Je n'ai aucun doute sur la sincérité de l'ASN du point de vue de ses intentions : elles sont louables et je les partage largement.
Le travail documentaire que j'ai présenté a été fait à partir de documents parfaitement accessibles. C'est d'ailleurs la grande différence avec la situation qui prévalait en 1986, lors de la création de la CRIIRAD. À l'époque, c'était « circulez, il n'y a rien à voir ! ». Aujourd'hui, l'information est en effet disponible, sauf qu'elle est tellement complexe qu'il faut la décrypter, la travailler, ce qui demande des compétences. Elle n'est donc pas à la portée du citoyen de base. Une grande partie du travail de la CRIIRAD consiste précisément à vulgariser ce genre de dossier pour le rendre compréhensible, pour que le citoyen puisse voir où il y a eu des dysfonctionnements. Une des missions de la CRIIRAD, c'est donc de fouiller dans des éléments juridiques, documentaires, pour les mettre à la disposition des citoyens.
Je pense que l'ASN n'a pas tous les outils pour pouvoir assumer parfaitement son travail. On peut citer des cas où l'ASN a pointé du doigt des problèmes – pas tous –, sans être en mesure d'exiger des exploitants, EDF et Areva, de respecter les règles qu'ils s'étaient engagés eux-mêmes à respecter. Je ne sais si c'est dû à un manque de volonté de sa part – c'est un constat, pas un procès d'intention. EDF et Areva connaissaient la feuille de route pour la construction de l'EPR. Mais, dès le départ, il y a eu un dérapage. J'avais eu l'occasion de rencontrer M. Lacoste en 2005-2006 : il était effondré. Il a eu conscience qu'un tas de choses lui échappaient et il a essayé de redresser la situation. Mais cela nous ramène au pouvoir de l'ASN. Comment peut-elle agir ? Elle pointe du doigt des problèmes et demande à l'exploitant d'agir, mais celui-ci joue la montre et attend. Au début, l'ASN envoie une simple lettre, puis une deuxième lettre, puis une décision, puis une lettre de suite, puis une mise en demeure. Mais l'exploitant joue la montre. Le timing, c'est celui de l'exploitant : quand il a envie de donner les informations, il les donne. Mais ce sont les informations qu'il a élaborées avec ses propres outils. On est dans l'auto-contrôle des pièces. L'ASN n'a pas les outils du contrôle : elle vérifie que le contrôle a été fait. Cette autorité manque réellement de moyens humains et financiers et de moyens de coercition. L'ASN est un gendarme – M. Lacoste aimait bien se faire appeler « le gendarme du nucléaire », mais n'est pas comparable à celui que l'on rencontre sur la route.