Intervention de Roland Desbordes

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) :

La loi de 2006 donne effectivement un peu plus de pouvoirs gradués. Les sanctions prévues sont proportionnelles aux fautes – petites ou grandes – constatées. Jusqu'en 2006, il me semble que l'ASN ne pouvait qu'envoyer des courriers, sans autres moyens de pression. Certes, elle pouvait faire arrêter une installation, mais il fallait qu'elle le justifie par un danger immédiat, ce qui est difficile et n'a pratiquement jamais été fait.

La loi de 2006 a permis une évolution. Mais j'estime qu'on est encore très loin de l'idéal. En octobre 2017, on a connu un moment fort dans ma région, la Drôme, lorsque l'Autorité de sûreté nucléaire a mis à l'arrêt quatre réacteurs. Une réunion publique était organisée le jour où elle a fait cette annonce très médiatique – ce n'était pas un hasard. Il s'agissait d'une mise à l'arrêt très temporaire, mais cette décision a été vécue symboliquement de manière assez difficile par EDF. Malheureusement, il n'y a pas eu beaucoup d'actions comme celle-là, qui ont vraiment marqué le coup.

Je pense que beaucoup de choses se règlent par des discussions entre les exploitants et l'ASN, et que celle-ci est obligée de négocier parce qu'elle se trouve notamment confrontée à EDF ou à Areva, qui ne sont pas n'importe qui.

Certains des inspecteurs de l'ASN que je rencontre dans le cadre des commissions locales d'information (CLI) avouent les difficultés qu'ils éprouvent à faire respecter des règles, des prescriptions et font comprendre qu'il y a eu discussion ou négociation. D'autres se voient comme des gendarmes, et sont plutôt dans l'illusion, selon moi, car cela ne correspond pas à ce que nous percevons de ce qui se passe en dehors de notre présence, puisque nous n'assistons qu'aux réunions publiques.

Prenons l'exemple de l'arrêt, très temporaire, des réacteurs du Tricastin. On avait demandé à EDF de réparer la digue. Cela lui a pris un mois. Il est intéressant de reprendre la genèse de cette affaire.

Après la catastrophe de Fukushima, on a demandé aux exploitants de faire des évaluations complémentaires de sûreté. Il s'agissait de refaire le tour des lieux, de voir ce qui se passerait en cas de séisme ou d'inondation un peu supérieurs à ceux prévus. Les actes de malveillance externes avaient été écartés en dépit d'une demande de l'Europe : il avait été considéré que cela ne relevait pas du domaine de l'ASN.

Je m'attendais à un dossier extrêmement mince. Après tout, on avait le nucléaire le plus sûr au monde et, jusqu'à Fukushima, on nous avait expliqué que ce genre de scénario avait été pris été pris en compte et qu'on était paré. Or le compte rendu des évaluations complémentaires de sureté qui a été rendu en janvier 2012 était impressionnant : il y avait des travaux énormes à faire sur des installations nucléaires pour les mettre, non pas à un niveau idéal de sûreté, mais au niveau que l'on considérait comme normal, acceptable pour les autorités. L'idéal, nul ne le connaît.

Qu'aurait-on dû faire dès lors ? Si lorsque vous êtes arrêté par la police sur l'autoroute, votre voiture présente de gros défauts, vous ne repartez pas comme si de rien n'était ! En l'occurrence, on a laissé toutes les installations continuer à fonctionner. Pendant les années 2012 et 2013, des discussions ont eu lieu entre l'ASN et les exploitants, EDF et Areva, pour savoir quel type de travaux seraient effectués et avec quel argent – puisqu'ils n'en avaient pas – et dans quels délais. Certains de ces travaux ont bien été engagés, mais sur une durée de plusieurs années et tous ne sont pas encore terminés.

À Tricastin, on avait « bricolé » sur la digue, très en amont de la centrale. Selon les évaluations complémentaires de sûreté, c'était suffisant. Il a fallu attendre l'été 2017 pour qu'EDF se rappelle que lorsqu'ils avaient construit la centrale, ils avaient fait des travaux sur la digue, qui existait déjà, pour amener l'eau jusqu'à la centrale mais sans utiliser les bons matériaux. L'exploitant l'a avoué en plein mois d'août 2017, avertissant ainsi l'ASN qu'une partie de la digue n'était pas du tout conforme, et qu'en cas de séisme ou de remontée des eaux de la nappe – qui se trouve au niveau du sol – le bas de la digue pourrait s'effacer : la centrale serait inondée et, paradoxalement, il n'y aurait plus d'eau pour assurer le refroidissement, sans compter des problèmes d'électricité et tout ce qui va avec. C'était le scénario Fukushima.

En septembre, l'ASN est donc intervenue pour demander à l'exploitant de consolider la digue. Je m'attendais à ce que l'affaire en reste là. Or, lundi dernier, dans une décision complémentaire, l'ASN a déclaré que les travaux qui avaient été faits n'étaient pas suffisants, qu'il faudrait renforcer la surveillance de la digue en installant des systèmes de piézomètres pour voir si l'eau ne venait pas tremper le pied de la digue, ainsi que des systèmes de surveillance du profilage de la digue, et qu'EDF devrait mobiliser des moyens au cas où il faudrait intervenir.

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