiologistes de Santé publique France et se voient proposer une prise en charge spécialisée ou un soutien si nécessaire. Nous veillons à tirer toutes les leçons de cet épisode.
Malheureusement, le risque lié aux salmonelles est tellement vaste qu'il ne saurait disparaître. Il faudra donc qu'on veille à le prévenir au maximum dans les prochaines années. La spécificité de cette alerte tient au fait qu'elle porte à la fois sur un produit industriel en production massive, sur un produit à risque puisqu'il s'agit d'un lait qu'on ne fera pas bouillir ni stériliser et surtout, sur une population présentant un risque particulier, a fortiori s'il s'agit de nourrissons.