Intervention de Jean-Marc Lacave

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France :

Il y a encore une quinzaine d'années, avec les moyens dont on disposait alors, le cyclone Irma n'aurait pas pu être anticipé de la même façon. La communauté météorologique aux États-Unis, en France, au centre européen a donc fait des progrès réels. Mais les phénomènes restent complexes et il faut disposer d'une modélisation très fine pour voir comment les choses se passent dans l'oeil du cyclone et quelle est l'interaction entre l'océan et l'atmosphère. Pour l'heure, c'est encore en dehors des compétences de la plupart des services de météorologie. Le progrès se fera à mesure que les capacités de modélisation et de calcul augmenteront. Il faut, et j'y insiste, que Météo-France franchisse un nouveau palier, car nous ne pouvons pas espérer de progrès scientifique si les capacités de calcul et de HPC – l'informatique hautes performances – ne progressent pas aussi. Américains, Anglais, Allemands, Japonais et Chinois se sont lancés dans la course. La France, qui a tant de territoires outre-mer, ne peut pas se permettre de ne pas disposer des mêmes outils. Or le raisonnement tenu reste souvent trop hexagonal ; il doit inclure les besoins, si sensibles, des outre-mer.

Un autre aspect que je tiens à souligner, c'est la nécessaire articulation entre les acteurs. Elle reste compliquée mais doit être la meilleure possible. Nous, les scientifiques, apportons les informations et indiquons ce que nous pressentons pouvoir survenir, à ceux qui vont gérer la crise elle-même et la sécurité. Il est de notre devoir d'apporter le plus tôt possible l'information la plus fiable et de la rendre accessible pour qu'un préfet puisse déclencher l'alerte et mobiliser les services et les collectivités de la manière la plus efficace. On peut toujours progresser dans la transmission et l'appropriation des informations par les services en charge de gérer la crise. On l'a vu pour Irma. Gérer la crise, prendre des décisions, et devoir anticiper les événements engendre forcément un certain stress. Pour le dire très simplement, le responsable en face de vous insiste pour qu'on lui explique bien de quoi on parle, sur un fond d'informations qui s'entrecroisent – d'un côté on parle surtout des vagues, de l'autre de pluies, ailleurs encore de glissements de terrain. Au moment où la crise survient, la coordination entre acteurs, la synthèse des informations, leur appropriation doivent être à même de se traduire en mode opérationnel. Avec le COGIC ou la direction générale de la sécurité civile (DGSC), nous ne cessons de travailler pour assurer un continuum dans les conditions les plus simples. C'est d'autant moins facile outre-mer qu'il faut compter avec le décalage horaire, le fait que les plus experts sont souvent sur place quand des décisions doivent être prises en métropole, en appui des forces locales. Les retours d'expérience sont très utiles pour progresser.

Avec les collectivités, avec les services de l'État, nous avons l'habitude de travailler. Avec les médias, donc le grand public, la relation n'est pas parfaite. C'est pourquoi nous avons pris l'habitude d'interroger des échantillons de la société civile – associations, entreprises – pour savoir comment ils nous comprennent lorsque nous faisons un bulletin de suivi, nous déclenchons une vigilance, et lorsque nous tweetons aussi, car les outils d'information se multiplient : c'était le fax il y a dix ans ! Nous tenons vraiment à ce qu'il n'y ait aucune ambiguïté pendant la crise, et c'est difficile. Nous essayons d'« ajuster le tir » au mieux, en choisissant la couleur orange ou la couleur rouge, mais si nous en faisons trop, on ne nous croit plus, et si nous n'en faisons pas assez, on nous le reproche…

Notre travail consiste à être à la fois irréprochables scientifiquement et aussi professionnels que possible. Et pour cela, il ne suffit pas de bien connaître les phénomènes météo, mais aussi d'estimer leur véritable impact. En 2015, des pluies torrentielles ont fait une vingtaine de morts dans la zone de Cannes et Nice : si elles étaient tombées cinq kilomètres plus loin, l'impact n'aurait pas du tout été le même. Il faut conjuguer le phénomène et l'état des sols, les vulnérabilités propres au territoire concerné. La même vague de submersion n'a pas du tout le même impact dans le nord de la Bretagne et sur la côte landaise. Cela peut sembler une évidence, mais pour définir un niveau de vigilance, nous avons besoin de connaître à la fois ce qu'est le phénomène et ce qu'est le territoire. Dans ce domaine, il y a une marge de progrès permanent.

Pour me résumer, il faut décider ce qu'est le bon niveau de vigilance – jaune, orange ou rouge – et voir aussi la façon dont les populations comprennent la nature du danger. Anticipant l'événement, elles vont parfois à l'école chercher leurs enfants – souvent, ce sont les maires qui en décident – ou décident de sortir leur voiture du garage – ce qui, à Cannes, a provoqué un certain nombre de morts. Dans ce domaine, on n'a jamais fini de progresser, et il le faut pour améliorer la sécurité. Cela met en jeu la science, bien sûr, ensuite la connaissance des fragilités du territoire, enfin la communication, dans un ordre cohérent entre services de l'État et autorités qui prennent les décisions de gestion de crise, et de la façon la plus compréhensible possible vers les médias et le grand public. Il faut savoir qu'il y a environ soixante-dix cas de vigilance orange ou rouge par an, soit un événement et demi par semaine. C'est en quelque sorte notre quotidien. Chaque jour, avec la Sécurité civile, nous faisons le point sur les événements des semaines précédentes pour en tirer les leçons pour notre chaîne de travail.

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